Congrès de Brest
Discours de Claude Allègre
samedi 22 novembre 1997

Claude Allegre


 
Chers amis, mes chers camarades,

Je veux d'abord vous dire ma joie et ma fierté d'être parmi vous six mois après le retour des socialistes au pouvoir.
 En me confiant le ministère de l'Éducation Nationale, de la Recherche et de la Technologie, Lionel Jospin m'a demandé de préparer la France à la bataille future qui sera celle du XXIe siècle, la bataille de l'intelligence.
 Dans cette immense aventure de la mondialisation s'associent, se contrarient, s'entremêlent ou se démêlent collaborations et compétitions, les intérêts nationaux se confondent ou s'opposent à ceux des compagnies multinationales sans visage, sans réalité démocratique, et la démocratie se concentre parfois sur des sujets secondaires alors que la technocratie s'empare des sujets essentiels. Il importe donc pour chacun d'entre nous de réfléchir sur le sens exact de nos engagements, et notamment pour ceux qui sont ministres sur le sens de notre action.
 Ce congrès est un instant de réflexion, d'explication, mais aussi d'écoute, car le parti reste pour moi une référence essentielle pour réfléchir, critiquer, impulser le sens de notre action.

(applaudissements)

 Je veux transformer le système éducatif, je veux faire naître un système moins inégalitaire -savez-vous que, depuis vingt ans, la proportion mais aussi le nombre d'enfants de milieu modeste qui entrent à l'École Polytechnique a diminué- un système dans lequel l'égalitarisme ne se substitue pas à l'égalité, un système qui reconnaisse la diversité des talents, la diversité des disciplines et des parcours, qui ait pour objet de redonner l'espoir à notre jeunesse, parce que je veux changer la société française, parce que je suis socialiste !

(applaudissements)

 Si je veux redynamiser la recherche scientifique que la droite a délaissée, désespérant des milliers de jeunes talents à qui on n'a proposé que de vieillir, c'est pour préparer la France au XXIe siècle, c'est parce que je suis socialiste !

(applaudissements)

 Si je veux que la technologie ne soit plus, pour beaucoup, une commodité inquiétante parce qu'étrangère et incomprise, qu'elle soit une course d'emplois pour nos jeunes et les moins jeunes, une source de richesses pour notre pays, c'est parce que je crois que nous devons être les artisans du progrès humain, c'est parce que je suis socialiste !

(applaudissements)

 Oui, toute mon action s'intègre dans une réflexion profonde sur le socialisme en cette fin du XXe siècle, que je veux mener avec vous, avec le parti, et que nous mettrons ensemble en action.
 Le socialisme a toujours cherché à penser l'avenir et la transformation de la société. Depuis sa naissance au 19ème siècle, le socialisme est indissolublement lié à l'idée de progrès.
 Progrès de la science parce qu'elle est le refus de l'ignorance, de l'obscurantisme, de l'irrationnel, des sectes et des sectarismes.

(applaudissements)

 Progrès de l'homme dans sa quête toujours inachevée d'une société plus juste et d'un hypothétique bonheur humain.
 Nous avons donné le sentiment, dans notre histoire récente, d'être en panne de moyens de transformation de notre société comme si nous étions pris en tenaille entre l'enlisement dans la gestion et la fuite dans l'utopie, entre une mondialisation que nous subirions et une ambition que nous tempérerions.
Lionel JOSPIN nous a permis de retrouver les chemins d'une cohérence vis-à-vis de nous-mêmes, de ce que nous sommes, en rouvrant les chemins d'une gestion gouvernementale mise au service de la transformation sociale.
 Notre volonté de mettre en marche la société, de faire passer l'intérêt général avant les intérêts particuliers, de dépasser la frilosité des corporations et des corporatismes, nous permet de construire l'avenir. Oui, pour construire l'avenir, il faut d'abord fermement s'accrocher au présent, mais s'accrocher au présent pour construire le rêve.
 Il faut, sans relâche, s'attaquer au réel, l'analyser, le comprendre, mais en même temps ne jamais perdre de vue qu'il nous faut aussi inlassablement transformer, c'est-à-dire entraîner et innover.
 C'est ce que j'ai cherché à faire en arrivant rue de Grenelle. M'appuyant sur mes propres réflexions, mon expérience, mes responsabilités acquises aux côtés de Lionel Jospin, j'ai passé au crible les réalités du système éducatif et du système de la recherche et de la technologie. J'en ai mesuré les forces et les faiblesses, les rigidités et les habitudes.
 La qualité des enseignants de base, mais aussi leur isolement dans un système énorme et compact, ont renforcé ma volonté de faire évoluer ce système, même si j'en mesure la difficulté et en constate les paradoxes.
 Paradoxes en effet que ce système éducatif dont le ministre que je suis apprécie un certain nombre de performances remarquables : d'abord celle d'accueillir en son sein tous les élèves quels que soient leur origine, leur niveau de fortune, pour y recevoir une éducation laique. Puis celle d'avoir en vingt ans su accueillir cinq fois plus d'étudiants et d'avoir amélioré en même temps la qualité de nos université, de leur enseignement; ce qui n'excluait pourtant pas une sélection rampante qui augmentait sans cesse la discrimination sociale.
 Paradoxe aussi que ce système composé de personnels enseignants et non enseignants et très grande qualité qui, pour l'immense majorité, font très bien leur travail, travail qui fut celui de ma mère, celui de mon père, le mien jusqu'à il y a quelques mois. Ces personnels en même temps appartiennent à un système dont les dysfonctionnements marginaux suffisent à détruire la conhérence et à répondre imparfaitement à la mission que le pays nous a donnée. Marginal en effet lorsqu'on se rappelle, et je le martèle tous les jours, que 1 % de dysfonctionnement du système éducatif conduit à affecter 150.000 élèves !
 Et pourtant, quelle difficulté pour se faire comprendre !
 Lorsque je dénonce la lourdeur de la gestion, la rigidité, la centralisation extrême, je le fais d'abord dans l'intérêt des enseignants. Sont-ils responsables de ces pesanteurs structurelles du système ?

(applaudissements)

Non ! En sont-ils victimes ? Oui !

(applaudissements)

Pourquoi alors certains se sentent-ils mis en cause lorsque je parle d'améliorer l'école ?
 J'en tire une conclusion : ce qu'on appelle le système éducatif n'est pas en bon état. Les enseignants sont dans une grande solitude professionnelle, isolés par des conditions de travail de plus en plus difficiles. Ils sont les éléments d'une machine dont les automatismes et les rigueurs contraignent leur personnalité, freinent leurs initiatives et finalement les fragilisent.
 Et c'est pour tout cela que je veux leur redonner leur dignité, leur liberté d'éducateurs, et également la foi dans l'avenir.
(...) D'où le sens de la réforme qu'avec Ségolène Royal, et je travaille avec elle la main dans la main, nous avons engagée autour de deux mots clés : responsabilité et démocratie.
 Comment peut-on diriger des enseignants et des élèves dans nos lycées, sans les impliquer davantage dans les décisions qui les concernent ?
 Autonomie, et déconcentration : pourquoi, nous socialistes, nous les socialistes qui avons fait la décentralisation, afin que les décisions soient prises plus près des gens, ne la prolongerions-nous pas par la déconcentration ? Comment ne pas chercher à prolonger l'effort entrepris par Lionel Jospin et Michel Rocard dans cette direction, pour établir une gestion plus humaine, plus proche des gens ?

(applaudissements)

 Au bout du compte, ce que nous voulons, c'est donner aux acteurs du système éducatif plus de liberté, plus de moyens d'exprimer leurs talents, leur sens des responsabilités, pour en finir avec des individus isolés que je décrivais à l'instant, confrontés, seuls, à toutes les contradictions de la société. Nous voulons des individus autonomes parce qu'intégrés dans un système cohérent, travaillant en équipe, acteurs de projets d'établissements, insérés dans une grande action de rénovation de l'Éducation Nationale à laquelle nous voulons redonner un sens. C'est cela que nous voulons faire, avec vous et pour vous !
 J'attends du parti qu'il soit un laboratoire d'idées, qu'il accompagne notre action. Je vais à la commission éducation, et je me tiens au courant de ces travaux, je l'écoute, et j'attends de vous tous une collaboration comme vous attendez de ma part une écoute. Lorsque nous reprenons les 26.000 maîtres auxiliaires qui étaient sur le point de rejoindre les rangs du chômage...

(applaudissements)

...nous le faisons dans un esprit de justice sociale. Lorsque nous rouvrons 1.000 classes fermées hâtivement par nos prédécesseurs, nous rétablissons l'égalité républicaine, malmenée par la calculette.

(applaudissements)

 Lorsque nous mettons 40.000 emplois-jeunes à l'école c'est pour faire évoluer les pratiques pédagogiques, adapter les rythmes scolaires, lutter contre la violence (applaudissements), lorsque nous entreprenons d'introduire les nouvelles technologies à l'école, en privilégiant la formation, l'approche pédagogique, c'est pour moderniser un système d'enseignement et former nos enfants au 21ème siècle.
 Lorsqu'avec Martine Aubry et Bernard Kouchner nous nous attaquons à la réforme de la recherche médicale, c'est pour améliorer la Sécurité Sociale et la qualité des soins donnés à tous. Lorsque nous mettons en place avec Dominique Strauss-Khan un capital-risque pour créer les PME/PMI innovantes, c'est pour lutter contre le chômage, mais aussi pour préparer l'avenir, libérer l'imagination des chercheurs et valoriser notre recherche.
 Lorsqu'avec Jean-Pierre Chevènement et Élisabeth Guigou nous nous attaquons à la violence à l'école, c'est d'abord pour protéger les enseignants et les élèves et rétablir l'école de la République (applaudissemnts).
 Quelques principes simples lui donnent sa cohérence et son sens à toute cette action : d'abord s'appuyer en les rénovant sur les principes intangibles de la République et de la Démocratie citoyenne.

(applaudissements)

 D'abord, la laicité qui aujourd'hui plus que jamais est d'actualité, c'est le libre arbitre pour chacun, c'est le refus des dogmes, c'est le refus des sectes, c'est le refus des aliénations.
 L'accès à la citoyenneté : c'est d'abord comprendre le monde, c'est faire que la science ne soit plus captée, capturée par quelques experts mais rentre dans la culture pour tous, c'est aussi en même temps comprendre la société, en respecter les règles, aimer son prochain et faire jour à ce beau mot de fraternité.
 La liberté, mes chers camarades, le socialisme, sont une entreprise collective parce qu'avant tout ils libèrent l'individu et font passer l'intérêt général avant les particularismes. Et c'est pourquoi c'est l'enfant, l'étudiant qui sont au centre du système éducatif. Tout le reste en découle !

(applaudissements)

 Mais nous voulons aussi nous adapter à un monde qui change et que nous voulons faire changer. Certains ont cru que l'égalité, l'égalité des chances à laquelle nous sommes attachés, était l'égalitarisme, c'était une erreur, l'égalité c'est la diversité : c'est donner plus aux quartiers pauvres, aux régions en difficulté, à ceux qui ont moins, c'est reconnaître les talents, tous les talents, et ceci à toutes les époques de la vie, c'est admettre que la musique est aussi importante que les mathématiques...

(applaudissements)

 Inventer l'avenir, c'est une valeur du socialisme plus que jamais présente aujourd'hui parce que nous vivons dans un monde qui évolue vite, qui change rapidement et qui refuse et que nous refusons.
 Nous refusons de remplacer l'humanisme par l'économisme, nous devons aussi faire naître l'espoir, et le rêve, et je vais terminer là-dessus, c'est pourquoi le cœur du projet que je vous propose pour rénover le système éducatif au sens large est fondé sur deux principes : construire l'Europe, construire l'Éducation continue.
 L'Europe : la construire patiemment, ardemment. Nous, socialistes, nous croyons à l'Europe parce qu'elle offre à notre continent les perspectives d'espoir, d'essor, de croissance, parce qu'elle tourne le dos aux déchirements du passé mais aussi parce qu'elle est l'illustration de la fraternité des peuples à laquelle, depuis la naissance du socialisme, nous croyons.
 Nous devons construire une université européenne, puis une école européenne qui intégrera à la fois ce qui fait nos particularismes, nos langues, y compris nos langues régionales, bref notre diversité...

(applaudissements)

... et donc notre richesse, mais aussi ce qui fait nos valeurs communes, notre culture et notre histoire.
Mais le projet le plus important, chers camarades, le plus profond qui me tient à cœur, et probablement le plus difficile, c'est l'éducation continue. Dans un monde où les savoirs évoluent si vite, où une découverte scientifique nouvelle émerge chaque jour, où les frontières des disciplines scientifiques s'estompent, se brisent ou se déplacent, il n'est plus possible d'apprendre tout à l'école, puis après de l'appliquer. Il faut apprendre à l'école les savoirs fondamentaux, les méthodes; apprendre à innover, à épanouir sa personnalité, il faut une éducation initiale concentrée, plus intensive qu'extensive, mais il faut aussi, il faudra en plus revenir à l'école tout au long de sa vie pour se perfectionner, pour apprendre les nouveaux savoirs, mais aussi pour y apporter son propre savoir.
 C'est donc une école ouverte où le message passe dans les deux sens, où celui qui vient y reçoit quelque chose mais y apporte la propre expérience de sa vie. C'est une nouvelle école.

(applaudissements)

 Dans un monde qui réclame de mobiliser tous les talents, où l'on sait que l'apprentissage est le mécanisme fondamental du cerveau, pourquoi figer la hiérarchie sociale à 20 ans par une scolarisation sélection définitive ?

(applaudissements)

 Pourquoi ne pas construire un système éducatif ouvert à tous, à tout âge de la vie, pourquoi parler de deuxième chance et pas d'une chance permanente qui permette d'obtenir les mêmes diplômes en formation initiale et en formation continue, qui permette à chacun, à tout moment, de rattraper un retard, imposé par les vicissitudes de la vie ?
 Et bien sûr, l'Université est au cœur du projet, en pensant à cette nouvelle manière d'aborder l'école ou la recherche.
 Irriguer le savoir ou la formation professionnelle s'inscrira dans la culture générale, où formation et éducation marcheront main dans la main.
 Je veux redonner à toute la jeunesse de ce pays l'espoir et peut-être demain susciter le rêve.
 Je veux redonner l'espoir aux jeunes des banlieues difficiles, et en luttant contre la violence à l'école nous pouvons faire un exercice de structuration et d'éducation non de répression !

(applaudissements)

 Nous croyons que cette énergie, qui se déploie de manière néfaste parfois, est une formidable source d'énergie créatrice, si nous savons l'inverser. Je veux redonner l'espoir à ceux que le système éducatif encore trop rigide a éliminé en chemin, et qui sentent en eux-mêmes l'existence de talents qu'ils n'arrivent pas à exprimer. Je suis socialiste, je pense que les talents sont nombreux, multiples et divers, je crois que le moteur d'une société c'est la justice sociale pour chacun de nous, individus, et finalement le moteur c'est l'espoir.

(applaudissements)

Claude Allègre, Brest, 22 novembre 1997



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