Congrès de Brest
Discours de Martine Aubry
vendredi 21 novembre 1997

Martine Aubry


 
Chers amis, mes chers camarades,

 Je suis heureuse parce que nous retrouvons aujourd'hui cette ambiance de fraternité et de chaleur qui est celle des beaux moments de notre parti.
Je suis heureuse parce que nous sommes à Brest, une ville qui, depuis plusieurs années, reste fidèle à la gauche pour surmonter ses difficultés industrielles et chercher des solutions pour assurer son avenir.
Je le suis d'autant plus que ce congrès nous donne l'occasion de retrouver nos amis de l'internationale socialiste, aux côtés desquels nous menons les mêmes combats pour un monde meilleur, pour les libertés, pour la justice et la solidarité.
Permettez-moi de vous dire mon émotion d'être aux côtés de nos camarades algériens, israéliens et palestiniens. Dans ces régions frappées par l'intolérance et les intégrismes, ils savent rester debout et donner plus de sens encore à nos combats.
Brest n'est évidemment pas un congrès comme les autres.
Parce que c'est le dernier congrès des socialistes avant la fin de ce siècle.
C'est l'occasion de saluer les combats pour les idées et un idéal menés par des femmes et des hommes, syndicalistes, militants de notre parti et d'autres partis de gauche.
C'est ici, celui de Tanguy Prigent, grande figure du socialisme breton, qui fut l'un des 80 députés à refuser dès 1940 les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. A l'heure où certains tentent d'échapper à leurs responsabilités, il fallait ici le rappeler.
Permettez-moi de saluer aussi la mémoire de Jean Poperen. Il doit rester pour nous une référence pour sa rigueur morale, son intransigeance à défendre nos valeurs et à inscrire notre parti dans la dynamique du mouvement social.
Ce que nous sommes, là où nous sommes aujourd'hui, tient pour beaucoup à eux tous !
Brest n'est pas un congrès comme les autres, trois ans après Liévin, après le magnifique succès de Lionel Jospin aux présisidentielles et alors que nous sommes au pouvoir depuis six mois.
Notre parti est aujourd'hui apaisé, rassemblé.
Nous avons construit un projet crédible et audacieux. Les militants l'ont défendu pas à pas autour de notre livre vert, tout au long de la campagne législative dans les immeubles, sur les marchés, dans les réunions.
Cette victoire est celle de l'ensemble des militants, de nous tous. Mais elle est d'abord la victoire de Lionel Jospin qui a su redonner à tous la fierté d'être socialistes. Oui Lionel, c'est ta victoire.
Ne revenons pas sur le passé.
Il y a eu cette dissolution de convenance, cette manière de faire de la politique dont les Français ne veulent plus.
l y a eu cette déception face à un gouvenement qui a trahi ses promesses.
Mais je veux surtout croire que cette victoire s'inscrit dans un mouvement plus profond. Les Français, mais au-delà les Européens, et sans aucun doute chaque jour plus d'hommes et de femmes dans le monde, ne veulent plus d'une société :

  • où les riches sont toujours plus riches,

  • où une majorité se bat pour rester dans la course,

  • où l'on se satisfait d'avoir 20 % - et demain plus - d'exclus sur le bord de la route.

Ils ne veulent plus d'un modèle où les intérêts financiers dirigent la société au nom de la mondialisation et au mépris des choix démocratiques.
Ils sont de plus en plus convaincus qu'il y a un autre modèle possible à opposer à l'ultralibéralisme que l'on veut nous présenter comme le seul modèle efficace.
On nous dit que le libéralisme, c'est l'initiative, mais nous savons que c'est toujours plus d'individualisme.
On nous dit que le libéralisme, c'est l'efficacité, mais nous savons aussi que seule compte la rentabilité financière.
On nous dit que le libéralisme, c'est le progrès social. Mais nous savons qu'il engendre toujours plus de précarité, d'inégalités et d'exclusion.
Si l'efficacité, l'innovation, l'initiative ont leur rôle à jouer dans le marché, si elles permettent la concurrence, elles ne peuvent guider toute l'économie et encore moins la société.
Le marché est myope. Il n'anticipe pas. Il n'organise que la réponse aux besoins solvables et immédiats. Il ne répond pas aux besoins collectifs.
Nous savons qu'aux États-Unis, 40 millions de personnes sont exclues du système de santé. Nous savons que Mme Thatcher a réservé en Grande-Bretagne l'école à ceux qui ont de l'argent, vilipendé et détruit les services publics.
La croissance florissante aux États-Unis qu'on nous vante tant, on en connaît aujourd'hui les résultats : depuis dix ans, les revenus de 10 % des plus pauvres ont diminué de 28 %, tandis que ceux des 10 % des plus riches ont augmenté de 22 %.
Ce modèle n'est pas le nôtre, c'est celui de l'individualisme, de la loi du plus fort. Il exclut un grand nombre de citoyens des droits fondamentaux à la santé, à l'éducation, au logement, à la sécurité.
Alors que beaucoup de Français étaient sans espoir, que d'autres se repliaient sur eux-mêmes ou étaient tentés par l'extrémisme, une majorité nous a fait confiance pour proposer un autre modèle.
Une confiance raisonnée, attentive, et non pas un chèque en blanc. Une confiance vigilante et nous ne pouvons que nous en réjouir car c'est bien le signe d'une grande maturité de nos concitoyens.
Ils ont bien compris qu'il ne suffit plus de corriger les effets néfastes du marché, ou d'éviter à la marge ces effets pervers.
Ils nous demandent avec modestie mais détermination de proposer un autre modèle. C'est je crois ce que nous avons entrepris.
Et c'est profondément le rôle de la politique.
La politique refuse la fatalité et l'immobilisme, la politique fait des choix, défend des valeurs, elle ouvre des voies et des perspectives.
C'est ce que nous faisons au travers du pacte républicain, du pacte de développement et de solidarité proposé par Lionel Jospin aux Français.
 Ce nouveau modèle de développement :

  • c'est construire un meilleur équilibre entre l'État et le marché,

  • c'est mieux répartir et utiliser nos richesses,

  • c'est croire que nous pouvons mieux vivre ensemble, que chacun a sa place dans notre société.

C'est ce que nous devons commencer à faire depuis six mois.
Le gouvernement a fait de l'emploi sa priorité numéro 1.

Que n'a-t-on entendu sur les critères de Maastricht qui nous interdiraient toute initiative. Sur le déficit budgétaire qui nous empêcherait toute marge de manœuvre. Eh bien, nous avons fait des choix.
Ils avaient mis en panne la croissance en bridant la consommation, nous l'avons relancée en aidant ceux qui en ont le plus besoin.
Nous avons augmenté le SMIC.
Nous avons quadruplé l'allocation de rentrée scolaire.
Nous avons augmenté les aides au logement.
Ils avaient prélevé 120 milliards sur les ménages. Nous avons rééquilibré les prélèvements entre les revenus du capital et les revenus du travail :

  • en augmentant les bénéfices des grandes entreprises.

  • en accroissant la fiscalité sur les revenus du capital.

  • en augmentant par la CSG la part des revenus du capital dans le financement de la protection sociale tout en distribuant du pouvoir d'achat aux salariés, et à une grande partie des actifs.

Ils avaient tout attendu d'une croissance improbable en faisant confiance aux lois du marché. Mais s'il faut, bien sûr, encourager et soutenir la croissance, nous savons aussi qu'elle ne suffira pas à faire baisser durablement le chômage.
 C'est la raison pour laquelle il est gemps d'ouvrir d'autres pistes.

D'abord en recherchant et favorisant les métiers de demain dans les nouvelles technologies, dans le développement local, en aidant les PME et autour des nouveaux besoins.
Ceux-ci sont immenses, que ce soit les services aux personnes, la qualité de vie ou l'environnement. Le marché n'y répond pas. L'État investit fortement pour mieux vivre ensemble et pour redonner l'espoir à 350.000 personnes.
Il y a là une rupture fondamentale avec le passé, avec les politiques de l'emploi traditionnelles qui baladaient les jeunes de stages en stages sans leur offrir un avenir. Ces politiques ont toutes échoué, et ce furent aussi les nôtres. Reconnaissons-le !
Aujourd'hui nous leur offrons des emplois pérennes, de vrais métiers qui mettent leur énergie et leur enthousiasme au service d'une société moins dure et plus solidaire.
C'est cela ouvrir des marges de manœuvre. C'est cela la volonté politique !
Autre voie: la réduction du temps de travail. Nous irons vers les 32 heures. C'est un mouvement historique. Les 35 heures, nous les avions promises, nous les avions annoncées, nous les ferons. N'en déplaise à certains !
Nous pouvons créer des centaines de milliers d'emplois en adaptant l'organisaiton du travail dans les entreprises. Mais nous donnons à chacun plus de temps pour vivre, pour se consacrer à sa famille, ses loisirs, accéder à la culture, se former, militer, participer à la vie associative.
C'est aussi un choix de société.
L'État prend toutes ses responsabilités dans la loi mais confie aux négociations la fixation des modalités concrètes.
Faire de l'emploi notre priorité, c'est aussi lutter contre toutes les exclusions. Il est honteux que notre pays connaisse encore autant de misères, que tous n'aient pas accès aux droits fondamentaux, aux droits essentiels tout simplement pour vivre dignement, la tête haute.
Comment être citoyen lorsqu'on n'a pas de toit ?
Où est la République dans les quartiers, véritables zones de relégation sociale, lorsqu'il n'y a plus d'emplois, plus de services publics et où les fonctions essentielles de la société n'existent plus, à l'exception peut-être de l'école et des enseignants souvent, on ne le dira jamais assez, les seuls liens avec la société ?
Où est la dignité d'un pays lorsque des parents ne peuvent payer la cantine scolaire à leurs enfants ?
La lutte contre l'exclusion ce n'est pas l'assistance aux plus fragiles, c'est redonner à chacun les moyens de retrouver sa vraie place dans la société, et d'être pleinement responsable.

La lutte contre l'exclusion, c'est rétablir la solidarité en dégageant partout les ressources et les moyens nécessaires pour retisser le lien social.
La lutte contre l'exclusion est là encore une question de volonté politique, tout le contraire de la compassion. Le Samu Social, c'est dans doute utile, mais l'accès de tous à un logement ou aux soins, c'est un choix de société autrement plus ambitieux.
C'est le sens du programme du gouvernement et de la loi que je prépare, à la demande du Premier ministre, avec l'ensemble du gouvernement. Un programme sur trois ans qui fixe des priorités, dégage des moyens importants et donne un réel contenu aux orientations que nous travaillons avec l'ensemble des associations.
Les salariés ont toujours été au cœur du projet socialiste. Nous refusons la dérégulation qui précarise. Nos entreprises ne se développeront pas en fragilisant les travailleurs. Il nous faut trouver les voies d'un équilibre entre une souplesse nécessaire mais choisie et de nouvelles sécurités.
Ces priorités montrent que ce nouveau modèle de développement ne se décrète pas.
Nous le savons: le changement ne viendra pas seulement d'en haut, uniquement par la loi. Il faut négocier, il faut débattre, pour les 35 heures, pour la santé.
Alain Juppé a voulu faire évoluer les hôpitaux en les asphyxiant par des règles de trois, décidées dans un cabinet ministériel.
Nous, nous savons que les Français tiennent à leur hôpital, parce que c'est le lieu où l'on naît, où on est soigné pour des maladies parfois graves. Nous savons que l'hôpital est souvent le premier employeur d'une ville, que l'hôpital est un élément essentiel de l'aménagement du territoire.
Nous savons aussi que l'hôpital doit évoluer. Mais ce n'est pas à partir de décisions technocratiques et autoritaires, mais bien en partant des besoins de la population et en veillant à la qualité des soins.
Tout cela nous allons en débattre avec les élus, les professionnels de la santé et les Français.
C'est ainsi que l'on fera bouger la société !
Mobiliser la société, changer nos pratiques, nous l'avons dit, nous le faisons.
La façon dont Lionel Jospin a conçu le travail au sein du gouvernement en est une preuve: il a restauré le débat politique avant les grandes décisions.
C'est aussi cela faire de la politique autrement: débattre, discuter, puis décider.
Mais c'est aussi renforcer la démocratie, en donnant toute sa place au Parlement.
Les députés de la majorité doivent enrichir les projets du gouvernement, en amont par la concertation, lors des débats par des amendements.
C'est ce que nous avons fait pour les emplois jeunes, c'est ce que nous faisons pour la réduction du temps de travail.
Cette conception de la démocratie, nous devons l'appliquer à nous-mêmes et à tous les niveaux de la société, dans nos villes, dans les quartiers.
Nous devons vaincre nos réticences, occuper sur le terrain.
Notre pays souffre encore d'un déficit démocratique. Il nous reste beaucoup à faire.
Pour servir cette ambition, nous avons besoin d'un parti fort à côté du gouvernement.
Fort dans sa capacité à expliquer ce que nous faisons, pour que les Français en comprennent le sens et accompagnent notre politique.
Fort de sa proximité avec les citoyens pour faire remonter leurs attentes et leurs aspirations.
Fort dans sa volonté de renforcer ses liens avec l'ensemble des composantes de la gauche pour débattre, confronter nos positions et permettre le rassemblement.
Le Parti socialiste doit aussi être vigilant pour que le gouvernement n'oublie jamais que gérer n'empêche pas de réformer.
Il doit, bien sûr, s'ouvrir à tous ceux que nous savions un peu oubliés dans les années 80 : les militants associatifs, syndicaux, les jeunes mais aussi les générations issues de l'immigration.
Grâce au non cumul des mandats, à la place donnée aux femmes, aux nouvelles pratiques politiques, notre parti est au cœur de cette rénovation tant attendue. Il faut poursuivre.
Et je suis certaine que François Hollande par ce qu'il est, par ce qu'il représente mais aussi parce qu'il y croit profondément, portera cette vision de notre parti et ainsi le renforcera.
Mais il nous reste à travailler sur nos pratiques mais aussi sur des chantiers où il nous faut clarifier nos positions.
Et d'abord, l'avenir du service public.
Le service public doit être défendu et maintenu parce qu'il est la base de notre cohésion sociale.
Consolider, développer le service public aujourd'hui, ce n'est pas pratiquer le statu quo, c'est l'aider à évoluer.
Évoluer dans ses missions, évoluer dans ses pratiques, améliorer son efficacité, les Français doivent pouvoir se dire que chaque franc dépensé par l'impôt est bien utilisé.
Il nous faut aussi réfléchir à la façon dont nous voulons vivre ensemble. Le socle de notre vie en commun, ce sont les lois de la République. Chacun doit les respecter mais la République doit aussi respecter chacun et partout.
Comment traiter de la même manière les citoyens qu'ils soient puissants ou fragiles. Nous ne pouvons plus accepter que les droits soient acquis pour certains, distillés à beaucoup et refusés à d'autres.
Notre État doit bouger. Il n'est pas acceptable qu'obtenir un droit quand on est fragile nécessite parfois, mais hélas de plus en plus souvent, de se mettre à nu, de se voir humilier. Il n'est plus acceptable que les services d'hôpitaux les plus renommés soient réservés en priorité aux privilégiés, que les lycées et les universités les mieux cotés accueillent les meilleurs. Tout cela est inadmissible alors que l'on enseigne à nos enfants ce qu'est l'égalité. Tout cela nous devrons en discuter, en débattre dans notre parti.
Autre chantier majeur pour l'avenir: comment s'unir autour du Pacte républicain sans casser l'individu, sans le couper de ses racines, sans nier les différences.
Nous ne combattrons pas le modèle mondial, Mac Do ou Coca Cola par une identité française recluse dans le passé, immobile et uniforme.
L'identité française c'est autre chose. La France est faite d'un mélange subtil et toujours en mouvement, entre projet intégrateur et la reconnaissance des différences qui l'enrichissent. Pourquoi ne pas reconnaître que la cohésion sociale, qui fait une société, est d'autant plus forte que cette société offre des possibilités à chacun d'adhérer à des valeurs communes et permet aux particularismes d'exister, dès lors qu'ils ne sont pas en contradiction avec nos valeurs.
A l'inverse, la France recule lorsqu'elle montre du doigt ses étrangers, lorsqu'elle perd ses identités régionales et culturelles au profit d'un modèle uniforme.
Sur ce sujet-là, aussi, notre débat n'est pas clos et nous devons poursuivre notre travail.
Ce modèle de société est en devenir mais il est déjà en marche.
En France aujourd'hui, demain dans toute l'Europe. C'est ainsi qu'elle retrouvera sa place dans le monde en opposant au libéralisme dérégulé une société qui a remis l'homme au centre de ses choix.
Hier à Luxembourg, une première étape a été franchie. Nous avons maintenant les objectifs de Luxembourg.

  • C'est une Europe pour l'emploi.

  • C'est une Europe qui retrouve ses valeurs.

Le chemin est encore long mais les Européens peuvent retrouver l'espoir.
Sachons, mes chers camarades, ici dans notre parti, en France comme en Europe, nous rappeler que nous ne sommes jamais aussi forts que lorsque nous défendons nos valeurs.

 Martine Aubry, Brest, 21 novembre 1997



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