Comment passer aujourd'hui à l'an II de la décentralisation ?

Contribution au Congrès de Grenoble de novembre 2000,
présentée par Christophe Clergeau, membre du Conseil national, Lucile Schmid, membre de la section du 4ème arrondissement de Paris et Stéphane Gozlan, membre de la section du 7ème arrondissement de Paris, membre du Conseil fédéral de Paris.


 
Les lois de décentralisation de 1982 restent près de 20 ans après l'arrivée historique de la gauche au pouvoir en 1981 l'un de ses actes les plus forts. Elles ont modifié l'équilibre des pouvoirs et permis d'engager une réflexion d'ensemble sur l'articulation entre l'Etat et les différentes collectivités locales. La décentralisation avait à l'époque pour complément naturel la déconcentration avec un renforcement du rôle des préfets. Elle avait été pensée comme une remise en cause raisonnée d'une trop forte centralisation.

Aujourd'hui la perspective a changé. La décentralisation est défendue comme un processus naturel et indispensable à droite comme à gauche. Le débat historique entre jacobins et girondins se poursuit au sein même des partis. Les arguments échangés sur le statut de la Corse montrent l'importance du phénomène ; le sujet de la décentralisation renvoie inévitablement aux questions de l'autonomie territoriale et de l'unité nationale. Il est au centre des problématiques concernant la place de l'Etat dans le monde comme en matière de présence institutionnelle de proximité.

La montée en puissance de l'Europe et des questions internationales a modifié la physionomie des états nation, et les attentes de la société à leur égard. La France est devenue l'un des principaux pays européens d'accueil des investissements étrangers, l'espace européen s'est unifié, la circulation des hommes en son sein est devenue naturelle. Les débats que la mondialisation a suscités dans la société ont illustré la transformation des relations entre l'Etat et les citoyens. L'horizon s'est élargi, le souci de comprendre et de dialoguer des électeurs avec leurs représentants s'est accru, des interrogations identitaires nouvelles sont apparues. C'est l'ensemble des points de repère culturels, politiques, historiques de chacun qui se trouve bouleversé. Pays, territoires, communautés, ruralité, régionalisme ....ces termes qui appartenaient au vocabulaire des sciences sociales ont acquis une vraie signification politique. Ils se heurtent et se conjuguent à un autre vocabulaire plus technocratique qui a partie liée avec le développement économique: aménagement du territoire, CPER (contrats de plan Etat/région), FEDER (fonds européen de développement régional). Plus que jamais les français ont pour faire face à ces évolutions besoin de références proches et structurées et de leviers d'action.

Une décentralisation citoyenne

Dans les années 1980, la décentralisation a été pensée et mise en œuvre par rapport à l'Etat et aux héritages de l'histoire française. Elle a défini des nouveaux rapports de force entre les élus et l'administration. Il fallait créer des contrepouvoirs proches du terrain pour rétablir un équilibre par rapport à l'action des technostructures locales de l'Etat. 20 ans après les collectivités locales ont acquis de nouveaux moyens d'action. Mais cette évolution positive s'est inévitablement accompagnée de fonctionnements plus complexes qui posent de vraies questions de transparence et d'efficacité. Les français sont devenus plus exigeants. Au-delà des mots ils sont sensibles aux pratiques de pouvoir et souhaitent évaluer la réalité des intentions électorales.

C'est pourquoi il faut changer d'optique. La décentralisation doit aujourd'hui être conçue par rapport aux attentes des citoyens. Elle est d'abord un moyen de rendre les élus plus proches des gens, une occasion de redonner du sens à la politique. C'est un processus global : politique et institutionnel, mais aussi économique et culturel.

Sur quels chantiers les français nous attendent-ils ? Tous ceux qui ont un lien avec la manière d'exercer les responsabilités politiques. Ils veulent plus d'efficacité, plus de transparence, plus de proximité et un meilleur contrôle de l'utilisation des deniers publics. Un rapprochement des mécanismes de la décision publique et l'ouverture de débats que l'éloignement de la politique nationale ne permet pas. L'approfondissement de la décentralisation ne saurait être dissocié d'une réflexion sur la démocratie participative.

Les réflexions sur cette décentralisation citoyenne doivent s'organiser autour de 3 éléments :
 une personnalisation plus grande des relations entre les élus et les citoyens,
 l'articulation entre les compétences, les pouvoirs et les enjeux au niveau local, national et européen
 le respect du principe d'égalité sur l'ensemble du territoire en donnant aux notions d'espace rural et d'espace urbain la place qui leur revient. En ce sens la débat sur la décentralisation est indissociable de celui sur la présence institutionnelle et politique de proximité des acteurs publics.

Une décentralisation française dans l'Europe et le monde

Ce qui frappe dans les débats sur la décentralisation dans notre pays c'est leur caractère franco-français. Or si le débat sur la décentralisation trouve aujourd'hui une nouvelle vigueur c'est bien qu'il a lieu dans un contexte de renforcement de l'Europe et d'explosion des débats sur ce qu'est une bonne ou une mauvaise mondialisation.

Il ne s'agit nullement de penser que la construction de l'Europe appelle un schéma idéal (" l'Europe des régions " est celui qu'on invoque couramment). Chaque pays membre de l'Union européenne a son histoire et sa géographie institutionnelle. Mais plusieurs vérités doivent être dites.

D'abord le fonctionnement des institutions européennes nous invite à une réflexion sur les bonnes manières de s'y faire entendre et d'y jouer un rôle à la mesure des enjeux. Le jeu des différents intérêts économiques et politiques s'exprime librement à Bruxelles ; la diversité des points de vue est la règle, la nécessité de trouver des compromis un mode d'existence. Ce que nous montre l'exemple européen c'est que pour se faire entendre le modèle très français de " parler d'une seule voix " ne présente pas que des avantages. La plupart des collectivités locales l'ont compris qui défendent directement leurs dossiers à l'échelon européen. Mais cette évolution, qui est dans l'ordre des choses, ne s'est pas accompagnée d'un débat sur la coordination entre les acteurs privés, les collectivités locales et l'Etat en matière européenne. Le sentiment est parfois celui d'une certaine cacophonie.

Ensuite, il faut accepter de penser notre géographie institutionnelle au risque de l'Europe. C'est une étape importante pour refonder notre engagement européen. Jusqu'à présent la France n'a pas surmonté son ambivalence originelle. Puissance fondatrice mais anti-fédérale, puissance dynamique mais anxieuse de préserver sa spécificité et son identité. Nul pays plus que le nôtre n'a dénoncé le risque de dilution qui guettait la construction européenne ; comme si nous craignions surtout de nous y perdre nous-mêmes. Cette ambivalence traverse les débats sur la décentralisation. Les non dits l'emportent. Le sentiment qu'il faudra rapprocher la carte française d'un schéma standard où les régions jouent un rôle central progresse mais comme s'il s'agissait d'une menace à repousser le plus longtemps possible. Au contraire il faut engager dès maintenant cette réflexion en s'efforçant d'imaginer comment construction européenne et histoire du territoire français peuvent se conjuguer. Les départements ne sont pas condamnés parce que l'Europe progresse ; leur rôle comme ceux des autres collectivités locales doit évoluer.

Un Etat plus proche et plus actif dans une France plus décentralisée

On ne soulignera jamais assez l'ampleur des attentes des Français par rapport à leur Etat. C'est une tradition. L'Etat est le garant de l'égalité et d'une redistribution équitable des ressources. Mais ces attentes ont changé de nature. Comme pour leurs élus les français souhaitent un Etat plus proche, plus humain. En 1982 la décentralisation appelait une plus grande déconcentration par souci de conserver un certain équilibre des pouvoirs. Aujourd'hui elle appelle une réflexion sur la proximité de l'Etat, la conciliation des grands principes et d'une approche concrète des interrogations de chacun.

Qu'entendre par proximité de l'Etat ? D'abord sa présence. Ce sujet est particulièrement sensible dans certains espaces ruraux. Mais il l'est aussi dans les grandes agglomérations, dans certains quartiers difficiles. Plus de décentralisation c'est aussi plus de politique de la ville, plus de correction des inégalités. Et donc une réflexion sur l'allocation équitable des moyens financiers et en hommes de l'Etat au sein du territoire national. C'est un vrai chantier. Aujourd'hui il est impossible d'obtenir de l'administration le nombre de fonctionnaires présents dans un département, particulièrement pour les fonctionnaires chargés de la sécurité; la comparaison des chiffres révélerait sans doute des inégalités très fortes.

Un Etat proche c'est un Etat qui communique. Communication avec les élus et avec les citoyens. Il faut restreindre les secrets de l'Etat à leur périmètre strict et comprendre que la confiance des français dans leur administration se jouera demain sur les thèmes de la réactivité et de la transparence. La communication doit être générale, porter sur de grands messages et une vision. Mais elle doit être aussi particulière, proche, personnalisée, en marquant une vraie disponibilité. Il faut apprendre à chaque fonctionnaire à décliner le sens du service public et de l'intérêt général avec les mots qui conviennent à nos concitoyens et les réalités de son espace professionnel.

Un Etat proche enfin c'est un Etat qui fait respecter le droit dans l'ensemble des garanties qu'il procure au citoyen. Or nos concitoyens s'interrogent aujourd'hui sur l'égal accès de tous à la justice, sur les délais mis à sanctionner certaines affaires. Ils demandent plus de transparence et plus de sanction. Il faut sortir de l'ère du soupçon. Si celui-ci persistait, il porterait en germe le risque d'une désaffection plus poussée des français à l'égard de la politique. Depuis 1982, les chambres régionales des comptes et les tribunaux administratifs ont acquis une importance considérable dans le paysage institutionnel français. Il faut cependant réduire les délais de traitement de certains dossiers. Surtout cette logique de contrôle doit se doubler d'une logique d'intégration du droit en amont des décisions des collectivités locales. C'est l'image de l'ensemble de nos élus qui est concernée.

La décentralisation implique l'ouverture de chantiers difficiles. Pas d'approfondissement de la décentralisation sans interrogation sur la géographie des collectivités locales, le renforcement ou le dépérissement d'un échelon par rapport à un autre. Entre le département, collectivité à la forte légitimité historique, et les régions auxquelles la construction européenne a donné une autorité nouvelle faut-il choisir ? Pas d'approfondissement de la décentralisation sans définition d'un statut de l'élu et de ses devoirs. Pas d'approfondissement de la décentralisation enfin sans interrogation sur les principes d'égalité entre les français et de redistribution équitable des ressources. Plus de décentralisation c'est aussi plus de droit et plus de régulation, plus de transparence et de contrôle par les citoyens.

Qu'est ce alors qu'une décentralisation de gauche ? Une décentralisation " corrigée " par le principe d'équité ? Une décentralisation sans exclusion  entre villes et campagnes, riches et pauvres, français et étrangers ? Une décentralisation qui se combine avec l'ouverture au monde et un Etat plus juste et plus moderne ? La décentralisation n'est pas une fin en soi mais une manière de faire de la politique et d'exercer des responsabilités.
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