Le service public, levier stratégique pour promouvoir les solidarités et donner sens à l'Europe

Contribution au Congrès de Grenoble de novembre 2000,
présentée par Dominique Lebevre, Pierre Bauby, Jean-Paul Alletru, Jacques Bozec, Joël Carreiras, Valérie Charolles, Jean-Paul Dorier, Michel Dumas, Jean-François Faugeras, Paul Goosens, Ludovic Grousset, Jean-Georges Heintz, Jean-Paul Parmantier et Emile Ysard.


 
Les services publics sont l'objet en France et au plan de l'intégration européenne d'une vigoureuse offensive à la fois économique – de la part de groupes financiers qui veulent accaparer des rentes – et politico-idéologique – des forces néo-libérales qui veulent faire du marché le régulateur central de la société.

Bien loin d'adopter une attitude défensive, les socialistes et le gouvernement de Lionel Jospin ont depuis trois ans dégagé les conditions d'une contre-offensive. Il s'agit aujourd'hui de la déployer afin de faire du service public un levier stratégique pour promouvoir les solidarités et donner sens à l'Europe. Cela suppose de prendre une série d'initiatives politiques ambitieuses :

1/ Sortir des confusions que recouvre l'expression service public entre, notamment, missions, monopole, propriété publique, Etat, statut des personnels, pour mettre l'accent sur les finalités. Il y a service public pour d'une part garantir le droit de chaque habitant à avoir un accès égal à des biens ou services fondamentaux, d'autre part développer la cohésion et les solidarités sociales et territoriales, enfin mettre en œuvre des politiques publiques (développement durable, environnement, transports, énergie etc.). Les services publics ne sont pas définis pour eux-mêmes, mais pour répondre aux besoins des usagers, des citoyens et de la société. Ils sont donc évolutifs en fonction des besoins sociaux. Il faut sans cesse les moderniser, améliorer leur qualité et leur efficacité : rien n'est plus contraire à l'essence du service public que de rester figé sur la défense de l'existant. Le temps n'est pas à l'affadissement du service public, mais au contraire à son évolution vers plus de qualité, plus d'efficacité, plus de transparence.

2/ La première responsabilité de l'Etat et de chaque autorité publique est de définir avec clarté et transparence, ainsi que d'actualiser régulièrement, de manière globale et pour chaque secteur concerné, quelles sont les missions de service public ; c'est ce que le gouvernement et le Parlement ont fait pour l'électricité, qui est en cours pour le gaz, et devrait être clarifié en particulier pour les télécom (accès à Internet), les services postaux (renforcement du service universel, services financiers), les transports (transport ferroviaire, transports publics locaux, transport combiné), l'eau et l'assainissement (prix, qualité), un service bancaire universel.

3/ Cette clarification des missions doit s'accompagner de la définition des conditions de leur mise en œuvre : cahier des charges et moyens qui peuvent relever soit de droits spéciaux ou exclusifs accordés à tel opérateur pour une période de temps, soit d'un financement public direct, soit d'une caisse de compensation entre opérateurs.

4/ La gestion publique est le mode normal de gestion des services publics (" Tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité " - Préambule de la Constitution de 1946) : l'autorité publique peut promouvoir et s'assurer de la mise en œuvre de véritables projets industriels publics, définir des objectifs et modes de gestion qui prennent en compte d'autres critères que la " production de valeur " des fonds de pension, s'assurer la maîtrise de leurs activités, en particulier la répartition des rentes et de la productivité entre les consommateurs (particuliers et professionnels), l'Etat et les collectivités locales, les opérateurs et les personnels. Des formes mixtes ou d'économie sociale, ainsi que des délégations – réellement contrôlées et régulées, ce qui est encore très insuffisant pour l'eau et l'assainissement - peuvent également être développées.

5/ Dans tous les cas, le service public doit s'accompagner d'une régulation publique forte. S'il y a régulation spécifique des services publics et pas seulement le droit commun de la concurrence, c'est qu'il faut articuler les mécanismes de marché et l'intervention publique. Cela implique de rendre une série d'arbitrages entre des intérêts différents portés par la diversité des acteurs, la prise en compte des intérêts des générations futures, les spécificités territoriales etc. La régulation ne saurait donc relever ni des seuls responsables politiques, ni de la seule expertise administrative, ni du seul contrôle du droit de la concurrence, mais de la confrontation de la pluralité de ces approches.

6/ Une régulation efficace doit prendre appui sur l'existence de véritables évaluations des activités et performances, de l'efficacité économique et sociale des services publics. L'évaluation doit être comparative au plan européen et assurée en continu. Les rapports doivent être publics, afin de susciter des confrontations pluralistes.

7/ Le service public devant reposer sur la satisfaction des besoins à la fois des usagers, des citoyens et de la collectivité, il implique l'expression organisée, permanente et publique, à chaque niveau territorial de tous les acteurs concernés : non seulement les autorités publiques et les opérateurs, mais aussi les consommateurs (les usagers domestiques comme industriels), les citoyens, les collectivités locales et les élus (nationaux et locaux), les personnels et organisations syndicales. Les grands corps de l'Etat n'auront jamais à eux seuls l'intelligence collective issue de l'intervention des usagers et des personnels. Renforcer à tous les niveaux la participation démocratique est une condition indispensable de l'efficacité des services publics.

8/ En matière de gouvernement des entreprises publiques, bien des expériences ont été tentées, mais elles ne sont pas toujours arrivées à empêcher des dérives, en particulier la confiscation des pouvoirs par les dirigeants des entreprises. Ni les conseils d'administration " tripartites ", ni les " contrats de plan " ne sont aujourd'hui suffisants. Il faut associer un renforcement de l'expression et du contrôle de l'Etat et de tous les acteurs concernés, avec l'efficacité de la gestion, par exemple en instaurant Conseil de surveillance associant tous les acteurs et Directoire exécutif. L'Etat doit se donner de réels moyens de pilotage, en particulier des équipes d'administrateurs spécialisés. Les entreprises publiques doivent être exemplaires en matière de relations sociales. Le fonctionnement par objectifs et par résultats ne pourra être efficace que s'il est basé sur la formation, la responsabilisation et l'intéressement des personnels, de façon à modifier les comportements managériaux.

9/ Au plan de l'intégration européenne, il s'agit de prendre des initiatives politiques pour poursuivre le rééquilibrage de la construction européenne engagé par le traité d'Amsterdam (" l'Union, la Communauté et ses Etats membres … veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d'accomplir leurs missions "). L'élaboration de la Charte des droits fondamentaux devrait permettre de compléter ces dispositions et d'asseoir la légitimité des " services d'intérêt général ".

En même temps, il s'agit de faire des propositions offensives pour construire la dimension européenne des services d'intérêt général dans chaque secteur et donner du sens à l'intégration européenne. Par exemple pour les services postaux européens, l'objectif de l'Union européenne doit être d'améliorer le service universel, en particulier de développer la présence postale, notamment dans les quartiers difficiles et les zones rurales ; de rendre tous les services réellement accessibles aux populations défavorisées ; d'améliorer la qualité et la rapidité de traitement du courrier entre les pays européens. La proposition de libéralisation accélérée de la Commission doit être rejetée car elle ne vise pas ces objectifs et conduirait à un démantèlement du service public postal.

10/ La mise en œuvre de ces orientations implique pour le Parti socialiste d'approfondir l'enjeu service public, de renforcer ses capacités de réflexions et de propositions, d'anticiper sur les projets de ceux qui veulent détruire les services publics, d'améliorer la convergence de toutes les instances, des élus locaux et de la FNESER aux parlementaires nationaux et européens. A ces conditions, le service public pourra être un vecteur essentiel de notre stratégie politique.

– Premiers signataires :

Dominique Lebevre, responsable national au secteur public  Pierre Bauby, délégué national Service public européen   Les membres de la Commission Services publics à caractère industriel et commercial :Jean-Paul Alletru, Jacques Bozec, Joël Carreiras, Valérie Charolles, Jean-Paul Dorier, Michel Dumas, Jean-François Faugeras, Paul Goosens, Ludovic Grousset, Jean-Georges Heintz, Jean-Paul Parmantier, Emile Ysard.



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