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La mise en place d'une citoyenneté européenne suppose que se développe une solidarité européenne. jamais les Européens n'accepteront l'Europe comme l'un des cadres de référence identitaire, a fortiori comme l'un des plus importants, s'ils ont l'impression que l'Europe a pour vocation de réduire leurs droits sociaux à la portion congrue. L'Europe solidaire que nous proposons doit être porteuse de droits, elle doit offrir aux citoyens une large protection sociale, un droit du travail favorable aux salariés, des services publics de qualité. C'est à ces conditions qu'une conscience européenne peut naître.
A) De l'Etat-Providence à l'Europe Providence
L'État-providence, au cœur du projet social européen que nous devons défendre, est aujourd'hui en difficulté. Il suffit de constater l'incapacité des États actuels à répondre aux grands enjeux économiques et sociaux de cette fin de siècle -difficultés qui sont bien souvent à l'origine d'une certaine désaffection pour le politique, qu'il soit national ou européen. Plutôt que de contribuer à aggraver ces difficultés, l'Europe doit permettre de les résoudre. Si nous voulons l'Europe, c'est justement pour substituer à la faiblesse des États une volonté et des moyens politiques susceptibles d'agir résolument en faveur de la résorption du chômage, de la protection des salariés et de la réduction des inégalités.
- Une Europe de la croissance
Nous savons que l'avènement d'une telle Europe sera favorisé par un contexte de croissance. Nous devons tirer parti du climat de confiance créé par le lancement de l'euro pour mener, au niveau européen, des politiques coordonnées de lutte contre le chômage et de soutien à la consommation. Les conditions n'ont jamais été aussi bonnes : faible inflation, très bas taux d'intérêt confiance retrouvée des ménages. Ne laissons pas passer cette chance ; engageons-nous résolument sur le chemin de la relance européenne, un temps préconisée par Jacques Delors et de nombreux autres socialistes, mais malheureusement abandonnée à cause de l'acharnement des libéraux et des conservateurs à promouvoir l'austérité budgétaire et à refuser l'intervention de la puissance publique. Nous le savons pourtant : l'effet sur la production d'une relance des dépenses publiques (grandes infrastructures, soutien aux nouvelles technologies... ) au niveau de l'Union européenne, serait trois fois plus bénéfique pour la croissance et l'emploi que ce qu'il serait si ces dépenses n'étaient engagées qu'au niveau d'un seul État membre.
N'attendons plus que des cortèges supplémentaires de chômeurs manifestent devant les administrations : faisons de l'Europe l'instrument d'une politique volontariste de croissance.
- Une Europe des services publics
L'Europe de la croissance doit être l'Europe de la redistribution, dans laquelle les services publics jouent un rôle primordial. Comme le rappelait Lionel Jospin en juin 1997, " nos services publics relèvent d'une conception fondamentale de la société à laquelle nous tenons par dessus tout ". Il n'est pas supportable que, secteur par secteur, sous prétexte de lutter contre les distorsions de concurrence, le Conseil et la Commission mettent à mal les services publics, sans tenir compte des besoins sociaux auxquels ils répondent. Ainsi, la nouvelle notion de service universel -qui définit un service de base offert à tous dans l'ensemble de la Communauté dans des conditions tarifaires abordables et avec un niveau de qualité standard n'a d'universel que le nom: elle ne prend sens que lorsque le droit de la concurrence n'a pu s'appliquer. Le traité de Maastricht a beau préciser que l'existence de grands services en réseau est liée à des objectifs de cohésion économique et sociale, la réalité quotidienne est celle de la rentabilité à tout crin, de la déréglementation et de la " démonopolisation " dans l'ignorance quasi complète des exigences de service public. Au revoir le citoyen-usager, bonjour le citoyen-client c'est-à-dire client tout court, en lieu et place de l'usager européen que l'on voudrait voir apparaître…
Pourtant les grèves de novembre-décembre 1995 en France ont fait office d'électrochoc à Bruxelles : dans les couloirs de la Commission, on a commencé à se dire que ne s'occuper que de la concurrence pouvait mettre en danger la construction européenne. Ainsi l'idée d'une modification du Traité afin d'intégrer la notion d'intérêt général, autrement que sous formes d'exceptions dérogatoires au principe de la concurrence, a émergé. À nous d'aider à cette prise de conscience, de faire partager cet attachement à nos autres partenaires européens afin que se construise une Europe des services publics.
- Une norme sociale européenne
Il faut cesser d'opposer Europe de l'avenir et Europe des travailleurs, Europe de l'efficacité économique et Europe sociale. Ces notions sont indissociables. L'adhésion massive des peuples européens dépend de la garantie qu'en zone monétaire unifiée la concurrence ne se fera pas par la baisse des acquis sociaux. La gauche européenne doit se mobiliser pour construire une autre logique que la logique libérale sur laquelle a été fondée la construction européenne, et qui subordonne le social à l'économique, en confortant les entreprises dans leurs stratégies d'abaissement du coût du travail par tout moyen. Le dumping social, la flexibilité, la remise en cause des droits des travailleurs constituent des menaces graves et réelles à la " promotion de l'emploi, à l'amélioration des conditions de vie et de travail en vue de leur égalisation dans le progrès ", telles qu'elles sont visées à l'article 117 du traité de Rome.
L'Europe sociale, telle qu'elle se présente aujourd'hui n'apporte qu'un socle minimum de droits sociaux fondamentaux, et qu'une harmonisation très partielle des droits nationaux sur la santé et la sécurité des travailleurs, les transferts et licenciements collectifs, les maxima sur la durée du travail, l'information des travailleurs et l'égalité homme-femme. Cela peut représenter un progrès pour des pays comme le Royaume-Uni qui ont accumulé un retard effrayant dans le développement de leur législation sociale. Mais ce n'est pas du tout adapté au défi auquel doit faire face le monde du travail devant l'offensive du capital : cadences accélérées, salaires baissés, flexibilité et souffrances au travail. Il nous faut faire des propositions audacieuses pour assurer un haut niveau de protection sociale dans tous les États membres, pour favoriser la mise en place d'un salaire minimum européen et pour coordonner une réduction du temps de travail dans tous les pays de l'Union.
- Une Europe de la solidarité entre les territoires
Un des principaux acquis de la construction européenne est l'existence de fonds structurels destinés à aider les régions en difficulté. Avec la mise en place de l'euro, il devient nécessaire de renforcer ces politiques de solidarité, afin de combattre les inégalités entre territoires. Aujourd'hui, ces politiques sont remises en cause par les libéraux qui voient dans la perspective de l'élargissement l'opportunité de dissoudre l'Union européenne dans un vaste marché. Au contraire, les socialistes doivent conditionner tout nouvel élargissement à un maintien de ces politiques.
De même~ nous devons préserver une Politique agricole commune (PAC), outil au service d'une agriculture de qualité, à taille humaine, respectueuse de l'environnement bénéficiaire de compensations financières distribuées en fonction de critères de justice sociale.
Rien de tout cela ne se fera tout seul. Pour porter un projet social européen, pour faire vivre les solidarités, il faut une mobilisation des Européens.
B) Faire vivre les solidarités : pour une gauche européenne militante et unie
Mobiliser les Européens, tel doit être l'objectif du PS, et au-delà, du PSE (Parti des socialistes européens), qui ne peut continuer à se complaire dans un rôle de séminaire pour dirigeants. Certes, la rédaction d'un programme commun des socialistes européens a été confiée à un petit groupe réuni autour d'Henri Nallet et de Robin Cook On peut saluer une initiative qui représente une première au niveau européen. Pourtant force est de constater que le procédé reste très en deçà des enjeux. Le manque de transparence, l'éviction des militants de ce processus, le calendrier qui conduit à un escamotage pur et simple du débat n'ont aucune chance d'aboutir à un programme précis ou ambitieux. Et quand bien même: doté d'un programme, le PSE est toujours désespérément dépourvu de stratégie.
La stratégie que nous préconisions hier pour la gauche française, nous voulons que la gauche européenne la mette en œuvre : c'est celle de la confrontation sociale. Certes, tout gouvernement, et a fortiori toute coalition gouvernementale, est soumis a un ensemble de " contraintes ". Qu'elles soient &ordre économique ou politique, voire qu'elles relèvent des exigences de certains lobbies, ces contraintes sont largement déterminées par l'idéologie dominante : le libéralisme Être réaliste, ce n'est pas abandonner nos idéaux devant ces pressions, c'est au contraire se battre pour imposer un nouveau rapport de forces. Le PSE a un rôle fondamental à jouer dans la transformation des victoires électorales de la gauche en Europe, en réussite politique. L'Europe sociale, l'Europe des socialistes ne peuvent se construire par le haut. La juxtaposition des partis socialistes au sein du PSE ne constitue pas une Europe socialiste, pas plus que la juxtaposition de gouvernements socialistes ou sociaux-démocrates ne permet de réaliser une Europe sociale. Le PSE doit être en mesure de s'appuyer sur le mouvement social, dont de nombreux indices nous montrent à quel point il tend à devenir européen (ce n'est pas un hasard si aujourd'hui la CGT demande à intégrer la Confédération européenne des syndicats). Il faut que le PSE se mette à son écoute, qu'il tienne compte de ses revendications, et qu'il associe ses différentes composantes à l'élaboration de ses programmes.
Pour réaliser ce changement fondamental, le PSE doit cesser d'être une coquille vide. Certes, il existe de nombreuses difficultés inhérentes au caractère multinational de l'Union : sous l'étiquette social-démocrate ou socialiste, on rencontre des réalités différentes tant au niveau structurel -du parti de masse allemand aux maigres bataillons français- que du point de vue Idéologique- du solide ancrage à gauche du PSOE au travaillisme édulcoré du " New Labour ".
Si l'on veut vraiment avancer, c'est aux militants eux-mêmes qu'il faut faire confiance. C'est à eux qu'il faut s'adresser, si nous voulons qu'une Europe de gauche vole le jour. Si l'on se souciait moins des déclarations d'un Tony Blair ou d'un Gerhard Schröder et plus des réalités militantes, si, connue nous l'avions décidé lors de la dernière convention, nous traduisions et diffusions à nos camarades européens les textes de nos conventions et de nos débats, on s'apercevrait qu'au-delà des différences superficielles, nous partageons tous un même héritage -celui des luttes ouvrières-, les mêmes valeurs fondamentales -l'égalité-, un même projet -défendre et promouvoir un modèle social garantissant droits et revenu aux travailleurs.
La réalisation du contrat social européen, débouché de la confrontation sociale au niveau européen, dont le principe a été adopté par le PS, dépend de notre volonté politique à le mettre en œuvre : faisons enfin du PSE un parti politique opérationnel, qui assume le débat d'idées en son sein. Le PSE fonctionne au consensus et que ce soit pour préserver la paix du ménage ou par crainte d'être minoritaires, nous nous en contentons. En réalité, ce mécanisme " mou " a pour conséquence la platitude des positions et l'inefficacité de l'action. Par peur de la confrontation des idées, nous socialistes, acceptons toutes les dérives et renonçons progressivement à des pans entiers de nos déclarations de principes.
Nous voulons un Parti socialiste européen en mesure de diffuser l'idéal socialiste, animé par des militants qui se reconnaissent en lui -il faut une carte d'adhérent et un journal mensuel du PSE- et qui le font vivre: cela passe par leur participation effective aux travaux préparatoires, aux débats, au déroulement et aux votes des congrès du PSI, et l'organisation de conventions européennes sur l`emploi, les services publics, les institutions, avec des textes communs. Nous débattons, entre Français, du sujet " Nation/Europe ". La moindre des choses ne serait-elle pas de demander à nos partenaires ce qu'ils en pensent ?
Enfin, nous devons favoriser l'émergence de relais, sous la forme de structure de débat permanent dans le mouvement social européen. Cela permettrait aux socialistes du PSE d'être à l'écoute des revendications sociales en Europe et de participer activement à la construction d'une gauche européenne militante et unie.
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