Pour le socialisme,  
|    choisir l'Europe
   fédérale 


F


aire l'Europe
sans renoncer
au socialisme



Texte présenté par :
Alain Vidalies Député des Landes, membre du Bureau national
Jean Mallot membre du Bureau national, Premier secrétaire fédéral de l'Allier
Annick Aguirre (Gironde), membre du Bureau national
Paul  Dhaille Député de Seine-Maritime
Raymond  Douyère Député de la Sarthe
Michel  Blaise Premier secrétaire fédéral de l'Aveyron
Bernadette  BourdatPremière secrétaire fédérale de l'Aisne
Claudine  Barbin (Cher)
Membres du Conseil national
Georges  Bouaziz(Aisne)
Philippe  Kaltenbach(Hauts-de-Seine)
Françoise  Lapeyre (Haute-Garonne)
Jean-Emmanuel Le Goff(Yvelines)
Georges Martel(Val-d'Oise)
Emmanuel  Maurel(Val-d'Oise)
Didier Auxepaules (Calvados)
Membres suppléants du Conseil national
Tanja  Hannemann(Paris)
Marie-France Kerlan(Ille-et-Vilaine)
Raymond  Llorca(Lot)
Fred Mayer(Bas-Rhin)
Françoise  Boilletot(Doubs)
Membres de la Commission Nationale des Conflits
Laurent Miermont(Paris)
Stéphane  Junique(Paris)
Membres de la Commission de contrôle des comptes
Nowfel Leulliot(Paris)
Jean-Yves  Vayssières(Seine-Saint-Denis)
Yves Bertrand(Seine-Maritime), délégué national au mouvement social.


 

Le socialisme a-t-il encore un avenir ? La question pourrait paraître incongrue au moment où socialistes et sociaux-démocrates sont aux responsabilités dans les pays membres de l'Union européenne.

Pourtant les victoires électorales ne sont pas toujours des victoires politiques. Les Européens votent à gauche, mais l'Europe reste profondément libérale. Les conclusions du sommet de Luxembourg, le contenu du traité d'Amsterdam, les positions systématiques de la Commission en témoignent - dès qu'il s'agit de la construction européenne, le libéralisme règne en maître. Même si la gauche est au pouvoir dans 11 pays de l'Union sur 15, le pacte de stabilité budgétaire continue d'être la clé de voÛte de la politique économique communautaire. Les directives européennes relatives aux services publics (EDF-GDF, La Poste) ou à la sécurité sociale (mutuelles, assurances) démantèlent insidieusement notre modèle social au nom de la concurrence érigée en dogme.
Les socialistes ont toujours été européens : par conviction mais aussi par réalisme.

Nous n'avons cessé de dire que l'Europe est le cadre pertinent pour répondre aux effets dévastateurs de la mondialisation capitaliste. Nous n'avons cessé de plaider pour la construction, d'un modèle de société européen aux fondements et aux objectifs radicalement différents du modèle ultralibéral dominant. Force est de constater que nous ne sommes pas aujourd'hui sur cette voie. En Europe comme ailleurs, les mêmes mots d'ordre : austérité budgétaire, déréglementation, délocalisations, ouverture à la concurrence des services publics, flexibilité sur le marché du travail. Et les mêmes effets : précarisation croissante des salariés, augmentation des inégalités, chômage, exclusions. En Europe comme ailleurs, le libéralisme et son cortège d'injustices sociales.

Le gouvernement de Lionel Jospin et les socialistes français partagent ces inquiétudes. La demande d'un sommet communautaire sur l'emploi témoignait de la volonté de réorienter le cours de la construction européenne. Mais chacun s'accorde pour reconnaître que notre action s'exerce à la marge, et n'influe jamais sur l'essentiel.

Il est temps de réagir, de donner, sans ambiguïté, des réponses à notre base sociale légitimement tentée de voir dans l'Europe le cheval de Troie de la mondialisation libérale, de rendre sa souveraineté au peuple, et de construire une réelle solidarité européenne, condition de la citoyenneté.




I  Dépasser :
| l'opposition    
Nation-Europe
 


 

A) Pourquoi faire Europe?

    L'Europe, c'est d'abord l'assurance d'une durable sur notre continent, l'espoir 'entrer dans le XXIème siècle en tournant définitivement. la page après des décennies de conflits meurtriers. Rappeler ce lieu commun, c'est aussi espérer étendre cette réconciliation à l'ensemble du continent souligner e l'existence d'une " poudrière des Balkans " n'est pas plus une fatalité que l'antagonisme franco-allemand.

    Mais l'Europe, c'est surtout la seule façon aujourd'hui de peser vraiment sur la scène internationale.L'effondrement du bloc de l'Est a vu l'avènement d'une hyperpuissance hégémonique. Or il est inacceptable que les États-Unis puissent déclencher une guerre au moindre problème intérieur, et grotesque que l'Europe réagisse en ordre dispersé.
    Au-delà de modifications de nature institutionnelle destinées à renforcer la politique étrangère et de sécurité commune, l'affirmation de l'Union européenne sur la scène internationale passe par une nette remise en cause de l'hégémonie américaine. Il s'agit d'ouvrir une marge de négociation dans la direction des relations internationales, de faire un premier pas vers une gestion multipolaire des crises internationales.

    Construire l'Europe, c'est enfin se donner les moyens de réagir de la seule manière efficace à une évolution majeure : la mondialisation du capitalisme. Les grandes firmes multinationales, dont le chiffre d'affaires est supérieur au PIB de bien des États, peuvent se soustraire facilement aux lois des pays membres en délocalisant brusquement leur production. Seule une politique économique coordonnée peut mettre un coup d'arrêt à ces agissements.

    La création d'une puissance économique et monétaire doit aussi nous donner la possibilité de maîtriser et de contrôler les crises financières internationales, liées à la libéralisation des mouvements de capitaux, notamment en tentant de constituer des remparts face à la prolifération des mouvements spéculatifs : prenons dès aujourd'hui l'initiative de proposer à nos partenaires européens la mise en place de la taxe Tobin à l'intérieur de l'Union européenne.

    Dès 1983, nous avons constaté qu'il n'y avait plus guère de réponse nationale possible. Reste une alternative : se soumettre, ou changer d'échelle.

    Tout cela, nous, militants socialistes, nous le savons. Nous avons pris conscience qu'un Etat-nation, si puissant soit-il, ne peut seul relever ces défis. Qu'une intégration dans une zone économiquement cohérente et partageant les mêmes valeurs peut constituer une première étape vers un internationalisme qui reste notre idéal.

    Les pays européens ont en effet en commun une certaine conception de l'organisation de la société, de la politique économique et sociale. Tous ont aujourd'hui des institutions démocratiques. Et la plupart, après 1945, ont développé des modèles sociaux spécifiques, caractérisés par un haut niveau de salaires, une forte protection sociale, une certaine conception du rôle de l'État, un droit du travail relativement protecteur dès salariés, un syndicalisme puissant et capable de négocier (la France restant malheureusement en retrait sur ce point... ). Ces modèles sociaux ont évolué, ont été attaqués. Ils on pourtant démontré une cohésion et une efficacité qui n'ont rien à envier au modèle américain.

    Bien sûr, il existe des différences importantes entre les pays de l'Union, fruits des traditions " nationales ". Mais les États nations ne sont pas des constructions intangibles et éternelles. Au contraire, en Europe notamment elles sont récentes et foncièrement évolutives.
    Nous, socialistes, sommes attachés à la nation française parce quelle est fille de la Révolution, parce qu'elle s'identifie à la République laïque. La nation est une identité politique primordiale forgée par des années de combats démocratiques et de luttes sociales. C'est la source de notre sentiment d'appartenance. En effet la France, c'est la République, ce n'est pas Clovis. Dès lors, la construction européenne, pourvu qu'on veuille bien en faire l'enjeu majeur de notre combat politique, peut aboutir non pas à " défaire la France ", mais bien plutôt à la prolonger, à poursuivre le projet et à défendre les valeurs qui lui ont valu l'adhésion des socialistes français. Souhaiter une Europe " française " n'a aucun sens. En revanche, se battre pour que l'Europe soit laïque et sociale est notre devoir.

    Bien sûr, la construction européenne implique des compromis. Mais faire des compromis ne signifie pas accepter le nivellement par le bas. Nos cadres nationaux sont souvent protecteurs en termes de droits individuels et collectifs. Il n'y a aucune raison que l'Europe future soit incapable de sauvegarder et d'étendre ces droits acquis de haute lutte.

    La ratification du traité de Maastricht a donné lieu à un débat important sur ces transferts de souveraineté. Le Traité prévoyait en effet un renforcement considérable des prérogatives communautaires, notamment en matière monétaire. Le référendum de 1992 n'a dégagé qu'une très faible majorité en faveur du oui. Les observateurs " avertis " ont cru y voir le symbole d'une France divisée en deux camps, dont les contours transcendaient largement les clivages politiques traditionnels et correspondaient plus à des profils socioprofessionnels et culturels. Chacun y allait de son couplet sur l'antagonisme entre une France populaire, " frileuse ", rétive aux " changements nécessaires ", tentée par le " repli national ", et des classes moyennes " pro-européennes ", guidées par des élites nécessairement " éclairées ", de droite comme de gauche. Cette impression était renforcée par les tables rondes tenues en commun par des responsables politiques des deux bords, dont on ne dira jamais assez l'effet désastreux qu'elles produisirent dans l'opinion, la confortant dans l'idée d'une connivence des élites bien-pensantes.
    Chacun a fini par se convaincre du bien-fondé de la théorie d'une France coupée en deux à propos des questions européennes.
    La réalité est tout autre. Des citoyens français qui ont voté non à Maastricht et une grande partie des partisans d'un " oui sceptique " (parmi lesquels un grand nombre de militants socialistes) ne sont pas des nostalgiques de la Fiance éternelle ou des ennemis de l'Europe. Ce sont plutôt des citoyens inquiets du processus et du contenu actuels de la construction européenne. Reconnaissons que nous partageons souvent cette inquiétude. Les engagements politiques nationaux s'effacent devant les contraintes communautaires et nos concitoyens ont l'impression que leur bulletin de vote ne sert plus à rien.

    La méthode Coué a du plomb dans l'aile. On peut continuer à répéter à l'envi que l'avenir européen est radieux, il faut aussi pouvoir un jour ou l'autre en donner un début de preuve. Et répondre simplement à une question :
    " l'Europe pour quoi faire ? ".



B) L'Europe pour quoi faire ?

    Certes, l'Europe " progresse ", mais vers quoi ?
    Telle qu'elle se construit depuis des années, l'Europe est loin d'être synonyme de progrès social. L'ordre des priorités défini par les Quinze est à ce titre éclairant Alors que le chômage de masse précarise des millions de citoyens et fragilise des sociétés entières, les engagements en faveur de la création d'emplois restent conditionnés par l'objectif de stabilité des prix.
    Alors que l'exclusion menace partout, le marché reste la règle et le service publie l'exception : chaque nouvelle résolution de la Commission est un vibrant plaidoyer pour les privatisations et la déréglementation. On est là au cœur du problème. À quoi bon expliquer qu'il faut construire l'Europe pour faire contrepoids à l'ultralibéralisme, si c'est pour appliquer ses préceptes et ses règles au sein de l'Union ? Faute de se poser la question et d'y apporter une réponse, l'euroscepticisme n'est pas prêt de disparaître de nos rangs.

    Le Parti socialiste français, quand il était dans l'opposition, avait mis un certain nombre de conditions au passage à la monnaie unique.
    Il avait aussi dénoncé avec force le pacte de stabilité budgétaire, petit chef-d'œuvre d'orthodoxie monétariste, qui prive les pays membres de toute marge de manœuvre dans la conduite de leur politique budgétaire en instaurant un système de sanctions pour tout État " laxiste ". Aujourd'hui, ce pacte n'est pas remis en cause.

    Faire de la politique autrement, c'est respecter ses engagements. Nous ne devons pas renoncer à notre combat pour une Europe sociale. Nous n'avons pas été élus pour défendre la candidature de Jean-Claude Trichet, défenseur zélé d'un monétarisme à courte vue, à la présidence de la Banque centrale européenne, mais pour infléchir durablement le cours de la politique communautaire. À l'heure de la ratification de directives mettant en péril notre conception du service public, il est intolérable que les responsables socialistes dépensent plus d'énergie et d'encre à se féliciter de l'introduction de l'euro sur les places financières qu' à soutenir les eurogrèves.

    Les militants socialistes sont profondément européens et l'ont toujours été. Pour un socialiste, l'internationalisme est une valeur fondamentale. Il nous faut dépasser l'antagonisme Nation-Europe : ce qui compte, c'est que l'Europe réponde à notre idéal démocratique et socialiste.



II  Faire l'Europe fédérale 
| pour mener    
le combat socialiste
 


 

Il est absurde de s'opposer par principe à des transferts de souveraineté. La souveraineté, c'est le peuple qui l'exerce. Qu'elle s'applique dans le cadre européen ou national ne change rien à l'affaire. Il s'agit simplement d'un changement d'échelle, non d'un renoncement à un véritable contrôle démocratique.
Comme le souligne Jean-Paul Fitoussi, " l'exercice des souverainetés nationales est empêché [ ... ] par des règles politiques décidées ensemble; mais c'est au nom de la souveraineté nationale que l'on empêche une souveraineté fédérale d'émerger ".
Nous préférons assumer l'avènement d'une Europe fédérale puissante et démocratique, plutôt que la dilution de pans entiers de notre souveraineté dans des processus de décision opaques et dans des organismes indépendants de tout contrôle démocratique, à l'image de la Banque centrale européenne.

A) La démocratie confisquée

  1. Une Europe sans contrôle démocratique

    Les institutions européennes issues du traité de Rome n'ont pas été modifiées de façon substantielle depuis 1957, tandis que la Communauté a accru chaque jour ses compétences.
    Ainsi le droit de vote des Européens se résume à l'élection d'une chambre sans pouvoirs. Le Parlement européen ne peu qu'amender à la marge certains projets dans le cadre du processus de codécision ou de l'avis conforme, alors qu'il s'agit du seul organe élu démocratiquement dans le cadre communautaire.

    Aujourd'hui le véritable législateur, c'est le Conseil des ministres. Or l'Europe n'entre qu'incidemment dans les attributions des ministres qui, en matière communautaire, ne sont pas mandatés par la représentation nationale ni responsables devant elle, ou devant le Parlement européen.

    La démocratie, c'est aussi l'accès des citoyens européens à l'information. Aujourd'hui, ils ne sont informés des décisions que lorsqu'elles sont prises, et la mécanique qui les produit reste noyée dans un épais mystère. De même, les conférences intergouvernementales ont toujours été conduites sans la moindre transparence. Le résultat de la dernière CIG, c'est le traité d'Amsterdam, qui déçoit tous les partisans d'une refonte démocratique des institutions européennes. Reconnaissons aussi que l'opacité du système sert parfois l'hypocrisie de nos gouvernements. On pourrait faire une longue liste des décisions prises à Bruxelles par les gouvernements, ensuite vilipendées au niveau national, en faisant porter à la technocratie bruxelloise la responsabilité de ces décisions.

  2. Une Europe dépolitisée

    Il est temps de mettre un terme à l'ambiguïté qui règne dans nos rangs dès que sont évoquées les questions européennes. Cette ambiguïté est bien résumée par le slogan : " faire l'Europe sans défaire la France ", qui donne à penser que les rapports de force au sein de l'Union sont exclusivement des antagonismes entre États. Pour nous, c'est le clivage droite/gauche qui prime. Aujourd'hui, cette idée apparaît comme une complète incongruité. Au Parlement européen, aucun texte ne peut être voté sans l'accord préalable des groupes socialiste et démocrate-chrétien. La présidence du Parlement européen est d'ailleurs confiée en alternance aux uns et aux autres et cela ne semble choquer personne. L'Europe que nous voulons n'est pas celle du consensus. Une majorité de compromis socialiste-libérale ne sera jamais à même de porter un projet politique de transformation sociale.

    Notre objectif, c'est faire l'Europe sans renoncer au socialisme, c'est même faire l'Europe pour promouvoir le socialisme.

    En refusant de politiser suffisamment le débat européen, les socialistes se condamnent à rester empêtrés dans une contradiction majeure.
    Parce que nous sommes profondément européens, nous avons la tentation de toujours assumer l'évolution de la construction européenne, sans reconnaître que cette évolution est le fruit d'un affrontement idéologique et politique dans lequel nous sommes quelquefois majoritaires, mais aussi souvent minoritaires.



B) Rendre la souveraineté aux Européens l'Europe fédérale


Quand les socialistes français, derrière Jaurès, choisissent de rallier la République, ils font le pari que c'est la structure pertinente pour faire gagner leurs idées. Ils assument la possibilité d'être temporairement minoritaires, mais offrent à leur base sociale le cadre adapté pour mener leur combat politique. Nous devons faire de même aujourd'hui : le combat socialiste prend tout son sens dans l'Europe, et dans une Europe politique au sein de laquelle s'affrontent deux camps, clairement identifiés, privilégiant les solidarités transversales aux intérêts nationaux. Cette Europe politique, elle est nécessairement fédérale, tant il est vrai que l'interétatisme condamne la gauche à l'impuissance.

La formule magique de la fédération des États nations, inventée à une certaine époque pour noyer le débat, est devenue indéfendable. Elle fait plaisir à tout le monde en décrivant élégamment la situation existante. Mais comme toute formule de circonstance, elle devient rapidement caduque.
Après la mise en place de l'euro et les nombreux transferts de souveraineté déjà effectués, l'essentiel de la législation économique et sociale est déterminé au niveau communautaire. Nous devons donc proposer une nouvelle organisation institutionnelle fédérale et démocratique de l'Union européenne.

  1. Mesures d'urgence

    Extension de la majorité qualifiée

    On le répète à l'envi : les conditions n'ont jamais été aussi favorables qu'aujourd'hui où Il gouvernements sur 15 sont socialistes ou sociaux-démocrates. Or, même dans ce cadre, on ne peut espérer que les gouvernements européens remettent en cause les principes qui ont prévalu lors de la grande vague libérale des années 80-90 : l'expérience montre que la seule confrontation des intérêts particuliers des États combinée à la règle de l'unanimité a toujours pour conséquence le libéralisme en matière économique et le minimalisme partout ailleurs.

    L'extension de la majorité qualifiée, si elle n'est pas un remède satisfaisant à la carence démocratique de l'Europe, permettrait au moins de faire tomber un certain. nombre de conservatismes nationaux assez scandaleux. Comment accepter aujourd'hui q'un État minuscule comme le Luxembourg freine des quatre fers pour empêcher une harmonisation des politiques fiscales afin de conserver son statut de paradis fiscal ?

    Assurer un contrôle politique de la Banque centrale européenne (BCE)

    La création d'un gouvernement économique contrôlant la politique monétaire de la BCE figurait dans la liste des 4 conditions posées par les socialistes pour le passage à la monnaie unique. Aujourd'Hui l'euro existe, la BCE aussi, et personne ne croit sérieusement que le conseil Euro-11 -une structure purement consultative- est le gouvernement économique dont notre programme aux dernières législatives demandait la création. Reste que nous ne devons pas nous leurrer sur la formule de " gouvernement économique ", sauf à défendre la vision d'une Europe dirigée par un collège de ministres des Finances. Un gouvernement par définition, s'occupe des questions économiques sans les séparer des questions politiques et sociales. Cessons de couper la poire en deux. Ce qu'il faut à l'Union européenne, c'est un gouvernement européen tout court !

    Pour assurer un véritable contrôle politique sur la politique monétaire de l'Union, les socialistes européens doivent plaider pour une vraie intervention du Parlement. Le législateur doit avoir le pouvoir de fixer les objectifs de la politique monétaire et d'en contrôler la mise en œuvre. De même, les députés européens doivent avoir le droit de révoquer les membres de la BCE si les orientations de celle-ci vont clairement à l'encontre de la volonté populaire exprimée à l'occasion du vote pour les élections européennes.

  2. Pour une vraie réforme institutionnelle

    Les États européens ont créé un édifice institutionnel original uniquement par le biais de traités, instruments habituels des relations d'État à État. Cette méthode a atteint ses limites, débouchant naturellement, par la recherche du consensus entre partenaires, sur le plus petit dénominateur commun. Elle constitue en elle-même un frein aux avancées progressistes.

    Il n'est pas possible aujourd'hui de poursuivre la construction européenne sans faire approuver par les peuples une véritable Constitution, qui prévoirait clairement les prérogatives des différentes institutions et qui définirait les compétences relevant de l'Union et celles exercées par les États membres. Ains4 les prérogatives des États s'en trouveraient mieux précisées et garanties aujourd'hui. À titre d'exemple, la politique monétaire serait déterminée au niveau européen, tandis que la politique éducative demeurerait sous la responsabilité des États.

    Nous proposons la mise en place d'un régime parlementaire dans des Institutions fédérales. Un gouvernement européen issu du camp majoritaire aux élections européennes remplacerait la commission. Il serait responsable devant le Parlement européen et chargé de la mise en œuvre de la politique communautaire et de l'exécution d'un budget européen, dont chacun souhaite une sensible augmentation. Une seconde chambre assurerait la représentation des États.

    Ce système rend possible l'existence d'un vrai clivage droite/gauche en Europe et contribue ainsi fortement à l'apparition d'un sentimen d'appartenance à une nouvelle entité politique.

    La future Constitution européenne ne doit pas seulement être consacrée à l'organisation des pouvoirs. Elle doit être l'expression &un contrat social auquel chaque citoyen de l'Union, quelles que soient sa nationalité et sa religion, peut adhérer. En ce sens, elle doit reposer sur des fondements clairement laïques, seuls à même d'assurer le primat de l'intérêt général sur les Intérêts particuliers et de créer un véritable espace publie européen. Dans un cadre fédéral, la laïcité est le meilleur gage de l'harmonie entre les peuples et les individus, c'est même la condition nécessaire pour assurer la paix civile.

    Le combat pour la laïcité en Europe est un combat éminemment socialiste. Le PS doit s'engager dès maintenant dans une campagne d'explication et de conviction auprès de ses partis-frères européens. Il existe des différences entre nous sur l'approche de la laïcité, mais on peut déjà noter des évolutions. Ainsi, Oskar Lafontaine se prononce clairement aujourd'hui pour la séparation des églises et de l'État. De même, Gerhard Schröder a refusé de prêter serment au nom de Dieu lors de son investiture à la chancellerie. Si ces changements sont encourageants, il faut néanmoins continuer à se mobiliser pour permettre l'avènement d'une Europe laïque.

    Le fédéralisme que nous appelons de nos vœux n'est donc pas, répétons-le, un objectif en soi. Il s'agit simplement du seul cadre institutionnel pertinent pour mener à bien le combat socialiste en Europe.



III  Faire l'Europe 
| de la solidarité,    
des solidarités
 


 



La mise en place d'une citoyenneté européenne suppose que se développe une solidarité européenne. jamais les Européens n'accepteront l'Europe comme l'un des cadres de référence identitaire, a fortiori comme l'un des plus importants, s'ils ont l'impression que l'Europe a pour vocation de réduire leurs droits sociaux à la portion congrue. L'Europe solidaire que nous proposons doit être porteuse de droits, elle doit offrir aux citoyens une large protection sociale, un droit du travail favorable aux salariés, des services publics de qualité. C'est à ces conditions qu'une conscience européenne peut naître.


A) De l'Etat-Providence à l'Europe Providence

    L'État-providence, au cœur du projet social européen que nous devons défendre, est aujourd'hui en difficulté. Il suffit de constater l'incapacité des États actuels à répondre aux grands enjeux économiques et sociaux de cette fin de siècle -difficultés qui sont bien souvent à l'origine d'une certaine désaffection pour le politique, qu'il soit national ou européen. Plutôt que de contribuer à aggraver ces difficultés, l'Europe doit permettre de les résoudre. Si nous voulons l'Europe, c'est justement pour substituer à la faiblesse des États une volonté et des moyens politiques susceptibles d'agir résolument en faveur de la résorption du chômage, de la protection des salariés et de la réduction des inégalités.

    1. Une Europe de la croissance


      Nous savons que l'avènement d'une telle Europe sera favorisé par un contexte de croissance. Nous devons tirer parti du climat de confiance créé par le lancement de l'euro pour mener, au niveau européen, des politiques coordonnées de lutte contre le chômage et de soutien à la consommation.
      Les conditions n'ont jamais été aussi bonnes : faible inflation, très bas taux d'intérêt confiance retrouvée des ménages. Ne laissons pas passer cette chance ; engageons-nous résolument sur le chemin de la relance européenne, un temps préconisée par Jacques Delors et de nombreux autres socialistes, mais malheureusement abandonnée à cause de l'acharnement des libéraux et des conservateurs à promouvoir l'austérité budgétaire et à refuser l'intervention de la puissance publique. Nous le savons pourtant : l'effet sur la production d'une relance des dépenses publiques (grandes infrastructures, soutien aux nouvelles technologies... ) au niveau de l'Union européenne, serait trois fois plus bénéfique pour la croissance et l'emploi que ce qu'il serait si ces dépenses n'étaient engagées qu'au niveau d'un seul État membre.

      N'attendons plus que des cortèges supplémentaires de chômeurs manifestent devant les administrations : faisons de l'Europe l'instrument d'une politique volontariste de croissance.

    2. Une Europe des services publics


      L'Europe de la croissance doit être l'Europe de la redistribution, dans laquelle les services publics jouent un rôle primordial. Comme le rappelait Lionel Jospin en juin 1997, " nos services publics relèvent d'une conception fondamentale de la société à laquelle nous tenons par dessus tout ". Il n'est pas supportable que, secteur par secteur, sous prétexte de lutter contre les distorsions de concurrence, le Conseil et la Commission mettent à mal les services publics, sans tenir compte des besoins sociaux auxquels ils répondent. Ainsi, la nouvelle notion de service universel -qui définit un service de base offert à tous dans l'ensemble de la Communauté dans des conditions tarifaires abordables et avec un niveau de qualité standard n'a d'universel que le nom: elle ne prend sens que lorsque le droit de la concurrence n'a pu s'appliquer. Le traité de Maastricht a beau préciser que l'existence de grands services en réseau est liée à des objectifs de cohésion économique et sociale, la réalité quotidienne est celle de la rentabilité à tout crin, de la déréglementation et de la " démonopolisation " dans l'ignorance quasi complète des exigences de service public. Au revoir le citoyen-usager, bonjour le citoyen-client c'est-à-dire client tout court, en lieu et place de l'usager européen que l'on voudrait voir apparaître…

      Pourtant les grèves de novembre-décembre 1995 en France ont fait office d'électrochoc à Bruxelles : dans les couloirs de la Commission, on a commencé à se dire que ne s'occuper que de la concurrence pouvait mettre en danger la construction européenne. Ainsi l'idée d'une modification du Traité afin d'intégrer la notion d'intérêt général, autrement que sous formes d'exceptions dérogatoires au principe de la concurrence, a émergé. À nous d'aider à cette prise de conscience, de faire partager cet attachement à nos autres partenaires européens afin que se construise une Europe des services publics.

    3. Une norme sociale européenne


      Il faut cesser d'opposer Europe de l'avenir et Europe des travailleurs, Europe de l'efficacité économique et Europe sociale. Ces notions sont indissociables. L'adhésion massive des peuples européens dépend de la garantie qu'en zone monétaire unifiée la concurrence ne se fera pas par la baisse des acquis sociaux. La gauche européenne doit se mobiliser pour construire une autre logique que la logique libérale sur laquelle a été fondée la construction européenne, et qui subordonne le social à l'économique, en confortant les entreprises dans leurs stratégies d'abaissement du coût du travail par tout moyen. Le dumping social, la flexibilité, la remise en cause des droits des travailleurs constituent des menaces graves et réelles à la " promotion de l'emploi, à l'amélioration des conditions de vie et de travail en vue de leur égalisation dans le progrès ", telles qu'elles sont visées à l'article 117 du traité de Rome.

      L'Europe sociale, telle qu'elle se présente aujourd'hui n'apporte qu'un socle minimum de droits sociaux fondamentaux, et qu'une harmonisation très partielle des droits nationaux sur la santé et la sécurité des travailleurs, les transferts et licenciements collectifs, les maxima sur la durée du travail, l'information des travailleurs et l'égalité homme-femme. Cela peut représenter un progrès pour des pays comme le Royaume-Uni qui ont accumulé un retard effrayant dans le développement de leur législation sociale. Mais ce n'est pas du tout adapté au défi auquel doit faire face le monde du travail devant l'offensive du capital : cadences accélérées, salaires baissés, flexibilité et souffrances au travail. Il nous faut faire des propositions audacieuses pour assurer un haut niveau de protection sociale dans tous les États membres, pour favoriser la mise en place d'un salaire minimum européen et pour coordonner une réduction du temps de travail dans tous les pays de l'Union.

    4. Une Europe de la solidarité entre les territoires


      Un des principaux acquis de la construction européenne est l'existence de fonds structurels destinés à aider les régions en difficulté. Avec la mise en place de l'euro, il devient nécessaire de renforcer ces politiques de solidarité, afin de combattre les inégalités entre territoires.
      Aujourd'hui, ces politiques sont remises en cause par les libéraux qui voient dans la perspective de l'élargissement l'opportunité de dissoudre l'Union européenne dans un vaste marché. Au contraire, les socialistes doivent conditionner tout nouvel élargissement à un maintien de ces politiques.
      De même~ nous devons préserver une Politique agricole commune (PAC), outil au service d'une agriculture de qualité, à taille humaine, respectueuse de l'environnement bénéficiaire de compensations financières distribuées en fonction de critères de justice sociale.

      Rien de tout cela ne se fera tout seul. Pour porter un projet social européen, pour faire vivre les solidarités, il faut une mobilisation des Européens.




B) Faire vivre les solidarités : pour une gauche européenne militante et unie

    Mobiliser les Européens, tel doit être l'objectif du PS, et au-delà, du PSE (Parti des socialistes européens), qui ne peut continuer à se complaire dans un rôle de séminaire pour dirigeants. Certes, la rédaction d'un programme commun des socialistes européens a été confiée à un petit groupe réuni autour d'Henri Nallet et de Robin Cook On peut saluer une initiative qui représente une première au niveau européen. Pourtant force est de constater que le procédé reste très en deçà des enjeux. Le manque de transparence, l'éviction des militants de ce processus, le calendrier qui conduit à un escamotage pur et simple du débat n'ont aucune chance d'aboutir à un programme précis ou ambitieux. Et quand bien même: doté d'un programme, le PSE est toujours désespérément dépourvu de stratégie.

    La stratégie que nous préconisions hier pour la gauche française, nous voulons que la gauche européenne la mette en œuvre : c'est celle de la confrontation sociale.
    Certes, tout gouvernement, et a fortiori toute coalition gouvernementale, est soumis a un ensemble de " contraintes ". Qu'elles soient &ordre économique ou politique, voire qu'elles relèvent des exigences de certains lobbies, ces contraintes sont largement déterminées par l'idéologie dominante : le libéralisme Être réaliste, ce n'est pas abandonner nos idéaux devant ces pressions, c'est au contraire se battre pour imposer un nouveau rapport de forces. Le PSE a un rôle fondamental à jouer dans la transformation des victoires électorales de la gauche en Europe, en réussite politique. L'Europe sociale, l'Europe des socialistes ne peuvent se construire par le haut. La juxtaposition des partis socialistes au sein du PSE ne constitue pas une Europe socialiste, pas plus que la juxtaposition de gouvernements socialistes ou sociaux-démocrates ne permet de réaliser une Europe sociale. Le PSE doit être en mesure de s'appuyer sur le mouvement social, dont de nombreux indices nous montrent à quel point il tend à devenir européen (ce n'est pas un hasard si aujourd'hui la CGT demande à intégrer la Confédération européenne des syndicats). Il faut que le PSE se mette à son écoute, qu'il tienne compte de ses revendications, et qu'il associe ses différentes composantes à l'élaboration de ses programmes.

    Pour réaliser ce changement fondamental, le PSE doit cesser d'être une coquille vide. Certes, il existe de nombreuses difficultés inhérentes au caractère multinational de l'Union : sous l'étiquette social-démocrate ou socialiste, on rencontre des réalités différentes tant au niveau structurel -du parti de masse allemand aux maigres bataillons français- que du point de vue Idéologique- du solide ancrage à gauche du PSOE au travaillisme édulcoré du " New Labour ".

    Si l'on veut vraiment avancer, c'est aux militants eux-mêmes qu'il faut faire confiance. C'est à eux qu'il faut s'adresser, si nous voulons qu'une Europe de gauche vole le jour. Si l'on se souciait moins des déclarations d'un Tony Blair ou d'un Gerhard Schröder et plus des réalités militantes, si, connue nous l'avions décidé lors de la dernière convention, nous traduisions et diffusions à nos camarades européens les textes de nos conventions et de nos débats, on s'apercevrait qu'au-delà des différences superficielles, nous partageons tous un même héritage -celui des luttes ouvrières-, les mêmes valeurs fondamentales -l'égalité-, un même projet -défendre et promouvoir un modèle social garantissant droits et revenu aux travailleurs.

    La réalisation du contrat social européen, débouché de la confrontation sociale au niveau européen, dont le principe a été adopté par le PS, dépend de notre volonté politique à le mettre en œuvre : faisons enfin du PSE un parti politique opérationnel, qui assume le débat d'idées en son sein.
    Le PSE fonctionne au consensus et que ce soit pour préserver la paix du ménage ou par crainte d'être minoritaires, nous nous en contentons. En réalité, ce mécanisme " mou " a pour conséquence la platitude des positions et l'inefficacité de l'action. Par peur de la confrontation des idées, nous socialistes, acceptons toutes les dérives et renonçons progressivement à des pans entiers de nos déclarations de principes.

    Nous voulons un Parti socialiste européen en mesure de diffuser l'idéal socialiste, animé par des militants qui se reconnaissent en lui -il faut une carte d'adhérent et un journal mensuel du PSE- et qui le font vivre: cela passe par leur participation effective aux travaux préparatoires, aux débats, au déroulement et aux votes des congrès du PSI, et l'organisation de conventions européennes sur l`emploi, les services publics, les institutions, avec des textes communs. Nous débattons, entre Français, du sujet " Nation/Europe ". La moindre des choses ne serait-elle pas de demander à nos partenaires ce qu'ils en pensent ?

    Enfin, nous devons favoriser l'émergence de relais, sous la forme de structure de débat permanent dans le mouvement social européen. Cela permettrait aux socialistes du PSE d'être à l'écoute des revendications sociales en Europe et de participer activement à la construction d'une gauche européenne militante et unie.



En guise de conclusion
 


 


" La question est de savoir si, un jour, la solidarité des classes dirigeantes dans l'usage de l'Europe comme instrument de leur domination suscitera des solidarités négatives chez les dominés, les poussera à se servir à leur tour de l'Europe comme instrument efficace de leurs luttes, auquel cas il est en effet bien possible qu'elles acquièrent plus de force que celles qu'ils peuvent mener à l'échelon national, chacun chez soi. C'est à cette condition-là seulement que l'idée d'un projet politique de gauche en Europe peut être développée. (...) Quant à la question du cadre institutionnel souhaitable pour l'Europe, qui occupe aujourd'hui le devant de la scène, elle reste certes posée, mais il est probable qu'on ne pourra y répondre valablement avant d'avoir abordé celle du projet de transformation sociale que les forces de progrès peuvent efficacement mettre en couvre en Europe - elle est donc seconde par rapport à celle des solidarités ".

La Pensée confisquée, ouvrage collectif,
Club Merleau-Ponty


Page précédente Haut de page
PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]