Comment jugez-vous le rôle de l'Europe dans la crise du Kosovo ?

Même si l'Union européenne ne pouvait, dans l'état actuel des choses, mener cette opération militaire sans le concours de l'OTAN et donc des États-Unis, on peut dire que les Européens ont fait preuve, depuis un an, de cohésion et d'esprit d'initiative. Ils ont alerté leurs alliés sur les menaces à propos du Kosovo, décidé de jouer une dernière chance pour une solution pacifique, par la conférence de Rambouillet et, lorsque le conflit fut déclenché, œuvré sans relâche sur le plan diplomatique, notamment en multipliant les contacts avec la Russie. C'est un progrès par rapport à un passé récent. Il reste à l'Union européenne une tâche ingrate, mais enthousiasmante : construire dans les Balkans, une zone de paix, de stabilité, de coopération et donc de compréhension mutuelle.

Ce n'est pas qu'une affaire d'argent, encore qu'il en faudra beaucoup. A l'instar de ce qu'ils ont réalisé dans l'Europe de l'Ouest après la guerre, les Européens doivent œuvrer pour la réconciliation, en soutenant les artisans de paix qui vont se lever dans chaque pays.
La conférence européenne pour la stabilité dans l'Europe du Sud-Est constitue une chance historique : consolider les frontières, conforter le statut des minorités, faire que ces peuples meurtris réapprennent à vivre ensemble, par la création de structures d'échange et de coopération, par des liens renforcés avec l'Union européenne, par les effets visibles d'un retour réussi des réfugiés et de la reconstruction économique.


Pour l'avenir, pensez-vous que l'Europe devrait disposer d'une défense commune ?

C'est évident. L'Union européenne doit non seulement maintenir ses capacités de défense, mais aussi être en mesure de mener des actions de rétablissement ou de maintien de la paix sur l'ensemble du continent européen. Cela exige la création d'une force mobile de projection, pouvant agir sous le couvert d'une protection aérienne et satellitaire.

Plus largement, les Européens devraient aller vers une convergence de leurs politiques de défense tant en ce qui concerne les buts que les moyens, la définition des stratégies que la mise en commun de leurs industries de défense. Il s'agit d'une entreprise de longue haleine à démarrer sans tarder.


Quelles mesures sociales, notamment pour l'emploi, devraient prendre, au niveau européen, les dirigeants socialistes et sociaux-démocrates au pouvoir ?

Les politiques de l'emploi sont conçues et menées au niveau national et aux échelons décentralisés, tels que les régions et les bassins d'emploi. Mais l'Union européenne peut apporter une valeur ajoutée aux efforts nationaux par une véritable coordination des politiques économiques nationales, comme le prévoit d'ailleurs le traité de Maastricht, et la création, au niveau européen, d'un instrument d'action conjoncturelle pour répondre aux chocs venus de l'extérieur.

Et je dois insister aussi, dans l'esprit du Livre blanc de la Commission, de 1993, sur le renforcement des actions communes (développement régional, infrastructures) et de la coopération, notamment, en matière de recherche. C'est ainsi qu'ensemble nous pourrions mieux tirer parti de la révolution des nouvelles technologies de l'information.


Après la crise de la Commission, comment voyez-vous l'avenir des institutions européennes ?

La solution est dans un meilleur fonctionnement du triangle institutionnel - Parlement, Conseil, Commission - de manière à gagner en transparence, en lisibilité pour les citoyens et en efficacité.
Les trois institutions doivent, en plus de leurs tâches propres, s'attacher à dégager les priorités et à susciter l'intérêt des opinions publiques et la création d'un espace politique vivant, condition d'exercice de la responsabilité démocratique.

C'est possible sans changement des traités, ce qui ne signifie pas que nous n'ayons pas besoin de redéfinir le cadre politique et institutionnel pour une Union européenne qui est appelée à comprendre une trentaine d'États membres. Et je regrette qu'à Cologne on n'ait pas mis en chantier cette grande réforme qui va bien au-delà de la composition de la Commission et des modalités de vote dans le Conseil.


Que pensez-vous du programme de la liste conduite par François Hollande qui est en concordance avec les 21 propositions des socialistes européens ?

François Hollande, ses colistiers et les militants mènent une campagne active et intelligente. Le bilan très positif du gouvernement Jospin constitue un atout et un argument de poids vis-à-vis des droites querelleuses.
L'idée centrale est qu'une nouvelle phase de la construction européenne s'ouvre, après la quasi-réalisation de l'intégration économique et monétaire, accompagnée de politiques communes qui ont fait leurs preuves et de mesures sociales non négligeables, comme la consolidation du dialogue social, la signature des trois conventions collectives européennes et l'instauration de normes pour la sécurité et la santé des travailleurs.

Cette phase sera sociale avec la lutte prioritaire contre le chômage et l'invention d'un modèle de développement plus respectueux de l'environnement et favorisant la cohésion sociale.
Cette phase sera aussi politique car seule une direction politique peut définir et expliciter les priorités de l'action européenne. Les nouvelles générations qui accèdent au pouvoir ont pour mission de faire fructifier l'héritage transmis par leurs prédécesseurs et aussi d'y apporter leur propre marque face aux nouveaux défis de l'Histoire.


Quelles sont, de votre point de vue, les décisions les plus importantes prises lors du Conseil européen de Cologne ?

Le sommet de Cologne conclut, en quelque sorte, une excellente présidence allemande qui a non seulement réglé les problèmes financiers de l'Union pour les années à venir, mais aussi soudé les énergies face à la crise du Kosovo, et jeté les bases d'un travail pour une défense commune.

Sur notre préoccupation centrale, l'emploi, il reste encore beaucoup à faire. C'est la mission qui a été confiée à la présidence portugaise du premier semestre 2000. Place à l'innovation, à la concertation et à l'audace !


Propos recueillis par
Claude Polak.

Entretien paru dans L'Hebdo des socialistes - 11 juin 1999


Page précédente Haut de page
PSinfo : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]