| Déclaration commune
8 mars 1999
 

Une nouvelle période s'ouvre en Europe. La mise en place de l'euro a clos une période où l'Union européenne s'est construite par et pour la monnaie. Nous sommes devant un tournant : il s'agit maintenant d'affronter le défi d'une Europe politique et sociale respectueuse des nations. L'existence d'une majorité de gouvernements socialistes , sociaux-démocrates, progressistes, est une chance offerte pour poursuivre la réorientation européenne commencée par le gouvernement de Lionel Jospin.

Le Parti socialiste et le Mouvement des citoyens n'ont pas porté le même jugement sur le traité de Maastricht ni sur le traité d'Amsterdam qui s'inscrivait dans sa lignée. Ils n'entendent pas revenir sur cette divergence, mais considèrent que les enjeux à venir dans la construction européenne et les changements politiques survenus permettent une approche commune des principaux défis à relever : la croissance et l'emploi, la citoyenneté, le rapport au monde de l'Europe et des nations qui la composent, les institutions et la démocratie. Dans tous ces domaines, le Mouvement des citoyens et le Parti socialiste peuvent faire valoir ensemble des propositions communes et des perspectives d'action pour réorienter la construction européenne.
Les élections au Parlement européen doivent nous aider à lutter pour une Europe de l'emploi, des droits sociaux, du développement durable, de la création et de la culture, en un mot à construire une Europe pour les peuples.


Pour la croissance et l'emploi

Promouvoir une stratégie de croissance durable est le premier objectif de la lutte contre le chômage dans une Europe qui compte 16 millions d'hommes et de femmes privés d'emploi. Nous avons besoin d'un pacte européen pour la croissance et l'emploi, fixant des critères de diminution du chômage, laissant chaque État membre maître du choix des moyens, mais assignant des objectifs à chacun et orientant tous les choix communautaires.

Le gouvernement de la gauche plurielle s'oppose au cours libéral de la construction européenne. Défendant une vision politique et non technique de l'Europe, il a pris des engagements qu'il a tenus et entend conforter : un euro large au lieu d'un noyau réduit de pays, un Conseil de l'euro qui doit acquérir une autorité politique, des engagements en faveur de l'emploi, une parité réaliste de l'euro vis-à-vis du dollar. L'objectif du plein emploi doit être inscrit dans les statuts de la Banque centrale européenne, au même rang que la lutte contre l'inflation aujourd'hui vaincue. L'heure est à des initiatives européennes de croissance associant emprunt européen d'équipement, soutien à la relance. Les politiques communes doivent être réformées et relancées. A la seule politique de la concurrence menée aujourd'hui à Bruxelles, marquée à la fois par un interventionnisme excessif et une conception idéologique du marché, il faut substituer une politique industrielle européenne audacieuse : grands projets, transports publics en Europe, programmes de recherche, sûreté nucléaire, dépollution de la Méditerranée...
La politique agricole commune, loin d'être sacrifiée au libéralisme planétaire, a besoin d'être réformée et fermement défendue. De même, le développement des fonds structurels et des transferts financiers est nécessaire à un développement équilibré de tous les pays membres. Pour cela le budget communautaire n'a pas à être enfermé dans les limites actuelles de 1,2 % du PIB, mais doit s'adapter aux missions assignées.
Pour lutter contre le dumping fiscal qui pénalise le travail au profit du capital et de la rente, une harmonisation fiscale progressive est nécessaire pour relever les seuils d'imposition des produits financiers.

En matière sociale, le socle minimal des droits fondamentaux doit être relevé : conventions collectives européennes, salaire minimum, protection sociale, exercice du droit syndical.


La citoyenneté

L'Europe est une construction originale qui ne peut se référer à aucun " modèle " extérieur. Il s'agit d'articuler l'espace européen, cadre adéquat des politiques communes, espace nécessaire des solidarités, et la nation, où se forge le vouloir vivre ensemble et vit la citoyenneté.

Les socialistes définissent l'Union européenne comme devant être une " Fédération d'États-nations ", assumant la mise en commun nécessaire d'éléments de souveraineté pour une Europe efficace tout en réaffirmant des compétences essentielles pour l'État-nation.
Le Mouvement des citoyens considère qu'avec un budget très modeste (1,2 % du PIB) et un sentiment d'appartenance insuffisamment fort, les conditions d'une fédération ne sont pas réunies et nomme " Communauté des États-nations " l'ensemble dans lequel les pays membres exercent en commun les compétences qu'elles ont décidé de confier à l'union.

Comme l'a déclaré Lionel Jospin à Milan, " opposer les nations à l'Europe est un exercice vain. Car l'Europe est l'espace même où, historiquement, sont nées les nations. Nous devons être capables de penser un objectif politique qui embrasse à la fois la nation et l'Europe. Ni négation de la nation ni repli national, mais une articulation harmonieuse entre chaque pays et notre Europe ".

Pour que les citoyens s'approprient la construction européenne, il faut préparer pour demain l'espace public européen de débat qui fondera le vouloir vivre ensemble. La démocratie nationale et la démocratie européenne sont complémentaires.

L'articulation des compétences entre l'Union et les États membres doit éviter les confusions de responsabilité. L'extension des compétences de l'Union ne doit être possible que par la voie d'accords politiques au Conseil et au Parlement traduisant la volonté explicite des peuples. Ces principes doivent être inscrits dans le droit positif européen. La construction européenne devra respecter la forme républicaine que s'est donnée notre pays, ce qui n'exclut nullement d'exercer en commun des compétences, mais appelle un contrôle démocratique.

L'Union européenne doit élargir les droits des citoyens. Afin de construire une identité politique, il est nécessaire que les droits fondamentaux civiques, économiques, sociaux, culturels obtenus par les citoyens de l'Union européenne soient rassemblés dans une Charte européenne des droits.

De la même manière, la France républicaine n'a pas à rougir de ses valeurs, propres à inspirer une identité européenne encore en suspens. Le droit du sol est préférable au droit du sang, et l'effort des sociaux-démocrates allemands pour modifier le droit de la nationalité doit être fermement soutenu. La laïcité est la plus apte à faire vivre ensemble des citoyens d'origine, de religion, de culture différentes ; la fraternité est préférable à l'égoïsme et la xénophobie ; l'égalité demeure un ferment exceptionnel de transformation sociale ; l'école, lieu de formation du jugement critique et creuset commun institue des citoyens libres ; la conception française du service public garantit l'égalité d'accès de tous. C'est en faisant vivre la citoyenneté en France que nous contribuerons à construire l'espace public de débat commun en Europe.


La France, l'Europe et le monde

La France incarne des idéaux et des valeurs qui dépassent son seul intérêt national.

Elle joue à l'échelle de la planète un rôle reconnu auquel elle n'entend pas renoncer. Dans un monde devenu unipolaire, la voix de la France et son message d'universalité ne doivent pas cesser de se faire entendre. Mais elle peut trouver dans la mise en œuvre d'une politique étrangère et de sécurité commune une nouvelle dimension. Nombreux sont les sujets sur lesquels les Européens peuvent et doivent parler d'une seule voix. Le monde multipolaire que nous appelons de nos vœux est encore loin. La Russie est durablement affaiblie et la Chine n'est pas encore en mesure de peser à hauteur de ce qu'elle représente. Pour avancer cependant dans cette voie, il nous faut travailler à la construction d'une identité européenne propre, fondée non pas sur la négation des nations mais sur leur force propulsive propre. Chacun des pays qui la composent apporte ainsi à l'Europe une ouverture au monde.

C'est au niveau de l'Europe que se nouent les grands enjeux des négociations commerciales, que s'organisent les relations avec les autres grands ensembles, que se négocient les réformes nécessaires du système économique et financier international, que se joignent les solidarités pour défendre l'exception culturelle. L'Europe a également des devoirs par rapport au reste du monde. Elle doit agir pour le développement en permettant l'accès régulé au marché unique, avec le soutien des mécanismes des accords de Lomé. La mise en œuvre du codéveloppement, la définition de " zones de solidarité prioritaire " sont les nouvelles perspectives à assigner à l'Europe. Faire reculer le sous-développement et la misère, porter des valeurs universelles est la meilleure manière de faire reculer les intégrismes.

La disparition du clivage Est-Ouest a mis fin à la menace militaire majeure qui pesait sur l'Europe, mais n'a pas écarté les affrontements sur notre continent et des conflits dans le monde. De nouvelles menaces émergent ; ni la France ni l'Europe ne peuvent s'en désintéresser. En matière de sécurité, notre pays dont les forces ne sont pas partie prenante des organismes intégrés de l'OTAN doit agir pour faire naître une identité européenne de défense. Une politique de défense indépendante doit contribuer à faire émerger une véritable autonomie stratégique de l'Europe.

Il s'agit de fonder une Europe européenne, chaîne de solidarités profitables à chacun, qui contribuera à rééquilibrer les rapports mondiaux.


Une Europe démocratique

La perspective de l'élargissement de l'Union européenne impose une réforme de ses institutions. Nous devons veiller à leur efficacité et à leur démocratisation, c'est-à-dire au contrôle par les citoyens et leurs représentants des décisions communautaires. Pour permettre aux citoyens d'entrer dans ce débat important, il est nécessaire de regrouper les textes qui régissent l'Union européenne depuis le traité de Rome, dans un texte unique. Les différents niveaux de pouvoir, la hiérarchie des normes entre le droit communautaire, les droits nationaux, les droits constitutionnels devront être précisés.

Le Conseil doit pouvoir décider efficacement : la publicité de ses décisions et de ses votes y contribuera. Le Parlement européen doit faire plein usage de ses pouvoirs accrus de législation et de contrôle, et des liens plus étroits doivent être noués avec les parlements nationaux. En France, une des cinq commissions permanentes de l'Assemblée nationale doit être chargée exclusivement des affaires européennes pour améliorer le contrôle démocratique de l'activité communautaire. Il s'agit à Paris comme à Bruxelles ou Strasbourg, de politiser l'Europe.

Des réponses devront être trouvées aux questions envisagées, mais non résolues jusqu'à présent, à savoir la taille de la Commission, la pondération des voix et l'usage de la majorité qualifiée là où cela est souhaitable. Mais pour le moment la règle de l'unanimité doit être maintenue chaque fois qu'est en jeu un intérêt vital.

D'ores et déjà, il s'agit de préparer la constitution d'un espace public commun en Europe, où s'ancrera la démocratie. La connaissance croisée de nos histoires, de nos cultures, commence par l'apprentissage des langues. Elle suppose des échanges non seulement au sommet, mais entre les citoyens, les élus, les partis, les syndicats, les associations, les universités. Une action européenne vigoureuse de soutien à la création et à la diffusion dans le cinéma, l'édition, le théâtre, la culture aidera à forger cette communauté de destin.

Dans cet esprit, le Mouvement des Citoyens et le Parti socialiste mèneront ensemble une campagne offensive à l'occasion des élections européennes du 13 juin 1999, pour réorienter la construction européenne et défendre ensemble au Parlement européen les objectifs communs qu'ils ont définis dans la présente déclaration :

  • donner la priorité à l'emploi et à la croissance ;
  • fonder une Europe respectueuse des nations et des citoyens ;
  • construire une Europe où les valeurs républicaines aient toute leur place ;
  • démocratiser les institutions et créer un espace public commun de débat en Europe.
Au-delà de leurs différences et dans le respect de leur autonomie organisationnelle, ils décident d'unir leurs efforts pour lever les verrous qui s'opposent à la croissance, combattre le libéralisme dogmatique et le monétarisme, et obtenir, en lien avec les forces progressistes désormais au pouvoir dans une majorité d’états membres, le changement de cap nécessaire à l'Europe.


Page précédente Haut de page
PSDOC : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]