entretien avec
Bertrand Delanoë, 49 ans, est sénateur et président du groupe socialiste au Conseil de Paris depuis 1993. Ancien porte-parole du PS (1981-1983) puis chargé des fédérations jusqu'en 1985, ce pur jospiniste a été élu dans la capitale dès 1977. Cette « légitimité » du terrain l'a conduit à mener la bataille de 1995 contre Jean Tiberi avec, à la clé, six mairies pour la gauche. Aujourd'hui, face à la menace d'une candidature d'un poids lourd socialiste comme Jack Lang, il prend les devants en se déclarant dans Libération. (daté du 26 janvier 2000)
Propos recueillis par Antoine Guiral
 

Vous réfléchissez depuis plusieurs mois à l'opportunité de vous présenter à l'Hôtel de ville. Votre décision est-elle prise ?

Oui, je suis candidat à la mairie de Paris. Attendre davantage pourrait s'assimiler à de l'ambiguïté : j'ai choisi la franchise. Et, cela va de soi, je me soumets aux règles qui prévoient cette désignation par un vote à bulletins secrets des socialistes parisiens. J'ai informé chacun d'entre eux de mes intentions et tous sont conviés à en débattre librement le 1er février, lors d'une réunion dans le Ve arrondissement, au cœur même du système municipal et de ses dérives les plus scandaleuses : les faux électeurs.

Vous êtes un proche de Lionel Jospin. Avez-vous évoqué votre candidature avec lui ? Vous a-t-il encouragé ?

Le Premier ministre est totalement concentré sur l'exercice de sa fonction. Ma proximité culturelle, politique et amicale avec lui est connue depuis plus de vingt ans. Bien entendu, je l'ai informé de ma décision. Mais je ne l'ai jamais instrumentalisé. Et je ne vais pas commencer aujourd'hui.

Les municipales à Paris seront-elles le premier tour de la présidentielle qui se déroulera un an après ?

Non. Les Français se détermineront aux municipales en fonction de leurs besoins locaux. L'année suivante, ils voteront pour la politique qu'ils veulent voir appliquer au plan national. Cela dit, toute élection locale, et notamment à Paris, est influencée par un contexte national.

De quels maux principaux souffre aujourd'hui Paris ?

Le système municipal, dont l'actuelle mandature n'est qu'un prolongement résiduel, a atteint le fonctionnement démocratique de Paris : les habitants en ont assez de voir l'histoire de leur ville s'écrire au prétoire. Les divisions de cette équipe ont plongé notre cité dans une forme d'inertie. Surtout, le projet de la droite a échoué. Les pollutions urbaines, le cloisonnement social qui nourrit les incivilités, le déclin économique et culturel sanctionnent un tel échec. On ne gère pas Paris comme Clochemerle. Sa diversité sociale, culturelle et générationnelle représente un formidable atout qui peut permettre à Paris de jouer un rôle pionnier dans l'invention d'un nouveau modèle urbain.

Comment la gauche peut-elle conquérir Paris ?

Elle doit être l'instrument des aspirations majoritaires des Parisiens. Pour mettre fin à l'anomalie démocratique que représente plus d'un siècle sans alternance politique dans la capitale (1). La gauche devra être porteuse d'un projet crédible et audacieux, directement inspiré par les citoyens. Mais, depuis plusieurs années, nos propositions comme nos actes ont déjà dessiné les contours d'une renaissance en marche.

Avec quel dispositif envisagez-vous de partir à la bataille ?

Toutes les forces du mouvement à Paris doivent se rassembler dès le premier tour. Je pense aux écologistes, au PCF, au MDC, aux radicaux, mais aussi aux associatifs et aux corps intermédiaires. Nous leur avions déjà ouvert nos listes en 1995. A gauche, la représentativité de chacune des forces du Paris pluriel doit être reconnue. Les socialistes étant les plus nombreux, c'est à eux de favoriser l'ouverture. Les Verts constituent la deuxième force politique de gauche à Paris, nous devrons en tenir compte dans l'élaboration des listes.

Dans un scrutin qui promet d'être serré, votre faiblesse dans les sondages par rapport à d'autres personnalités ne handicape-t-elle pas d'emblée la gauche ?

Seules les circonstances réelles d'une élection permettent de mesurer le poids de chacun. Aujourd'hui, les sondages ne mesurent que la notoriété. Prenez Philippe Séguin. Après sa croisade contre l'euro, il a dirigé le RPR puis conduit un temps la liste RPR-DL aux européennes avant d'en démissionner brutalement. Forcément, en agissant ainsi, on soigne sa célébrité.

Comment pensez-vous pouvoir l'emporter face à Jack Lang, cité comme un candidat potentiel ?

Toutes les candidatures sont libres. Je n'en récuse aucune. Je connais les qualités de Jack Lang. Mais je ne me positionne pas par rapport à tel ou tel. Que les militants décident, en fonction de candidatures assumées, ce qui doit être le plus conforme à notre démarche politique et au projet que nous voulons porter pour Paris.

Les affaires politico-judiciaires et les questions d'éthique ont été au cœur des dernières campagnes électorales à Paris. Souhaitez-vous que Jean-Marie Le Guen, conseiller de Paris et député du XIIIe, mis en cause dans l'affaire de la Mnef, figure à nouveau sur vos listes municipales ?

Je refuse la mise en cause des personnes. Mais j'assume l'exigence d'éthique collective. Je n'imagine pas que nous constituions des listes où figureraient des candidats dont la justice aurait acté les fautes. Quant aux soupçons qui pèsent sur tel ou tel, je respecte la présomption d'innocence.

Concrètement, comment comptez-vous incarner cette « nouvelle culture politique » ?

Par la clarté et la modernité des actes. Ainsi, en cas de victoire, refusant le cumul des mandats, je m'engage à démissionner du Sénat car la fonction de maire de Paris mérite que l'on s'y consacre totalement. Par ailleurs, il est clair que nos listes seront paritaires. Mais je souhaite que l'exécutif municipal le soit aussi. Sur la transparence, enfin, je placerai tous les actes juridiques et financiers de ma campagne sous le contrôle de juristes indépendants.

Quels seraient vos chantiers prioritaires pour Paris si vous étiez élu ?

J'ai déjà évoqué la nécessité d'une autre pratique démocratique qui implique déconcentration, concertation et transparence accrue. Autre priorité : la qualité de la vie. Dans une ville très dense dont un quart de la superficie est consacré à la voirie, il faudra remettre en cause la place de l'automobile afin de créer de nouveaux espaces de liberté pour les citadins. Par exemple, pour améliorer les transports collectifs, je suggère la création d'un «métro de surface» consistant à isoler du reste de la chaussée les 300 kilomètres de ligne de bus. Enfin, dans la compétition internationale, le pari sur l'intelligence me paraît essentiel. L'engagement de la ville dans la réalisation du plan gouvernemental «université du IIIe millénaire» sera décisif. Je crois profondément à cette dynamique, porteuse d'enrichissement sociologique, de synergies avec les nouvelles technologies et de rayonnement culturel. Plus globalement, l'enjeu de la prochaine mandature sera d'associer l'ensemble des quartiers populaires à une démarche qui ne doit exclure personne. L'alchimie parisienne implique à la fois de répondre au besoin d'intervention localisée et de remettre en mouvement la cité dans son ensemble.

(1) Depuis 1870 et la IIIe République, le pouvoir à Paris était surtout entre les mains de l'Etat. La fonction de maire a été rétablie en 1977.
Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
© Copyright Libération.com
PSinfo.net : retourner à la page d'accueil

Page précédente Haut de page


[Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens] [Forum]