entretien avec

En publiant " Pour l'honneur de Paris. Chronique 1977 - 2020 ", Bertrand Delanoë livre un document de première main sur les aspects mafieux de la gestion de la capitale par le RPR et ses plus hauts responsables, Chirac, Juppé, Toubon et, bien sûr, Tiberi.
On ne pourra plus nier les atteintes innombrables à la légalité dont il apporte les preuves.

 
Vous venez de publier " Pour l'honneur de Paris ". Comment Paris a-t-il été déshonoré, et par qui ?

   Depuis quelques années maintenant, les " affaires " de la Ville de Paris et leurs prolongements judiciaires alimentent la chronique. j'ai voulu décrire les caractéristiques d'un système fondé sur la conquête d'un pouvoir sans partage, au service d'une ambition nationale. Car dès 1977, Jacques Chirac s'est employé à neutraliser tous les contre-pouvoirs potentiels, ce qui a d'ailleurs abouti aux " grands chelems " de 1983 et 1989.

Mais je montre aussi que cette culture portait en elle les germes d'une dérive marquée par le sentiment d'impunité de ses principaux acteurs. Or l'exercice solitaire et opaque du pouvoir a un coût : quand des quartiers entiers sont rasés, quand le principe de la " préférence nationale " est voté en 1984 avec des visées purement électoralistes, ou quand le droit est fréquemment bafoué par un pouvoir hégémonique, comment ne pas parler de " déshonneur " ?

Jusqu'où sont allés la mise sous tutelle de la ville, l'opacité et le clientélisme ?

Dans mon livre, je me réfère en particulier à différents rapports établis par la chambre régionale des comptes, qui livrent une matière assez " riche " sur le sujet : par exemple, près de 3000 logements de l'Office HLM attribués sans transiter par une commission d'attribution, des personnes assujetties à l'impôt sur la fortune généreusement logées au sein du domaine privé, ou encore une association " amie " subventionnée par la Ville, alors qu'elle dispose de 1,5 million de francs en sicav... Chirac et son successeur ont tout fait pour chasser de Paris les électeurs qui ne leur étaient pas favorables. Ce qui leur a réussi jusqu'au début des années 90...

L'urbanisme chiraquien s'est effectivement employé à normaliser Paris, d'où la brutalité de programmes immobiliers qui ont contraint de nombreuses familles modestes à quitter la capitale. Mais les Parisiens ont opposé une résistance qui a finalement freiné ce processus.
La diversité et le mouvement demeurent des " ingrédients " essentiels de la société parisienne. Ne pas le comprendre ne pouvait qu'aboutir à une action politique décalée, voire anachronique, comme l'illustre la mandature actuelle.

On s'étonne qu'après tous les scandales, tous les manquements graves à la légalité (fraudes aux élections municipales, magouillages aux HLM, emplois fictifs...) qu'il a commis, Tiberi soit encore maire...

Je m'étonne comme vous et j'applique d'ailleurs le raisonnement à l'ensemble de l'équipe municipale.
Dans mon livre, je reviens sur la question des emplois de cabinet. En 1994, un décret a été adopté sur le sujet, sous l'autorité d'un Premier ministre et conseiller de Paris, nommé Édouard Balladur. Or l'ensemble de la majorité municipale a refusé d'appliquer ce texte, avec l'aval passif de son auteur.

La responsabilité est donc bien collective. Sans une complicité de fait de tous les élus de droite, ce système n'aurait jamais pu perdurer. C'est d'ailleurs la principale leçon du " putsch " manqué de Jacques Toubon en 1998 : comment incarner une alternative crédible, quand tout le monde boit à la même source ?

Depuis 22 ans, en tant qu'élu, vous êtes aux premières loges...

C'est vrai et c'est l'aspect personnel d'une vie publique au cours de laquelle se nouent des amitiés, s'écrivent des moments de vie, que j'ai tenté d'intégrer à ce récit.

Et si tous les quartiers de Paris ainsi que leurs élus y sont présents, mes amis du XVIIIème, Lionel Jospin, Claude Estier et Daniel Vaillant occupent évidemment une place particulière.

Les Parisiens ont ébranlé la majorité municipale en 1995, que faut-il faire pour que la gauche soit victorieuse en 2001 ?

Faire de la politique au bon sens du terme. Autrement dit, se mettre en situation de bien appréhender les questions très concrètes - y compris dans leur dimension qualitative - qui seront au cœur des prochaines municipales. La gauche parisienne doit poursuivre son travail de contact avec les citoyens pour qu'ils nous inspirent et pour qu'ensemble nous puissions " inventer " un projet novateur.

Dans ma contribution, j'ouvre des perspectives qui, de la mise en place d'un réseau vert parisien à la création d'une mégapole universitaire dédiée au XXIème siècle, en passant par l'introduction d'un quota obligatoire de logements sociaux (PLA) dans les ZAC parisiennes, sont livrées au débat public. Car il est fondamental que les Parisiens puissent s'approprier ce rendez-vous démocratique.

Pour Paris, plus qu'une simple victoire politique, c'est l'avènement d'une nouvelle culture démocratique, permettant de gérer autrement, que vous appelez de vos vœux.
Qu'entendez-vous par là ?

Le système mis en place à Paris depuis 1977 illustre le dévoiement caricatural d'une action publique. Or les socialistes aujourd'hui, autour de Lionel jospin et de François Hollande, incarnent une autre méthode, une autre culture, symbolisées notamment par la parité, la modernisation de la vie publique, par le dialogue démocratique et la volonté de rendre des comptes aux citoyens.

Il me semble qu'à Paris cette nouvelle manière d'agir en politique peut trouver un écho particulier, si la gauche locale sait la porter, l'incarner et lui donner un contenu concret.

En lisant votre livre, on sent que vous éprouvez un véritable amour pour cette ville...

Il n'est pas indispensable d'être Parisien pour être amoureux de Paris. Mais lorsqu'on y vit depuis 25 ans et qu'on y exerce de surcroît des fonctions d'élu, comment ne pas succomber ?

Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que ma relation à Paris ne s'est jamais résumée à une action politique, même si celle-ci se nourrit aussi, je l'admets, d'une par d'affectivité.


Propos recueillis par
Claude Polak.

Entretien paru dans L'Hebdo des socialistes - 17 septembre 1999