Manifeste
du Parti socialiste
Congrès extraordinaire de Créteil - 24 janvier 1981

Le parti socialiste tient à Créteil, le 24 janvier 1981, un congrès extraordinaire qui officialise le choix de François Mitterrand comme candidat à la présidentielle.
Le comité directeur désigne un nouveau premier secrétaire : Lionel Jospin.
" C'est un homme capable de remplir les plus hautes fonctions. Il n'est pas le seul. Mais par son travail à mes côtés, les responsabilités qu'il assume au sein du parti et l'autorité qu'il a acquise dans les instances internationales, il se trouve, comme on dit, en situation. "

François Mitterrand

Le congrès adopte aussi un manifeste. Ce manifeste comprend une introduction dénonçant " la lente corruption des principes de la République ", puis les grandes orientations générales regroupées autour de quatre thèmes : la paix, l'emploi, la liberté et la France.
Viennent ensuite les " 110 propositions pour la France " qui esquissent le programme de travail que mettrait en œuvre un gouvernement de gauche.

 

La paix

L'état du monde en 1981 conduit les socialistes à définir sept objectifs pour la défense de la paix :
  • L'affirmation intransigeante du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ;
  • La non-prolifération de l'arme nucléaire et le renforcement du contrôle sur les centrales civiles ;
  • Le désarmement progressif et simultané en vue de la dissolution des blocs militaires dans l'équilibre préservé des forces en présence. Dans l'immédiat, le retrait des fusées soviétiques SS-20 et l'abandon du projet d'installation des fusées américaines Pershing sur le sol européen ;
  • La dénucléarisation de zones névralgiques ;
  • L'ouverture d'une négociation sur la sécurité collective en Europe conforme à l'initiative du parti socialiste français pour une conférence sur la réduction des forces et des tensions ;
  • La définition d'un système monétaire international comportant la réforme du F.M.I., de la Banque mondiale et du " panier de monnaies ", un moratoire et de nouvelles liquidités pour les pays pauvres du tiers-monde.
  • La cohésion de la Communauté européenne par l'application réelle du traité de Rome. La présence accrue de l'Europe sur la scène du monde, face au danger que représenterait un Yalta à l'échelle planétaire. Des mesures de protection face à la concurrence japonaise.

L'emploi

Le parti socialiste a adopté un plan de lutte contre le chômage par  :
  • La relance sélective de notre économie et la réanimation de notre production intérieure grâce à l'élévation du niveau de vie des catégories les moins favorisées ;
  • Un programme de grands travaux dans le cadre de la restructuration industrielle ;
  • L'élargissement du secteur public ;
  • La réduction de la durée du travail ;
  • L'amélioration des conditions de travail ;
  • La réforme des circuits de distribution ;
  • Une politique énergétique différente et diversifiée ;
  • L'aide aux P.M.E. ;
  • La sauvegarde de la petite et moyenne exploitation agricole ;
  • La généralisation de la formation continue ;
  • La protection et le développement de l'épargne ;
  • La lutte contre la spéculation ;
  • Une réforme fiscale visant à rétablir l'équité devant l'impôt et à combattre la fraude ;
  • La restauration et l'élargissement du champ d'action des services publics.

Encore faut-il commencer par changer de politique ! Le plan démocratique sera l'instrument essentiel du redressement. Développer une croissance sociale compte tenu de tous les facteurs de production inemployés et des réserves de productivité existantes ; dynamiser la recherche et diversifier l'industrie ; rééquilibrer nos échanges et faire de l'agriculture la chance de la France autrement que par le verbiage officiel : tels sont les principaux objectifs de la bataille économique que veulent livrer et gagner les socialistes. Disons franchement qu'aucun ne serait durablement atteint si la hausse des prix, impôt sur les pauvres, subvention pour les riches, n'était pas en fin de compte jugulée.

En élargissant le secteur public par la nationalisation du crédit et des assurances et celle des entreprises industrielles - dont la liste a déjà été arrêtée - qui exercent un monopole dans un secteur-clé de l'économie ou qui fabriquent des biens indispensables à la vie et à la sécurité du pays, nous libérons l'État du diktat du grand capital et le marché du poids des groupes dominants (...).

Nous récusons tout monopole d'État. La nationalisation est un moyen, pas une fin. De là notre volonté d'entreprendre l'itinéraire de la liberté et de le suivre jusqu'à son terme, l'autogestion, c'est-à-dire un état social qui permettra aux femmes et aux hommes, là où ils vivent et travaillent, toute forme de centralisme et de gigantisme brisée, de décider ce qui leur semblera bon pour eux-mêmes et pour les diverses collectivités auxquelles ils participent.

La liberté

D'immenses espaces de liberté restent à conquérir. Sur le système en place, sur sa classe dirigeante, sur ses rapports de production et son modèle de croissance, sur son organisation, ses cadences, sa durée du travail, sur son détournement du temps libre, sur sa bureaucratie et sa fiscalité injuste et tatillonne, sur ses critères culturels, sa presse, sa radio, sa télévision, sur l'inégale condition de l'homme et de la femme (...).

Si l'on nous oppose, comme l'a fait le gouvernement, avec la loi Peyrefitte, que la sécurité des Français justifie la réduction du champ des libertés traditionnelles, nous répondrons que l'insécurité est d'abord sociale : l'insécurité de l'emploi, du pouvoir d'achat, du revenu, de l'épargne, du logement. Quand l'inéquité corrompt le corps social, le désordre n'est pas loin.

La défense de la liberté commence avec le respect de la démocratie. Démocratie politique, dont les socialistes se veulent les héritiers naturels, démocratie économique et sociale, dont ils sont les artisans. Or, sous tous ces aspects, la démocratie est menacée.

La démocratie politique

Il nous paraît dangereux, par exemple, que le chef de l'État concentre dans ses mains, comme c'est le cas aujourd'hui, la totalité des pouvoirs. Il nous paraît plus dangereux encore qu'un tel état de choses puisse durer plus longtemps. Nous ne sommes déjà plus tout à fait en république. Où en serons-nous dans sept ans si, par malheur, M. Giscard d'Estaing était réélu le 10 mai ?
D'où ces propositions :
  • La durée du mandat présidentiel sera réduite à cinq ans, une seule fois renouvelable. Ou bien la durée du mandat sera maintenue à sept ans, mais non renouvelable ;
  • Dans sa définition des relations entre le gouvernement et le Parlement, la Constitution sera strictement appliquée ;
  • Les modifications constitutionnelles prévues par le programme socialiste seront soumises au Parlement ;
  • La représentation proportionnelle sera instituée pour les élections législatives, régionales, à partir de neuf mille habitants, communales.

La démocratie économique

La réforme de l'entreprise et les droits nouveaux des travailleurs - au sein des comités d'entreprise, des conseils de gestion et de surveillance, des conseils d'atelier, avec la participation effective des cadres - feront l'objet de dispositions législatives dès la première session de la nouvelle législature.

Des droits pour les femmes égaux à ceux des hommes sur le plan professionnel (formation, emploi, rénumération), sur le plan patrimonial et dans la responsabilité politique, ainsi que la reconnaissance de leur droit à la maîtrise de leur vie personnelle (régulation des naissances, vie du couple, femmes seules et divorcées) ; le droit à l'emploi, la réduction de l'éventail des revenus, la revalorisation des bas salaires, une politique de la famille et de l'enfant, le droit pour la jeunesse d'être elle-même (à l'école, dans l'armée, par le métier, dans ses loisirs et par l'accès à la vie publique), le droit au logement pour tous, des immigrés respectés, la protection de la santé, un grand service public, unifié et laïque, de l'éducation nationale, l'école ouverte sur le monde, la formation des maîtres, une information libre et pluraliste, constituent le fondement de la démocratie sociale.

Mais c'est au regard d'une notion nouvelle : la conquête du temps libre, qu'il faut comprendre l'ensemble de ces mesures et leurs correspondances. Par la réduction de la durée du travail - les trente-cinq heures hebdomadaires, la cinquième semaine de congés payés, la retraite (facultative) à soixante et cinquante-cinq ans - dont la portée dépasse les simples considérations économiques pour signifier une autre conception du temps de vivre face aux avancées de l'électronique, des micro-processeurs et de l'automatisation, le temps de vivre enfin conquis enrichira la société future de valeurs que les tenants de la vieille société ne peuvent aujourd'hui ni admettre ni comprendre (...).

Nous avons gardé pour la fin de cette première partie de notre manifeste ce qui constitue peut-être le point central de notre action, car il conditionne tous les autres, que l'on appellera, selon l'objet, décentralisation, responsabilité à la base, organisations des contre-pouvoirs, autogestion.
L'État, instrument de la classe dominante, est aussi, en France, le produit d'une tradition centralisatrice qui, commencée sous la monarchie, s'est perpétuée jusqu'à nous. Or nous pensons que si le pouvoir central a servi, naguère, l'unité nationale, aujourd'hui il lui nuit. Double raison de s'attaquer aux structures étatiques (...).

Quand le suffrage universel nous en aura confié la charge, nous transfèrerons au niveau le plus proche de la vie quotidienne nombre des pouvoirs confisqués par l'État : fermeture des bureaux de l'administration parisienne qui régentent les collectivités locales, éclatement de ministères tels que l'intérieur, les finances, l'équipement, décentralisation des grands services publics (E.D.F., G.D.F., P. et T., etc.), suppression de l'autorité des préfets sur l'administration des collectivités locales, accroissement des pouvoirs des assemblées élues - conseils régionaux, conseils généraux, conseils municipaux, - loi associative et loi pour les départements d'outre-mer (déjà déposées à l'Assemblée nationale).

La France

Nous nous bornerons sur ce thème à proclamer notre attachement irréductible à la patrie.
D'abord en assurant sa sécurité :
  • Par le développement d'une stratégie autonome de dissuasion ;
  • Par une définition claire de la portée et du contenu de l'alliance atlantique ;
  • Par le respect des accords existants avec l'U.R.S.S. ;
  • Par l'existence de liens privilégiés avec les pays non alignés de la zone méditerranéenne et du continent africain ;
  • Par la possession des industries lourdes et des industries de pointe sans lesquelles nous serions privés du potentiel économique nécessaire à notre indépendance ;
  • Par notre présence active dans l'Europe de la C.E.E. à la fois pour qu'elle affirme son rôle dans le monde et pour qu'elle respecte nos légitimes intérêts.
Ensuite en préservant son identité :
  • Par son message universel de liberté, de droit et d'arbitrage international ;
  • Par sa culture et par sa langue ;
  • Par la vitalité de sa démographie ;
  • Par sa fidélité aux principes qui la font reconnaître comme l'un des grands acteurs de l'histoire.
Il lui sera facile d'être elle-même, de reprendre avec le socialisme la plus haute de ses traditions : la souveraineté populaire pour la conquête des droits de l'homme.


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