Référendum sur la constitution européenne
Le monde n'attendra pas l'Europe

Joseph Borrell


Entretien avec Josep Borrell Fontelles, président du Parlement européen, paru dans Le Journal du Dimanche daté du 3 avril 2005
Propos recueillis par Gilles Delafon


 

Quel sentiment vous inspire la campagne en France pour le référendum ?
Vous, les français, aimez beaucoup le débat démocratique et c'est tout à votre honneur, mais dans le cas présent, il faudrait parler du vrai sujet, c'est à dire la Constitution. En connaissance de cause. Or on entend beaucoup de contrevérités et d'amalgames. Les sujets évoqués n'ont rien à voir avec la Constitution, ils relèvent souvent de la politique intérieure ou des querelles internes à certains partis. J'aimerais que le débat se recentre sur la Constitution.

Diriez-vous que le débat actuel est truqué ?
Je ne veux pas dire qu'il y a des truqueurs, mais certains arguments me surprennent. Quand, par exemple, j'entends que la Constitution serait la base juridique à la directive Bolkestein sur la libéralisation des services. Comment peut-on dire une chose pareille en plein débat de ratification ? Il faut que le citoyen français soit informé de ce qu'est l'Europe aujourd'hui et de ce que la Constitution représente dans sa construction.

J'ai l'impression que depuis treize ans, depuis le débat sur le traité de Maastricht, on ne parle pas assez d'Europe en France. La conscience collective est restée endormie alors que se produisaient d'importants changements. Tout à coup, les gens se réveillent avec un manque d'information. J'espère qu'au cours des deux prochains mois, le débat va permettre aux Français de mieux connaître le sujet sur lequel ils doivent se prononcer.

Pourquoi la directive Bolkestein n'a-t-elle rien à voir, selon vous, avec la Constitution ?
Parfois, je constate que les gens croient qu'elle est déjà en vigueur, et ce à cause de la Constitution. Or elle ne l'est pas, et elle ne le sera pas tant que le Parlement européen ne l'aura pas décidé conjointement avec le Conseil des ministres.
C'est une proposition de l'ancienne commission Prodi, qui a suscité toutes ces réactions. Le Conseil européen du 22 mars dernier a estimé qu'elle devait être revue et qu'elle ne doit, en aucun cas, altérer le modèle social européen. La Commission, elle-même, a reconnu que son projet n'était pas clair du tout. La balle est désormais dans le camp du Parlement. Je peux vous assurer qu'il va la mettre à plat en la clarifiant et en l'amendant.

En quoi la situation aurait été différente si la Constitution était déjà en vigueur ?
Le parlement français en aurait été saisi, dès le départ par la Commission. Il aurait pu lui dire : votre proposition met en danger notre système social, révisez-la. Sitôt la décision finale prise, il aurait pu demander à son gouvernement d'introduire un recours davant la Cour de justice européenne si ses objections n'avaient pas été prises en compte. La Constitution accroît ainsi le rôle des parlements nationaux en leur donnant un droit de regard, celui de critiquer et celui d'intervenir juridiquement.

La Commission n'a que le droit de proposer, pas celui de décider. C'est au Parlement européen et au Conseil des ministres de l'Union européenne de le faire. Et je vous assure que nous n'allons pas accepter une directive qui mette en cause le droit des travailleurs. Nous trouverons un équilibre entre amélioration de la compétitivité économique et préservation du modèle européen.

En tant que leader socialiste européen, qu'évoquent pour vous les dissensions actuelles au sein des socialistes français, notamment ces propos d'un Jean-Luc Mélenchon qui affirme que le PS est le seul parti réellement démocratique au sein des socialistes européens ?
J'ai la chance d'avoir des amis au sein de ses différentes sensibilités. J'ai partagé un certain nombre de journées avec certains partisans du « non » du Parti socialiste à Porto Alegre, ainsi que pas mal de séances du Conseil des ministres du Budget. Mais là, je considère que ses déclarations sont un peu insultantes pour les autres partis socialistes. Au sein du parti socialiste espagnol, nous avons aussi des débats, mais la règle de la majorité démocratique y est respectée dans tous les cas.

Je me demande pourquoi les socialistes français ont fait un référendum interne si finalement chacun campe sur ses positions. Est-ce que c'est très démocratique ? Je pensais que lorsque l'on faisait un référendum dans un parti, c'était pour arrêter la position de l'ensemble, je vois qu'il y a d'autres interprétations possibles.

Quelle serait la conséquence d'un « non » de la France à la Constitution européenne ?
Je ne veux pas faire de catastrophisme, mais ce serait un choc, un tremblement de terre. Surtout, ne laissons pas croire que le texte pourrait être facilement renégocié.

Si la France, grand pays fondateur venait à dire « non », ce serait un coup d'arrêt à la construction européenne. Bien sûr, elle continuera à fonctionner sur les bases actuelles, qui sont précisement celles que dénoncent certains partisans du « non ». La France serait marginalisée pour un certain temps.

Faire croire que l'on peut renégocier rapidement est donc un mensonge ?
C'est une vision peu réaliste. Du traité de Nice (2000) à l'entrée en vigueur de la Constitution (2009) - si elle entre en vigueur -, il se sera écoulé neuf ans. Si la France dit « non » maintenant, est-ce que vous croyez que l'on mettra moins de neuf ans à négocier et à ratifier un autre traité ? En attendant, depuis Nice, se seront écoulés vingt ans. Et le monde ne va pas s'arrêter vingt ans en attendant que les Européens puissent résoudre la question de leur fonctionnement interne. Je voyage beaucoup en Europe et je ressens beaucoup d'inquiétude face à la situation française. C'est pour cela qu'il ne faut pas trop s'amuser à évoquer une possible crise salutaire. Ce serait une crise, c'est sûr. Salutaire, j'en doute.

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