Allègre « secoue le cocotier »

Claude Allègre
Président de l'Institut de physique du globe et membre du conseil national du PS, Claude Allègre explique à quelles conditions, selon lui, le Premier ministre peut devenir en 2002 chef de l'Etat.
 Entretien accordé au journal Le Parisien daté du mardi 27 mars 2002
 propos recueillis par Dominique de Montvalon


 

Demain, il y a aura exactement vingt ans que François Mitterrand a été élu président de la République...

Il a eu un rôle historique : celui d'avoir rassemblé la gauche et permis l'alternance. Je n'ai jamais été un courtisan. Je suis d'autant plus à l'aise pour le saluer. A gauche, il y a eu, dans la seconde moitié du siècle, un grand homme d'Etat, Pierre Mendès France, et un grand homme politique, François Mitterrand.

Vous affirmez que la France est « conduite comme une auto tamponneuse à la foire », vous déplorez le poids des « archaïsmes » et regrettez la mauvaise utilisation des fruits de la croissance. Depuis votre départ du gouvernement, vous avez pris des distances avec la gauche...

Erreur complète : mes convictions de gauche sont intactes. En plus, je ne crois pas utile à la France que Jacques Chirac, champion éprouvé de la politique politicienne, soit réélu en 2002. Simplement, n'étant candidat à rien et n'ayant personne à ménager, je « secoue le cocotier » pour provoquer un débat d'idées. La gauche ne peut l'emporter que si elle retrouve l'élan et les accents d'un réformisme moderne. Celui qui a prévalu entre 1997 et 1999, et qui plaisait aux Français.

Aujourd'hui, la gauche n'innove plus ?

Elle mène une « politique techno », peu lisible, dans laquelle les électeurs de gauche ne se reconnaissent plus, d'où le vote protestataire. Elle laisse les énarques gouverner à sa place. Elle combine l'archaïsme libéral et l'archaïsme étatique. C'est ce qu'on appelle « l'équilibre ».

Pourquoi cette dérive ?

Il y a sans doute la fatigue du pouvoir : cinq ans à Matignon, c'est long. Il y a aussi la technocratisation du pouvoir. Et puis il y a le fait que la « machine Matignon » a pris de plus en plus de poids. Si Jean-Pierre Chevènement a démissionné, c'est parce que les avis d'un conseiller de Matignon ont été préférés, sur la Corse, aux propositions du ministre de l'Intérieur. Mais laissons là les questions de personnes. Car deux choses seulement m'intéressent, alors que doit s'engager, à l'écart des partis, un dialogue direct entre les candidats à l'Elysée et le peuple : de quelle façon la France va-t-elle être gouvernée demain ? quelle politique sera choisie ?

Vous souhaitez une VI e République comme le député PS Arnaud Montebourg ?

Je souhaite que notre démocratie, mal en point, fonctionne mieux. Par exemple, qu'on interroge davantage les citoyens par des référendums consacrés aux sujets qui les touchent dans leur vie quotidienne, et qu'on associe davantage la majorité parlementaire aux réformes pour éviter qu'au dernier moment, presque par revanche, elle ne soit tentée par des réactions archaïques. J'ai vu le moment, l'autre jour, où l'on allait rétablir l'autorisation administrative de licenciement !

Cela explique, selon vous, les mauvais résultats de la gauche aux municipales...

Les dernières municipales sont, en effet, un signal d'alarme. 1. Les deux tiers des voix de l'électorat d'extrême droite se sont reportés au second tour sans état d'âme sur les candidats de droite restés en lice. 2. Le vote protestataire qui allait au PC est allé cette fois à l'extrême gauche et aux Verts avant de s'égayer souvent dans la nature. 3. Le plus grand parti de France, c'est plus que jamais celui des abstentionnistes. Bref, la gauche n'a pas déplacé le curseur en sa faveur. Il est donc temps qu'elle reparte à la conquête de ceux qui l'ont aidée à gagner en 1995, et sans lesquels il n'y aura pas de victoire en 2002 : les cadres, les électeurs du centre, les abstentionnistes.

Faut-il baisser les impôts ?

Il est clair que l'impôt en France, aujourd'hui, est injuste.

Faut-il une réforme fiscale ?

Oui, bien sûr, en chargeant trois ou quatre députés de la faire. Avec un objectif : ne pas pénaliser le travail, car, dans ce pays, il faut réhabiliter le travail, donc aussi le sens de l'effort.

Mais vous êtes quand même contre la politique de baisse d'impôts ?

Globalement, oui. C'est une politique traditionnelle de droite. Ce fut celle de Thatcher. C'est celle de Bush. Je crois qu'on aurait pu utiliser les fruits de la croissance autrement, en faisant notamment un grand plan de rénovation des infrastructures et des équipements des services publics.

Faut-il diminuer le nombre des fonctionnaires ?

Oui, mais pas uniformément. Car il est incohérent de prétendre « défendre le service public » tout en le paupérisant dans des secteurs essentiels : police, justice, enseignement, santé.

Faut-il privatiser davantage ?

Ce qui est dans le secteur concurrentiel, oui. Renault, Air France, France Télécom, par exemple. Mais non pour EDF ou la Poste.

Souhaitez-vous des fonds de pension « à la française » ?

Pour les cadres notamment, ne serait-il pas plus malin de leur permettre d'avoir accès à des fonds de pension plutôt que laisser des fonds de pension étrangers faire chez nous la pluie et le beau temps ?

Faut-il assouplir les 35 heures ?

Dans les PME-PMI, tissu industriel de la France, oui, sans aucune hésitation.

La gauche va-t-elle l'emporter en 2002 ?

Oui, si elle tourne le dos au techno-socialisme, et si elle porte à nouveau un projet d'avenir capable de faire rêver les Français.

Pourtant, Jacques Chirac apparaît aux Français comme l'« homme sympa »...

Je sais, je sais... Seulement, les routiers, eux aussi, sont sympas. Le problème, c'est que, sur la route, trop d'accidents leur sont imputables.

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