Etat des lieux socialiste après le référendum

Claude Allègre
par Claude Allègre, professeur à l'université Denis-Diderot (Paris VII), ancien ministre de l'Education nationale.
Point de vue paru dans le quotidien Libération daté du 8 juillet 2005


 
Le référendum sur le traité constitutionnel est en train de bouleverser la politique européenne, mais sans doute aussi la politique française à droite comme à gauche. A droite il y a d'abord, bien sûr, l'échec du président de la République qui semble aujourd'hui très affaibli. Méfions-nous toutefois de la volatilité de la vie politique et souvenons-nous que François Mitterrand a été très bas lui aussi dans les sondages et qu'il a pourtant été brillamment réélu dix-huit mois plus tard. Vieux politicien sans vision, mais non sans ambition, Jacques Chirac a réussi à mettre face à face les deux dauphins potentiels et dans le même temps casser provisoirement la gauche.

Certes, il est affaibli en Europe, mais il s'y montre désormais le défenseur intransigeant des intérêts de la France et sur le plan intérieur ce n'est pas forcement un mauvais calcul... à terme. Mais laissons le temps défaire les nœuds qu'il a lui-même confectionnés !

A droite, il se passe un phénomène qui est peut-être plus important bien que moins visible, c'est l'émergence comme force politique de la droite extrême de Philippe de Villiers. Nul doute qu'il a été l'orateur le plus voyant lors du débat européen et tout porte à croire qu'il va petit à petit récupérer l'électorat d'un Le Pen vieillissant, autrement dit réussir ce que Charles Pasqua a manqué. Le successeur de Le Pen, c'est Villiers. Et cela change tout. Dans un premier temps, il va jouer l'intransigeance, mais dès qu'il aura une force politique suffisante, il va, comme son collègue Giancarlo Fini en Italie, mettre ses voix à la disposition de la droite. Au prix fort, bien sûr ! Or, les idées que véhicule Villiers ne sont guère moins toxiques que celle de Le Pen.

Et comme par hasard ces idées commencent à refaire surface à droite où l'on parle ouvertement de « nettoyer » les banlieues, d'instaurer des quotas, voire de nationalisme étroit.

Le langage populiste de Nicolas Sarkozy annonce le retour d'une droite dure, Nicolas Sarkozy est, ne l'oublions pas, le successeur et disciple de Charles Pasqua qui avait défendu l'alliance de la droite avec le Front national. Qui gagnera, la droite gaulliste et républicaine ou la droite dure populiste et démagogique ? Rien n'est rassurant.

A gauche, la situation n'est pas pour autant réjouissante. Les régionales avaient allumé une lueur d'espoir. Les électeurs de gauche se repentant de la dispersion fatale des voix au premier tour de 2002 avaient voté utile et, du coup, le Parti socialiste avait remporté une victoire historique, bien que totalement inespérée. La stratégie pour parvenir à l'inévitable alternance était toute tracée. Elaborer un bon programme, afficher une vérité et une sérénité et attendre.

Las, le référendum européen a mis tout cela cul par-dessus tête ! Que l'extrême gauche et le Parti communiste votent avec Chevènement, Le Pen et Villiers contre l'Europe ne constitue pas une surprise, ils l'ont toujours fait, c'est dans leur nature. Ce qui a été plus surprenant, c'est bien sûr l'attitude de certains socialistes. Doublement surprenante.

D'abord, voir que des signataires de l'Acte unique, des thuriféraires du traité de Maastricht défendaient le non, en critiquant précisément la partie du traité correspondant à ce qu'ils avaient hier adoré, était assez étrange. Mais surtout passer outre un vote démocratique interne au Parti socialiste, fouler au pied le vote des militants qu'ils ambitionnent par ailleurs de représenter est une attitude injustifiable. La fin justifie les moyens est le nouvel adage du conglomérat des félons. Ça ne paraît pas le meilleur moyen pour donner au citoyen une image propre de la politique !

Du coup, le Parti socialiste est divisé. Non pas sur des options fondamentales, car il faut bien reconnaître que les idées et le débat autour d'elles n'encombrent pas le paysage, mais par des ambitions personnelles. Qu'on se rassure, ce n'est pas la première fois que de telles péripéties ont lieu. Le même Laurent Fabius, crocodile de la République politicienne, Premier ministre des années 80, avait déjà déclenché le fameux congrès de Rennes, faute d'avoir accepté le vote démocratique de son courant qui avait désigné Pierre Mauroy comme premier secrétaire. Quelques années plus tard, les mêmes ont orchestré le non moins fameux congrès de Liévin en organisant un coup d'Etat interne contre Michel Rocard ! Cela n'empêchera pas les socialistes d'être unis derrière Lionel Jospin à la présidentielle de 1995, quelques mois plus tard !

Il n'y a pas lieu de dramatiser. On peut même considérer que la situation est politiquement plus claire qu'en 1994. D'un côté, ceux qui prônent l'alliance avec l'extrême gauche et qui, implicitement, rêvent d'un retour aux vieilles idées marxistes, qui veulent mettre de facto la construction européenne par terre (où est le fameux plan B ? où sont les idées et les partenaires européens pour rénover ?) et qui rêvent de ressusciter les mœurs florentines du passé.

De l'autre, des sociaux-démocrates qui refusent l'alliance avec l'extrémisme, tant que celui-ci n'aura pas renoncé à la violence, au processus révolutionnaire, aux discours enflammés qui ont conduit bien des peuples aux désastres. Sociaux-démocrates qui veulent bâtir un programme de gouvernement réaliste, fondé sur la lutte contre le chômage et la perspective du plein emploi, qui souhaitent construire une Europe plus solide pour résister aux agressions de la mondialisation, mais qui veulent la construire sur les acquis de l'Union. Sans doute en proposant une fédération d'Etats-nations resserrée autour de l'euro, laissant à l'Union le rôle d'une confédération comme le voulait François Mitterrand. Et qui eux, sont unis, par-delà les légitimes ambitions individuelles pour redonner au Parti socialiste son vrai rôle d'inventeur d'avenir. Sociaux-démocrates qui défendent une certaine idée de la politique où l'honnêteté, le respect des engagements et des règles démocratiques, et le non-cumul des mandats soient la règle.

Chaque militant socialiste, chaque Français doit savoir que leurs engagements ne sont pas des ruses. Et ils sont crédibles car ils ont fait l'analyse honnête des années de gouvernement Jospin dont ils n'ignorent pas les zones d'ombre, mais dont ils assument l'héritage notamment celui des trois premières années qui ont montré que faire baisser le chômage était possible et que l'éthique, l'honnêteté et le respect des engagements pouvaient fonder une politique.
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