Un faux débat

Claude Allègre
par Claude Allègre, professeur à l'université Denis-Diderot (Paris VII), ancien ministre de l'Education nationale.
Point de vue paru dans l'hebdomadaire L'Express daté du 29 novembre 2004


 
L'avenir de l'Europe, de la place de la France en Europe, et même de la démocratie en France, va peut-être se jouer dans quelques jours au sein du Parti socialiste. Depuis trente ans, le PS contribue à faire éclore une véritable démocratie en France, car l'alternance est devenue la règle. Rompant avec les pratiques d'un passé désormais lointain, François Mitterrand et ses successeurs ont ancré le PS autour de valeurs essentielles: responsabilité, laïcité, économie sociale de marché et Europe. On connaît sa formule « La France est notre patrie, l'Europe est notre avenir. » Elle l'est en effet, que l'on soit socialiste ou non. Or aujourd'hui, brutalement, le PS s'interroge sur son identité européenne. Et, ce, au plus mauvais moment.

Conforté par une réélection facile, le président américain va poursuivre sa stratégie unilatérale d'hyperpuissance. La Chine poursuivra son irrésistible ascension sur la scène mondiale économique et politique. Forte de son milliard d'habitants, l'Inde pointe son nez. Le Japon sort de la crise. Plus que jamais, pour les pays qui la constituent, mais aussi pour le monde, l'Europe est un besoin. Mais elle est divisée sur l'Irak, le moteur franco-allemand est contesté, les nouveaux pays de l'Est s'inquiètent du réveil russe.

Au moment où l'on reproche à la France une attitude arrogante et dominatrice, que l'on peut mettre sur le compte d'un néogaullisme mal compris, les socialistes vont-ils, en votant non à la Constitution européenne, avoir raison contre tous les partis socialistes européens et la Confédération des syndicats ? Avec une Commission et une majorité qui lui sont moins favorables que par le passé, le PS pense-t-il qu'il obtiendra plus en représentant moins ? Un non ne ferait qu'isoler un peu plus la France.

Le traité de Rome II est-il parfait ? Certes, non. Et les lecteurs de L'Express savent bien que je ne suis pas le moins critique. Mais faut-il pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain? Au vrai, le PS a engagé un faux débat. Tout le monde le sait, c'est en fait une lutte de pouvoir qui s'est engagée en son sein. Des ambitions personnelles cherchent à s'imposer par-delà l'intérêt général.

Le risque politique est énorme. Si le non l'emporte, le PS éclatera. Comment un premier secrétaire digne de ce nom pourrait-il rester à la tête d'un parti qui aurait perdu son identité à cause de l'action de son n° 2 ? Les déclarations faussement apaisantes ne doivent pas masquer ce danger.

Les socialistes, qui ont lu Jean de La Fontaine, connaissent bien Raminagrobis. Ils ne veulent être ni lapins ni belettes. Si le PS se brisait, nous assisterions au retour des combines et des magouilles. Et au triomphe d'un néo-molletisme, incarné par un homme qui s'est fait le chantre du social-libéralisme et qui joue maintenant avec l'aile gauche du parti, dont il était jusque-là la cible privilégiée.

Faut-il rappeler que Guy Mollet ne fut pas un homme d'Etat ?
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