Si Jospin n'est pas candidat...

Claude Allègre

Entretien avec Claude Allègre, ancien ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de la Technologie (1997-2000), paru dans l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur daté du jeudi 8 janvier 2004
Propos recueillis par François Bazin


 

2004, année du début de la reconquête pour la gauche, ça vous paraît crédible ?
Non, hélas ! Mais d’abord entendons-nous sur les mots. C’est quoi, la gauche, aujourd’hui ? Mis à part le PS, il n’y a plus rien. Le PC est un parti en phase terminale. Les Verts sont un bateau ivre. Quant aux gauchistes, ils font exploser tous les thermomètres de la ringardise et de l’irresponsabilité. Dans ce paysage désolé, j’observe mes amis socialistes et j’hésite alors entre la rage et le désespoir. J’ai l’amitié exigeante, vous le savez bien !

Pourquoi ? Vous excluez que le PS sorte vainqueur des scrutins du printemps prochain ?
Je n’ai pas d’a priori. Tout est possible en politique. Par principe, j’espère la victoire de mon camp. La sanction de la droite serait juste et saine. En même temps, je constate aussi un dilemme. Si pour le PS le résultat des régionales est correct ou moyen, tout continuera malheureusement comme avant, et l’on reverra les mêmes dirigeants faire chauffer leur petite soupe sur leur petit feu. Mais je ne peux souhaiter une défaite du PS en espérant qu’elle provoque un sursaut.

D’où vient cette panne ?
Toujours la même chose : le 21 avril et le refus de comprendre ce qui s’est vraiment passé. Pour la plupart des dirigeants socialistes, le départ de Jospin a été une divine surprise. La défaite, c’était la responsabilité du chef. Du coup, personne n’a fait l’inventaire de la législature. Non par pudeur, mais par habileté. Il fallait que personne n’entre dans le détail de l’œuvre accomplie durant cinq ans et ne pose, du même coup, les questions qui fâchent. Pourquoi cette rupture de rythme à partir du printemps 2000 ? Pourquoi, après l’élan formidable des premières années, cette perte de souffle et d’autorité ? Pourquoi ce retour au classicisme technocratique incarné par Fabius et qui nous conduit à une campagne sans véritable projet ?

Pensez-vous sérieusement que Jospin ait encouragé cet inventaire ?
Jospin n’a pas à encourager ou à décourager qui que ce soit. Il est ailleurs. En retrait. Il veut bien aider. Mais il n’est plus en responsabilité. Qu’il ait commis des fautes, je suis le premier à le dire. Dans l’affaire de son soi-disant passé trotskiste, par exemple, il a été particulièrement mauvais. N’empêche que pour tout le reste il y avait un travail de compréhension et d’analyse qui incombait d’abord au PS. Or il n’a pas été fait, et ce silence a des conséquences dramatiques. Les socialistes sont en état d’apesanteur. Ils ne sont en mesure ni d’assumer un bilan qui est souvent brillant, ni de reconnaître des erreurs qui sont souvent flagrantes. Quand sont-ils encore audibles dans le débat politique ? On ne les entend, hélas, que lorsqu’ils disent être d’accord avec Chirac sur l’Irak ou la laïcité. C’est tout dire !

N’est-ce pas ce qui nourrit les rumeurs sur un retour de Jospin ?
J’entends ces rumeurs. Elles m’amusent. On dit que Jospin revoit beaucoup de monde à gauche. Je crois surtout que, depuis quelque temps, beaucoup de monde à gauche demande à revoir Jospin. Au cas où ! Mais soyons sérieux. Pour qu’il revienne, il faudrait, comme je l’ai déjà dit dans vos colonnes, des circonstances exceptionnelles. Il faudrait aussi la conjonction de deux envies réciproques : celle de Jospin et celle des Français. On n’en est pas là.

Pourquoi ?
Parce que l’envie, ça ne se décrète pas et que ça n’a rien à voir avec le regret ou le remords. Je ne crois pas qu’un tel sentiment puisse renaître subitement, comme par magie. Il faudrait, en tout cas, être fou pour imaginer que Jospin puisse ressortir de sa boîte en 2007 dans l’état exact où il y est entré en 2002. Etre l’anti-Chirac n’a pas suffi lors de la dernière présidentielle. Le rester lors de la prochaine compétition est bien sûr un atout, mais ce ne sera pas suffisant. Il faudra aussi donner aux Français des perspectives et de l’espoir.

Avez-vous l’impression qu’un nouveau Jospin est en train de naître ?
Je vois surtout un homme qui redécouvre les plaisirs d’une vie ordinaire et qui ne calcule pas, contrairement à ce qu’on dit ici ou là. Je côtoie un citoyen toujours aussi passionné par les affaires de la France et inquiet de la dégradation de sa situation.

Souhaitez-vous son retour ?
Je rêverais d’une vraie relève de génération. Mais où sont, à gauche, les Blair ou les Clinton de demain? Le PS a dans ses rangs des présidentiables. Le mieux armé me paraît être Strauss-Kahn, qui a un bilan positif comme ministre de l’Economie.

Peut-il gagner en 2007 ?
Soyons franc. Si Jospin, par des circonstances qui, je le redis, ne sont pas aujourd’hui réalistes, n’est pas le candidat de la gauche, ce sera pour elle très difficile de l’emporter. Mais je ne lis pas dans le marc de café. Je rêve toujours de changer une société que je trouve injuste, et je ne renoncerai jamais à ce combat, à ma modeste place.

© Copyright Le Nouvel Observateur


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