Pauvre Fillon, il est dans la nasse

Claude Allègre

Entretien avec Claude Allègre, ancien ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de la Technologie (1997-2000), paru dans Le Parisien daté du 14 février 2005.
Propos recueillis par Dominique de Montvalon
 

Hier soir sur Europe 1, François Fillon a enterré la réforme du bac, mais maintient le reste de sa réforme...
Pauvre Fillon !... Il est dans la nasse, mais il n'y est presque pour rien ! Et ça peut déraper alors que j'ai de l'estime pour l'homme.

C'est la faute à qui ?
A Chirac qui, depuis le début, se trompe du tout au tout. Il n'a pas senti le désarroi de la jeunesse. Il est vite mal à l'aise sur le terrain de l'Education nationale. Et, sous prétexte de tenir une promesse, il a imposé à Fillon - qui traînait les pieds - de faire une loi. Or c'était parfaitement inutile. Grâce au Code de l'éducation, que nous avons fait adopter avec Lionel Jospin, sur le modèle du Code du travail, il suffisait d'amender les textes existants, d'y rajouter quelques articles purement réglementaires. Mais Chirac, dont la politique de sécurité est perçue par les jeunes comme sécuritaire, et qui ne mesure pas à quel point le chômage angoisse les lycéens, n'en a eu cure. Il a dit : « Il faut une loi. » Dans son esprit, c'était évidemment une loi contre les socialistes. Or, au départ, Fillon avait pourtant assuré qu'il n'allait pas remettre en cause la loi Jospin.

Comment expliquer la révolte contre le contrôle continu ?
Aujourd'hui, près de la moitié du bac est passé en contrôle continu. C'est le cas de la majorité des bacs professionnels. Le contrôle continu, ce n'est donc pas une invention 2005. Pourquoi les élèves des filières générales ne s'y mettraient-ils pas ? En fait, la vraie question, c'est : pourquoi les profs sont-ils contre le contrôle continu au bac car, a priori, cela leur donnerait un pouvoir supplémentaire sur leurs élèves ? Réponse : ils ont le sentiment d'avoir perdu beaucoup de prestige, et le bac reste « le » totem. C'est pour ça que moi, je n'avais pas touché au bac. D'ailleurs, que s'est-il passé quand on a supprimé le brevet pendant un moment ? Eh bien, on l'a rétabli aussi sec. Aujourd'hui, il y a un cérémonial du bac, quasi sacré. Il ne faut pas y toucher.

Diriez-vous que, décidément, il est difficile de réformer l'Education nationale ?
Ce n'est pas neuf. Et j'en sais quelque chose même si j'ai fait avancer beaucoup de choses. Si, aujourd'hui, s'il fallait recommencer, je ne m'y prendrais pas toujours de la même façon. Je constate que Fillon doit faire marche arrière. Je le déplore, même si je suis en complet désaccord avec certains de ses projets. Un exemple : la détestable idée de vouloir supprimer les travaux personnels encadrés.

Que pourriez-vous lui conseiller ?
Qu'il garde ce qui est bon, qu'il corrige ce qu'il faut corriger, mais qu'il ne compte pas trop sur le soutien de Chirac !

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