L'Europe, un destin, une construction qui nous protège

Kader Arif
Intervention de Kader Arif, député européen, lors du conseil national du parti socialiste, le 9 octobre 2004.


 
Mes chers camarades,

Il y a quelques semaines encore, et on me le faisait remarquer, je faisais partie des militants de notre Parti qui s’interrogeaient sur ce traité et réservaient leur réponse. Cette hésitation, ces interrogations étaient sincères et légitimes comme le sont celles de bon nombre de nos militants aujourd’hui qui n’ont pas encore pris de décision.

Dans un premier temps cette réflexion était réactive, impulsive, parfois agacée, et je me demandais si ce texte correspondait à mon idéal, à mon idéal européen. En fait, la question que je me posais était de savoir si ce texte correspondait à mon désir d’une Europe française. A l’évidence, non.

Mais la campagne des élections européennes, l’installation du Parlement européen, les différentes confrontations au sein du Parti socialiste européen et du groupe, après avoir consulté le traité, écouté les différents arguments, ma deuxième question fut de savoir si nous pouvions seuls avoir, à court terme, une République européenne identique à notre République française. Là aussi, la réponse fut : non.

Comme je n’ai pas connu l’Europe de la CED, privilège d’un bout de jeunesse, ni suivi ou participé à celle du traité de Rome, j’ai voulu savoir à quel moment de ma vie militante et citoyenne, cette question européenne est venue enrichir ma réflexion. Cette Europe, pour moi, c’est d’abord celle de l’acte unique en 1986, puis celle de Maastricht en 1992. Mais ni notre engagement de 1986, ni le débat de 1992 déjà tranché par un référendum national n’avait fait de moi un européiste béat. Pourtant, respectueux du chemin tracé par François Mitterrand et Pierre Mauroy, nourri par les arguments de Jacques Delors, aidé par le talent, la force de conviction et de persuasion de beaucoup d’entre vous, quelles que soient vos sensibilités, sensible à ce que vous développiez sur la non rupture, et conforté et convaincu par le “ non au non ” de Lionel Jospin, j’ai choisi de voter oui à Maastricht et oui à la construction européenne qui nous était proposée.

Aujourd’hui je ne regrette pas mon choix. J’ai compris que l’Europe était un destin, une construction qui nous protège. Mais je n’oublie pas, certes par histoire personnelle, mais surtout parce que je suis un homme de gauche, que rien n’est jamais acquis, que rien ne nous est donné ou offert, et que la vie comme l’engagement politique ne sont que rapports de force, quels que soient les textes que l’on nous propose ou l’empathie que l’on nous témoigne.

Aujourd’hui, un traité nous est servi, le traité de Bruxelles. Chacun reconnaît, dans la famille socialiste, les lacunes qui sont les siennes. Mais chacun reconnaît les avancées majeures qu’il comporte. Il est le traité qui en propose le plus depuis longtemps. Pourtant, il faudrait dire non pour être un socialiste debout. J’ai l’impression qu’en votant oui, je serais aussi un socialiste encore plus debout.

Est-ce parce qu’il nous renvoie collectivement à nos manquements, à nos égarements, à ce que nous n’avons pas su faire à des moments donnés ?

Nous étions aux responsabilités à chaque nouvelle étape et à chaque grande étape de la construction européenne. Parfois seuls, parfois en cohabitation et par conséquent mal accompagnés, mais malgré tout nous avons suivi le chemin tracé par nos pères. Alors, ce débat qui s’engage entre nous est-il perturbé par un retour de mémoire culpabilisatrice ? Cela serait une erreur. Nous ne sommes coupables de rien, et surtout pas de vivre sur un continent où la paix garantit la relation fraternelle entre les hommes, quand je vois que la guerre n’est jamais loin.

J’ai choisi de dire oui. Pas un oui résigné. On se moquait tout à l’heure de ce que disait François : un oui de combat. Un oui de combat, parce que quand on est à gauche, c’est toujours un oui de combat et d’engagement, dans le respect de l’autre, sans âme guerrière et mot outrancier. Ce oui, il assume notre histoire, mais il marque aussi notre volonté de changer les choses. Je peux entendre la rupture. Mon caractère, mon tempérament m’y porteraient. Mais il m’est difficile d’être en accord avec cette théorie. C’est un concept qui peut flatter l’orgueil, marquer une posture, sanctifier une position et un espace politique, mais c’est une posture défensive. La défense, en sport comme en politique, permet éventuellement de ne pas perdre, mais seule l’offensive permet de gagner. Je rêve de voir nos valeurs triompher dans les mois qui viennent. Le non ne permettrait pas de remporter cette victoire.

Mais, ne créons pas de faux espoirs. On a eu l’occasion de le faire sur d’autres questions par le passé. Faire croire que le “ non ” socialiste résoudrait les problèmes de délocalisation, qu’ainsi l’harmonisation fiscale et sociale se passerait du jour au lendemain, que l’Europe sociale telle que nous l’entendons se réaliserait, c’est raconter des histoires à l’électorat le plus sensible, à l’électorat le plus fragile. Veillons à dire la vérité, à ne pas décevoir cet électorat, parce que la désillusion peut conduire à l’incompréhension et au rejet.

Sommes-nous sûrs de pouvoir tenir, une fois revenus au pouvoir, cette opposition de rupture ? Permettez-moi d’en douter. Abandonner le combat est un mauvais service rendu à nos concitoyens. Faire du traité de Nice une panacée (parce que lui aussi, le traité de Nice, c’est à l’unanimité qu’il faudrait le réformer) et considérer que s’il y avait réouverture d’une convention, nous gagnerions, nous socialistes français, contre tous relève, là aussi, d’une fausse idée.

Je n’ai pas envie de conforter l’idée de notre arrogance ou de notre suffisance en tant que Français en minant le Parti socialiste européen avant même son existence, alors que nos militants le réclament depuis longtemps et que nous avons tout fait pour avoir aujourd’hui la création d’un PSE. Je n’ai pas envie de m’inscrire dans une logique du bouc émissaire où l’Europe nous ferait oublier nos faiblesses sur le plan national. Je n’ai pas envie d’engager nos militants dans une bataille fratricide en répétant que, quel que soit le résultat, cela n’aurait aucune conséquence.

Faire de la Turquie, sensibilité pour moi très particulière, un élément du débat qui ne concerne en rien le traité qui nous est aujourd’hui proposé, c’est jouer sur les peurs, c’est jouer sur les fantasmes, c’est jouer sur les angoisses.

Nous avons deux mois de débat devant nous. Je suis convaincu que le oui est la seule réponse que peuvent et que doivent donner nos militants, parce que le non nous mènerait à une impasse et ne nous permettrait pas de gagner les élections de 2007.

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