Les Français peuvent se sentir à nouveau bernés

Martine Aubry



Entretien avec Martine Aubry, maire de Lille, paru dans le quotidien Le Monde daté du 7 avril 2004
Propos recueillis par Isabelle Mandraud
 

Qu'avez-vous pensé du discours de Jean-Pierre Raffarin ?
Après les élections régionales et cantonales, Jacques Chirac nous a dit qu'il avait " entendu le message des Français " et fait quelques timides concessions. Nous en doutions et nous avions raison. Les Français peuvent se sentir à nouveau bernés : M. Raffarin n'a même pas fait référence au message clair et fort qu'ils lui ont adressé ! Dès ses premiers mots, au contraire, il s'est déclaré fier de son action. Il a tenu un discours libéral et arrogant. Quand il dit qu'il n'y a pas de " trésors cachés " dans les entreprises, c'est pour mieux justifier les licenciements et l'augmentation du chômage ; quand il dit que les caisses publiques sont vides, c'est pour mieux préparer la régression des services publics et de la protection sociale ; quand il parle des "lois tatillonnes", c'est pour mieux poursuivre la déréglementation du travail. Il a montré son obstination à maintenir sa politique : baisser les impôts, travailler davantage, faire des efforts, privatiser. C'est une vraie claque à la démocratie.

L'accent mis sur l'emploi ne vous satisfait-il pas ?
Il devient urgent de sortir la France de l'ornière en matière de croissance et d'emploi. Le premier ministre raconte des histoires sur le pouvoir d'achat qui, en fait, stagne ; sur la hausse prétendument exceptionnelle du smic, qui n'est que l'application a minima de la loi sur les 35 heures ; sur le chômage qui diminuerait ou sur les déficits accumulés depuis vingt ans, alors que le gouvernement Jospin avait contenu le déficit et rétabli les comptes de la Sécurité sociale. Nous attendions une relance de la consommation, en mettant fin au gel des salaires et à la précarité, des créations d'emplois là ou existent des besoins collectifs et sociaux. Mais là encore, rien.

M. Raffarin a quand même confirmé l'imminence d'une loi de mobilisation pour l'emploi...
C'est d'abord une loi de déréglementation, qui inquiète les syndicats. Seule une mesure concrète traite de l'insertion des jeunes, alors pourquoi avoir supprimé le programme Trace, que nous avions créé ? Il n'y a aucune annonce pour revenir sur les reculs que le gouvernement a fait subir aux chômeurs. Alors que M. Chirac a annoncé la suspension de la réforme de l'ASS, le premier ministre est resté flou - comme sur l'éducation, la recherche, le logement, et la culture. Au-delà de quelques formules, il n'a annoncé aucune action concrète pour répondre aux urgences et préparer l'avenir.

M. Raffarin a réitéré la proposition lancée par M. Chirac d'un grand débat national sur la Sécurité sociale. Le PS doit-il y répondre ?
J'observe que M. Raffarin a enfin abandonné le projet de faire passer sa réforme en catimini, par ordonnances. Sur un tel sujet, un débat national, avec les Français, s'impose. Que sommes-nous prêts à payer pour notre santé ? Même si des économies sont encore souhaitables, notons que nous dépensons 9,4 % du PIB pour notre santé alors que les États-Unis, dans un système qui exclut 40 millions d'Américains, en dépensent 14,5 %. Soigner c'est bien, mais éviter la maladie par des politiques de prévention, c'est mieux - le gouvernement ne le fait pas, sauf pour la sécurité routière. Nous avons un très bon système de soins, mais il faut le rendre plus égalitaire entre les citoyens et les territoires. Le gouvernement a stoppé toutes les politiques structurelles mises en place pour consolider notre système. Son projet est malheureusement clair : faire payer les patients tout en ne couvrant plus certains risques ; renvoyer vers les assurances privées, abandonner la priorité donnée à l'hôpital...

De quelle façon, les régions de gauche peuvent-elles agir ?
Elles peuvent contrebalancer la politique nationale en résistant et en agissant. En réclamant aux entreprises, par exemple, des contreparties en emplois en échange des subventions qu'elles perçoivent ; en aidant la recherche, en développant les transports pour améliorer les conditions de vie - le Nord - Pas-de-Calais met ainsi en place les TER à grande vitesse.

De même, les départements pourront lutter contre ce sous-statut de salarié que constitue le RMA, en aidant à l'insertion et en assurant une protection sociale complète. Mais pour cela, la décentralisation doit s'accompagner de moyens financiers adaptés et d'une véritable solidarité financière entre collectivités locales riches et pauvres. Le gouvernement doit abandonner son projet de soi-disant " décentralisation ".

Allez-vous vous engager dans l'élaboration du projet du PS pour 2007 ?
Bien sûr. Les Français nous ont lancé un appel pour redonner un sens et une ambition collective. Notre projet, qui doit être préparé entre les partenaires de la gauche, doit permettre à chacun de s'émanciper, d'exister pleinement et à tous de mieux vivre ensemble. Nous devons retrouver la justice, la responsabilité, la solidarité.

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