Du courage pour faire gagner la gauche




Tribune signée par Martine Aubry, maire de Lille, Jack Lang, député du Pas-de-Calais et Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, parue dans le quotidien Le Monde daté du 5 décembre 2004



Martine
Aubry


Jack
Lang


Dominique
Strauss-Kahn




Une nette majorité, une très nette majorité de militants ont dit " oui ". Le débat a été vif et passionné. Les interrogations qui se sont fait jour étaient naturelles. Il y avait longtemps que les socialistes n'avaient pas discuté aussi fondamentalement de la nature de l'Union européenne et de leur orientation. Et, quand ils l'avaient fait, au début des années 1990, il s'agissait d'une opposition entre une vision d'une Europe plus unie et plus fédérale et le souhait d'en rester à une Europe des nations que portaient Jean-Pierre Chevènement et ses amis.

Aujourd'hui, la confrontation a porté sur la détermination d'un cadre que, tous, tenants du " oui " ou du " non ", veulent européen, pour l'action réformatrice des socialistes et de la gauche.

A nos yeux, ce traité constitutionnel donne plus de possibilités qu'hier à une politique volontariste et progressiste et à une Europe plus politique. Les socialistes défenseurs du " non " ne le pensaient pas. Une clarification a donc eu lieu. Au-delà de la question concrète - le traité constitutionnel -, elle entraîne une orientation politique pour le Parti socialiste.

Pour nous, il ne s'agit pas d'opposer celles et ceux qui seraient plus ou moins socialistes, ou plus ou moins réformistes. Le problème est de déterminer la bonne stratégie, celle qui permet de réaliser des réformes durables pour une France plus forte et plus juste, celle qui entraîne les Françaises et les Français et donne la victoire dans les échéances à venir.

Le "oui" n'est évidemment pas une fin en soi. Ce n'est qu'une étape pour aller plus loin. Un paradoxe aurait été qu'en n'acceptant pas le traité, les socialistes auraient œuvré pour en rester aux dispositions libérales anciennes sans pouvoir tirer parti des leviers nouveaux qu'offre le traité en termes de démocratie politique, de droits sociaux, d'outils de politique publique !

Si le traité constitutionnel ne répond pas suffisamment aux préoccupations exprimées par les citoyens, pour l'emploi, pour la protection sociale, pour la capacité de l'Europe d'agir fortement dans le monde, cela tient d'abord aux politiques conduites.

Pour changer les choses, il faut des alliés, les partis socialistes et les syndicats européens qui, presque tous, ont vu dans ce texte les avancées qui permettent de mener plus loin les luttes politiques et sociales. Le " oui " permet de s'inscrire dans cette volonté.

Peser pour orienter différemment les politiques de l'Union européenne doit rassembler maintenant les socialistes. A nous, dès maintenant, de porter devant le Parti socialiste européen notre volonté d'un gouvernement économique européen, d'un accroissement des investissements publics, d'une harmonisation de l'impôt sur les sociétés, du doublement du budget européen de recherche, de l'adoption d'une loi sur les services publics incluant les principes d'égalité d'accès, de qualité et de financement, des obligations de service public, etc. Notre débat doit déboucher sur une détermination commune.

C'est dans cet esprit que nous devons ensemble élaborer maintenant notre projet. Il y faut la même cohérence, tant la politique européenne et la politique nationale sont étroitement liées.

Notre but doit être de réunir les conditions pour mettre en œuvre des réformes profondes et durables. Nous voyons bien les défis qui sont devant nous. Sortir la France de l'atonie économique, en renouant avec une croissance plus forte, assurer la solidarité dans une société où les besoins de protection sociale sont importants et vont croître avec le vieillissement de la population, refaire de l'éducation et de la formation un moyen de lutter contre les inégalités, assurer l'identité républicaine et laïque de notre société en reconnaissant sa diversité, maintenir une influence française dans le monde, notamment par une politique européenne plus authentique.

Or tout se tient. Sans croissance, pas de moyens suffisants pour la solidarité. Sans solidarité, pas de réelle cohésion sociale. Sans une capacité forte de vivre ensemble, pas de rayonnement de la France à l'extérieur.

A nous, maintenant, de donner un contenu fort au réformisme de gauche qui nous a réunis lors du congrès de Dijon. C'est d'autant plus urgent que la droite, avec désormais à la tête de l'UMP Nicolas Sarkozy, brouille l'idée de réforme dans l'opinion. Ce dernier dépeint une France en panne, alors qu'il la dirige depuis presque trois ans, pour mieux abaisser toutes les protections collectives. Les déclarations " compassionnelles ", dans le style Bush première manière, ne peuvent pas cacher la volonté de fabriquer une "société de propriétaires" profondément inégalitaire.

Quelle différence entre le barnum médiatique " sacrant " un homme à grands frais et un débat sur les idées dans un parti démocratique !

Les socialistes doivent être offensifs. Plus que jamais, ils doivent affirmer leurs valeurs et leur volonté d'agir. Ce qui n'est pas le plus difficile.

L'égalité bien sûr, comprise comme la capacité donnée à chacun de maîtriser sa vie - ce qui met au premier rang l'accès aux droits fondamentaux.

La démocratie, ensuite, qui doit permettre aux citoyens et à leurs représentants d'agir sur les pouvoirs économiques, technologiques, médiatiques pour un modèle de développement durable.

L'internationalisme, évidemment, sans lequel il n'y a tout simplement pas de socialisme vrai.

L'humanisme, enfin, qui englobe tout et sans lequel il ne peut y avoir de fraternité. La bataille avec la droite se fera d'abord sur les valeurs.

Mais elle se fera aussi sur les instruments d'action. Et, là, nous devons mener un travail pour refondre le réformisme de gauche en élaborant des politiques qui permettent plus d'efficacité dans les trois dimensions qui font l'action socialiste :
     La redistribution, qui lutte contre les inégalités dans une société fragmentée où il vaut mieux prendre en compte les situations individuelles.
     La socialisation, pour répondre aux besoins collectifs de tous ordres, avec des projets industriels, des infrastructures publiques, une formation adaptée aux individus.
     La rénovation et le renforcement de notre action publique, en lui donnant des moyens, en l'adaptant aux besoins des Français.
C'est ainsi, en recréant les conditions de l'émancipation de chacun, que le civisme, le respect des autres, la solidarité pour mieux vivre ensemble, trouveront tout leur sens.

Notre projet devra être discuté et porté par tous les militants socialistes. C'est un gage de succès si nous savons rechercher ensemble la cohérence entre nos pensées et nos actes. La confiance des Français viendra de là.

Ce n'est pas par des postures qu'on trouve l'adhésion. Les citoyens, encore plus aujourd'hui qu'hier, voudront être sûrs que nous ferons demain ce que nous avons dit. Et, pour ce faire, nous devons, dans l'élaboration de notre projet, nous tourner vers eux, en sachant dialoguer et écouter.

Il nous faut, de ce point de vue, tirer les conséquences de notre débat européen. Il a été suivi avec intérêt, et parfois avec passion, par nos sympathisants et nos électeurs. Ceux-ci se sont sentis concernés, beaucoup auraient aimé donner leur avis. Nous ne sommes pas dans une société dépolitisée, mais dans une situation où la politique traditionnelle n'est plus satisfaisante.

Notre projet doit être l'occasion de réformer aussi nos pratiques politiques. Nous devons ouvrir davantage notre parti à nos sympathisants pour qu'ils soient davantage partie prenante d'un engagement fort. Une élection aujourd'hui se gagne avec un bon projet mais aussi par une forte capacité de mobilisation pour toucher le plus grand nombre. Et, pour cela, nous avons besoin d'un Parti socialiste uni, plus nombreux, plus fort.

Nous avons pris nos responsabilités dans le débat qui vient de se conclure. Nous respectons évidemment celles et ceux qui n'ont pas fait notre choix. Nous avons essayé de répondre à leurs interrogations, à leurs inquiétudes, à leurs critiques. Maintenant, évitons de transformer une confrontation qui fut passionnée en une longue guérilla.

Nous militons pour que le Parti socialiste affirme une cohérence politique la plus partagée possible. C'est d'abord la tâche du premier secrétaire, François Hollande, de dessiner cette orientation pour le projet et dans les pratiques politiques.

Nous l'aiderons pleinement pour ce faire. Car nous sommes convaincus que tant la France que l'Europe sont aujourd'hui dans l'attente de solutions nouvelles pour renouer avec l'espoir d'un progrès pour tous. Et maintenant, du courage pour faire gagner la gauche !
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