C'est en 2007 qu'il faudra dire non

Martine Aubry



Entretien avec Martine Aubry, maire de Lille, paru dans le quotidien Libération daté du 25 avril 2005
Propos recueillis par Didier Hassoux
 

Comprenez-vous les hommes et femmes qui affirment vouloir voter non le 29 mai ?
Je comprends que les Français aient envie de renverser la table. Beaucoup souffrent ou sont inquiets. Ils ont entendu Jacques Chirac à peine réélu le 5 mai 2002 leur dire qu’il était le garant de la solidarité et de la prospérité. Et, aujourd’hui, la régression sociale s’étend dans tous les domaines. Ils en ont assez du clientélisme, d’une droite qui fragilise notre pays tant sur le plan économique que social. Ils ont également le sentiment, à juste titre, de ne pas être écoutés. Trois fois dans les urnes, ils ont dit non à la politique de Chirac et Raffarin. Ils ont manifesté leur désaccord comme le font, ces derniers jours, les lycéens. La seule réaction du gouvernement a été un mépris souverain et un passage en force. Qu’on ne se trompe pas d’enjeu : c’est en 2007 qu’il faudra dire non au gouvernement et pas le 29 mai. Nous aurons besoin en 2007 d’une Europe qui fonctionne.

La cacophonie socialiste ne favorise-t-elle pas l’expression du non ?
Nous avons vécu un débat de grande qualité cet automne à l’intérieur de notre parti. Malheureusement, certains aujourd’hui, parfois pour des postures personnelles, ne respectent pas le choix de la majorité des militants. Cela me rend triste. Je ne doute pas qu’on soit tous pour une Europe plus politique et plus sociale. Certains sont prêts à se battre pour faire avancer cette Europe de l’intérieur, d’autres se contentent de dénoncer. Continuons à construire l’Europe en nous situant dans la droite ligne de ceux qui l’ont pensée et créée, en s’élevant alors contre le nationalisme, le fascisme et le repli sur soi. Une vision ambitieuse de l’avenir ne peut ignorer l’Histoire.

Comme François Hollande, pensez-vous que « certains » tenants du non de gauche « font le travail à la place de Le Pen » ?
Non bien sûr, ils ne défendent pas le même projet. Certains sont européens, d’autres non, mais les uns et les autres attisent les peurs en dénonçant souvent la Constitution par des contrevérités. La démagogie est le contraire du débat démocratique. Je continue de penser que la politique s’adresse au coeur et à la raison. La Constitution qui nous est proposée nous donne les moyens d’une Europe plus influente, plus forte et plus solidaire. A nous de nous battre pour qu’elle le devienne. La politique, c’est le volontarisme de l’action et non la seule protestation qui s’apparente souvent au renoncement et à l’impuissance.

Quelles sont les différences entre votre oui et celui de Jacques Chirac ?
Quand l’Europe piétine, c’est le libéralisme qui gagne, c’est-à-dire la loi du plus fort à laquelle la seule réponse est la violence. Ceux qui, à gauche, appellent à voter oui ont la conviction que l’Europe doit avancer pour être, plus encore, un continent porteur de paix, de solidarité, de lutte contre les discriminations. Le libéralisme n’a pas besoin de Constitution parce qu’il ne veut pas de règle ; l’Europe, elle, en a besoin.

Pour les hommes et femmes de gauche, cette Constitution comporte des avancées significatives dans au moins quatre domaines. Un, la charte des droits fondamentaux va enfin avoir une valeur juridique. Deux, et cela est majeur : la reconnaissance des services publics. Trois : une Europe plus démocratique. Et enfin : une Europe influente parlant d’une seule voix à l’ONU comme à l’OMC (Organisation mondiale du commerce) pour construire un autre monde.

Vue d’Afrique, l’Europe est à la fois le continent de la paix, de la prospérité et de la solidarité. Vue de France, nous savons certes qu’il reste beaucoup à faire. Je n’oublie pas les trois échecs récents de l’Europe. En Yougoslavie, nous n’avons pas été capables d’empêcher la guerre. En Russie et plus généralement dans les ex-pays du bloc soviétique, nous avons laissé les économistes libéraux casser l’Etat et faire place au seul marché et aux mafias. Sur l’Irak, enfin, l’Europe a été divisée et inefficace. La Constitution nous donne de nouvelles protections et de nouveaux moyens. A nous de les utiliser.

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