C'est la reprise de la politique Juppé, en pire sans doute

Martine Aubry



Entretien avec Martine Aubry, secrétaire nationale chargée du projet, maire de Lille, paru dans le quotidien Le Monde daté du 25 mars 2005
Propos recueillis par Isabelle Mandraud
 

L'insee prévoit un ralentissement de la croissance en 2005. comment réagissez-vous ?
L'indice de confiance comme les carnets de commandes des entreprises sont à la baisse. La consommation est molle faute de pouvoir d'achat. La responsabilité du gouvernement est ici très grande. Il nous avait dit : la baisse de l'impôt sur le revenu va relancer la croissance. On voit le résultat. Quand on donne de l'argent aux plus favorisés, ils épargnent. De même, quand on allège les cotisations sociales des entreprises en supprimant les contreparties sur l'emploi, le chômage augmente.

Finalement, le gouvernement défait ce qu'a fait la gauche et refait la politique Juppé, en pire sans doute, si on prend en compte les lois de régression sociale. Les mêmes causes entraînent les mêmes effets. On ne peut s'en étonner !

La droite vous renvoie la balle, sur le pouvoir d'achat par exemple, en imputant les difficultés aux 35 heures...
La durée de travail a bon dos ! Les études de l'Insee démontrent que le revenu moyen des ménages, pendant les cinq années du gouvernement Jospin, a augmenté de 3 %, avec les 35 heures, alors qu'il n'a progressé que de 1,4 % avec le gouvernement Raffarin. Si l'on prend les dix dernières années, le salaire net a augmenté de 5,6 % : 4,8 % sous Jospin, soit l'équivalent de 930 euros, et 0,8 % sous la droite, soit 170 euros. Ce ne sont pas les chiffres de Martine Aubry, mais ceux de l'Insee. Nous aurions dû faire plus, mais la droite, elle, fait cinq fois moins bien. Le sous-emploi est reparti à la hausse en 2004, le temps partiel subi, comme les emplois précaires, ont progressé fortement.

Il n'y a plus de politique de l'emploi. 350 000 emplois-jeunes ont été supprimés, remplacés par 770 Civis - contrat d'insertion dans la vie sociale - seulement. Les contrats aidés ont été arrêtés et les 500 000 contrats d'avenir de Jean-Louis Borloo sont toujours virtuels. Les décrets d'application ne sont toujours pas sortis, et l'argent n'est pas là.

Depuis trois ans, 64 000 emplois en France ont été perdus, un milliard d'heures de travail ont disparu alors que nous avions créé deux millions d'emplois et enregistré près de trois milliards d'heures de travail en plus. Il n'y aucune volonté de lutter contre le chômage et de revaloriser les salaires, aucune réflexion. Malgré les promesses de Jean-Pierre Raffarin, aucune proposition n'a été faite dans la fonction publique. Dans le privé, le partage des profits se fait au détriment des salaires et des investissements. L'économiste Patrick Artus explique que " le capitalisme est en train de s'autodétruire " avec un taux de rendement de 15 % versé aujourd'hui aux actionnaires.

Que feriez-vous ?
On pourrait augmenter les salaires en transférant l'assiette des cotisations patronales sur la valeur ajoutée. Cela réduirait les charges sociales des entreprises de main-d'oeuvre telles le BTP, le commerce ou le textile. Il faudrait faire appliquer l'obligation légale de négocier annuellement les salaires dans les branches et les entreprises. A deux reprises, en 1983 avec Jean Auroux et en 1991 lorsque j'étais ministre, nous avions réuni des commissions mixtes dans les secteurs où les négociations n'avaient pas eu lieu. Le gouvernement dispose de moyens qu'il n'utilise pas.

Les mesures annoncées sur la participation et l'intéressement vont-elles dans le bon sens ?
Elles sont inégalitaires et absolument pas à la hauteur du problème. L'intéressement, par exemple, ne concerne que 32 % des salariés et n'a cours que dans les seules entreprises qui font des bénéfices. Ce qu'il faut, c'est augmenter les salaires.

Vous craignez un vote sanction lors du référendum sur la constitution européenne ?
Les Français souffrent ou sont inquiets. Ils ont raison mais la sanction du gouvernement devra intervenir en 2007. Nous avons besoin d'une Europe pour défendre un autre modèle que le libéralisme financier ou la loi des plus forts. Je crois qu'ils le comprennent bien. Il est grand temps de démarrer le débat sur l'Europe et la Constitution.

Mais le non progresse. vous estimez que Jean-Pierre Raffarin ne doit pas mener campagne ?
C'est plus qu'une question d'homme. Jean-Pierre Raffarin n'est peut-être pas crédible, mais pour qu'il y ait un premier ministre qui le soit, il faudrait surtout une autre politique.

Jacques chirac doit-il agir davantage ?
Chacun doit faire son travail. Ce n'est pas à nous de lui dire de s'exprimer mais c'est à nous de convaincre. Plutôt que de parler, comme les défenseurs du non, de la directive Bolkestein, qui a heureusement du plomb dans l'aile, ou de la Turquie, qui sont sans rapport avec la Constitution, il nous faut expliquer son contenu réel qui permettra une Europe plus sociale, plus démocratique et plus forte. Si je devais m'adresser à Jacques Chirac, ce serait pour lui demander de changer de politique.

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