Je vais prendre toute ma place à gauche

Martine Aubry



Entretien avec Martine Aubry, maire de Lille, paru dans le quotidien Le Parisien daté du jeudi 22 mai 2003
Propos recueillis par Frédéric Gerschel
 

Le climat social se dégrade. Quelle analyse en faites-vous ?
Je crois que le gouvernement n'a tiré aucune leçon du 21 avril qui, à mes yeux, s'explique par un double phénomène. D'abord, un malaise extrêmement profond des couches populaires et, notamment, des salariés modestes qui ont le sentiment d'être oubliés. Ensuite, une crise politique et démocratique lourde, marquée par une absence de sens collectif, une incapacité à préparer l'avenir. Or, toutes les décisions prises par la droite depuis un an ne font qu'accentuer les inégalités, l'individualisme et l'éclatement de notre société. Que cela débouche sur une accélération de la crise sociale ne m'étonne donc pas...

Que reprochez-vous au gouvernement ?
Il a abandonné la lutte contre le chômage. Sur le plan économique, il tourne le dos à la croissance en préférant la baisse de l'impôt sur les grandes fortunes et de l'impôt sur le revenu à l'augmentation du Smic et des salaires, ce qui a fait reculer la consommation et la confiance. Sur le plan social, il a arrêté les 35 heures, les emplois jeunes, les emplois d'insertion. Les résultats de cette politique sont catastrophiques : le pouvoir d'achat a diminué de 1,2 % au premier semestre ; la consommation ne cesse de faiblir ; les carnets de commandes des entreprises se vident ; l'investissement industriel chute de 13 % ; le chômage augmente à vive allure. Bref, le gouvernement accroît les inégalités tout en remettant en cause les piliers de notre cohésion sociale : les services publics, l'Education, la Sécurité sociale, les retraites.

La droite n'est-elle pas fondée à dire que, sur ce dossier des retraites, le gouvernement Jospin n'a pas fait grand-chose ?
En créant deux millions d'emplois, générant automatiquement des cotisations supplémentaires, nous avons sans aucun doute contribué à régler le problème des retraites. Le gouvernement Jospin a fait de même en mettant en place un fond de réserves des retraites, doté aujourd'hui de 17 milliards d'euros et grâce auquel nous aurions pu disposer, au bout de dix ans, de 150 milliards, soit de la moitié de la somme nécessaire pour traiter le problème...

Et la réforme de fond, annoncée et sans cesse retardée ?
Il faut aujourd'hui une réforme. Mais elle doit être juste, à l'inverse de ce que prévoit le gouvernement quand il demande aux Français de travailler plus tout en gagnant moins, quand il ne tient pas compte de la pénibilité des métiers, quand il vide le système par répartition au profit de ceux qui peuvent épargner. Une autre réforme est possible si on cherche des ressources complémentaires et si on adapte mieux les conditions de départ aux difficultés du travail.

Nommer Luc Ferry à l'Education, était-ce, comme on le dit au PS, une « erreur de casting » ?
Raffarin a fait le choix du look, mais on ne réforme pas sans écouter, sans négocier.

Le gouvernement sera-t-il obligé de revoir la copie Ferry ?
Je l'espère. Car, sinon, c'est l'égal accès à l'éducation qui est menacé.

Qu'avez-vous pensé de l'ovation reçue par le patron de la CGT, Bernard Thibault, le week-end dernier, lors de votre congrès de Dijon ?
C'était un grand coup de chapeau au combat syndical, à ceux qui se battent contre la régression sociale. Le PS a vocation, par son histoire, y compris récemment, à discuter et à débattre avec toutes les organisations syndicales.

Faites-vous toujours partie des présidentiables du PS ?
Après le 21 avril, j'ai eu la même attitude qu'en mars 1993 lorsque nous avions déjà subi une terrible défaite aux législatives. J'ai voulu réfléchir, tout en agissant localement. Il faut du temps pour comprendre le message des Français. Maintenant, la gauche est de retour, et je vais y prendre toute ma place.

Et pour la présidentielle de 2007 ?
Le candidat qui défendra nos couleurs sera celui qui correspondra le mieux à l'attente du pays à ce moment-là. Ce sont les militants qui choisiront. Mais une chose est sûre : les Français attendent de nous que nous jouions collectif.

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