Mauvais plan pour notre santé




Tribune signée par Martine Aubry, maire de Lille et Jean Legarrec, député et ancien président de la Commission des affaires sociales, parue dans le quotidien Libération daté du 23 juin 2004



Martine
Aubry


Jean
Legarrec




L'assurance maladie est née d'un idéal de solidarité. Des hommes et des femmes issus de tous les horizons politiques ont fondé cette réforme essentielle : l'assurance maladie. Confrontés à ce que l'humanité peut faire de pire, ils ont voulu mettre en commun ce qu'ils avaient de meilleur. Préserver cet héritage devrait être la préoccupation première de tout gouvernement. Or, depuis deux ans, le gouvernement Raffarin a laissé filer les dépenses. Résultat, notre système d'assurance maladie connaît une situation dramatique avec un mois de dépenses par an financées par l'accroissement de la dette.

Qu'en est-il de la réforme « ambitieuse » annoncée ? La situation imposait un grand débat public sur l'assurance maladie. Il fallait pour cela vouloir défendre notre système de santé et le faire avec courage et sens des responsabilités. Or la réponse de M. Douste-Blazy n'est qu'illusionnisme et communication. Le plan du gouvernement est en effet injuste, mensonger, et inefficace, donc dangereux.

La réforme annoncée est injuste

L'essentiel des recettes nouvelles pèsera sur les assurés : élargissement de l'assiette de la CSG pour les seuls salariés, augmentation du taux de la CSG pour les retraités, franchise sur les consultations... L'augmentation du forfait hospitalier, avec le projet de le porter d'un peu moins de 11 euros à 16 euros en 2006, apparaît particulièrement choquante. C'est une augmentation de plus de 45 % sur la législature qui est ainsi programmée, alors qu'il n'avait jamais été augmenté sous le gouvernement Jospin. Pour un malade hospitalisé, le forfait hospitalier représentera la moitié du Smic, ou l'équivalent du minimum vieillesse. Certains malades renonceront aux soins alors que le gouvernement fait payer à tous les Français le cadeau fiscal qu'il a fait aux contribuables les plus favorisés depuis 2002.

La présentation de la réforme est ensuite mensongère. Tout d'abord dans son pathétique effort pour faire croire que la situation actuelle ne serait que l'héritage du gouvernement Jospin. Tel n'est pas le cas. Alors que nous avons trouvé un immense déficit en 1997, le régime général était en excédent de 1,2 milliard d'euros en 2001 ; la branche maladie elle-même représentait un déficit limité à 2,1 milliards d'euros. Ces résultats étaient dus pour partie à la croissance mais aussi aux politiques structurelles engagées : réorganisation de l'offre hospitalière, promotion des génériques, réduction du prix des médicaments, exigences vis-à-vis des professionnels de santé... Il faut comparer ces résultats à ceux annoncés par le gouvernement pour 2004 : un déficit du régime général de 14 milliards d'euros, dont 13 milliards pour l'assurance maladie. Pour reprendre l'expression de M. Raffarin, « la pente est forte » !

Le gouvernement n'a pas agi pour soutenir la croissance dans une conjoncture internationale peu favorable : pas d'augmentation du pouvoir d'achat, pas de soutien à la consommation, pas de confiance. Il s'est borné, depuis deux ans, à contempler passivement la croissance des déficits en alimentant la dérive par une générosité sans contrepartie vis-à-vis des professionnels de santé. Il a augmenté de 1,5 euro le tarif de la consultation des généralistes ; il renvoie la facture aux assurés qui devront payer 1 euro par acte.

Ce plan est également mensonger car, au-delà de prélèvements et de déremboursements bien réels, toutes les économies affichées sont majorées, voire totalement illusoires. M. Douste-Blazy refuse de s'engager sur un retour de l'équilibre des comptes d'ici à 2007.

N'est-ce pas là un premier aveu ? Les mesures annoncées laissent sans doute subsister un déficit proche de 10 milliards d'euros. Et certaines annonces touchent à l'imposture lorsque le gouvernement prétend faire accéder 2 millions de personnes à une couverture complémentaire alors qu'il ne fait que prolonger modestement un système d'aide à l'acquisition d'une couverture complémentaire instaurée par le précédent gouvernement.

Enfin, cette réforme sera inefficace car elle ne comporte aucune mesure structurelle. Elle est fondée sur un hypothétique changement de comportement des professionnels de santé et des assurés, mais dont on ne sait d'où il pourrait venir. Le projet ne traite pas des enjeux majeurs pour notre système de soins : rien sur l'hôpital, rien sur le décloisonnement ville-hôpital, rien sur la prévention, bien peu de chose sur la qualité et sur la promotion du bon usage des soins... En revanche, beaucoup de discours visent à culpabiliser l'assuré.

Ce plan nous fait courir le risque d'un démantèlement de l'assurance maladie

Il suffit de se souvenir des propos de M. Mattei sur la nécessité de sortir du tout-gratuit et des rapports préconisant un transfert massif de l'assurance maladie vers les organismes complémentaires. Heureusement, par leur vote aux régionales, les Français ont signifié clairement leur opposition à cette politique de démantèlement. Cet avertissement a contraint le gouvernement à une relative prudence. Pour autant, il poursuit la réduction de la protection sociale devant la maladie.

Le gouvernement a renoncé à maîtriser l'assurance maladie puisqu'il transfère sur les générations suivantes non seulement les déficits passés mais aussi ceux des années 2004, 2005 et 2006. Alors que, jusqu'à présent, ces transferts ne portaient que sur des « héritages », M. Raffarin ­ fait inédit ­ les utilise pour effacer les effets présents et futurs de sa propre incurie. C'est très grave !

Toutes les dispositions sur la gouvernance vont également dans le même sens. Au lieu d'assumer clairement son rôle d'organisateur, de financeur, de garant des droits des malades et du fonctionnement global du système, et d'affirmer sa légitimité à prendre des décisions courageuses, le gouvernement se défausse sur les partenaires sociaux. Sait-on en particulier que, désormais, c'est une Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) qui va prendre les décisions en matière de remboursement des médicaments ? Et sait-on que le Medef pourrait être majoritaire au sein de cet organisme, en s'appuyant sur les organisations agricoles et sur les indépendants non agricoles, sans même avoir besoin de l'appui d'une organisation syndicale représentative des salariés ? Que penser d'un gouvernement qui ne se sent plus légitime pour prendre des décisions aussi majeures ?

Enfin, le gouvernement n'hésite pas à instaurer une médecine à deux vitesses, en prévoyant d'autoriser les médecins spécialistes à fixer librement leurs tarifs si le patient les consulte directement sans passage par un « médecin traitant ». Sous couvert d'une mesure structurelle, il s'agit d'une mesure clientéliste destinée à satisfaire une revendication des spécialistes. Désormais, on ne pourra plus consulter directement un spécialiste, sauf si l'on dispose de moyens suffisants.

De même, en matière hospitalière, la mise en place précipitée de la tarification à l'activité risque de pénaliser fortement l'hôpital public pour le plus grand bénéfice des cliniques privées. D'ailleurs, M. Douste-Blazy, alors même qu'il promeut ce système de tarification, n'a de cesse que d'en exonérer l'hôpital de Toulouse, son hôpital, par des compensations budgétaires. Et les autres ?

Une autre politique est possible

La santé n'a pas de prix, mais les soins ont un coût. Les Français n'ont aucune envie de voir se développer un système à l'américaine, système où 40 millions de personnes sont privées de couverture maladie mais qui n'en est pas moins très dispendieux puisque les Etats-Unis consacrent, en 2001, 13,9 % du PIB à la santé contre 9,5 % pour la France.

Les Français sont prêts à faire les efforts nécessaires pour assurer la survie du système. Mais il est clair qu'il est impossible de leur demander ces efforts après avoir pendant deux ans multiplié les cadeaux fiscaux aux plus aisés.

Il faut bien sûr supprimer les dépenses inutiles comme l'avait entrepris le gouvernement Jospin. Il faut du courage pour expliquer qu'une politique de régulation est nécessaire même si, dans bien des domaines, l'augmentation des dépenses est incontournable et justifiée. Il faut du courage pour mettre en oeuvre une nouvelle organisation de l'assurance maladie qui ne soit pas la simple conséquence d'un compromis avec le Medef. Il faut du courage pour dire clairement aux professionnels de santé que « confiance » rime avec « exigence ». Il faut du courage pour résister aux pressions des laboratoires pharmaceutiques.

Une autre politique est possible. Elle doit s'inscrire autour de deux priorités. Une grande politique de prévention s'impose d'abord autour des causes principales de mortalité. Nous devons mettre en place des plans pluriannuels de santé publique dotés de réels moyens contre l'alcool, le tabac, les risques alimentaires, le suicide des jeunes... Nous devons ensuite poursuivre l'égal accès de tous aux soins tout en luttant contre les inégalités territoriales et sociales qui caractérisent notre système. Tout ce que nous avions engagé dans ce sens a été abandonné.

M. Douste-Blazy a organisé une concertation en trompe-l'oeil avec les organisations syndicales et un débat tronqué au Parlement en juillet lorsqu'une partie des Français sera en vacances. Notre sécurité sociale et donc notre cohésion sociale sont en danger. C'est un grand débat qui doit s'engager en toute clarté avec les Français, bien sûr pour réaliser des efforts là où ils doivent l'être, de manière juste, mais surtout pour garantir notre avenir.
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