Depuis 1997, l'action du gouvernement a redonné à une grande majorité des Français espoir, optimisme et confiance en l'avenir. Nous avons su favoriser la croissance et le dynamisme de l'emploi tout en menant de grandes réformes sociales pour plus d'égalité.
Nous avons également renforcé le pacte républicain et modernisé notre vie publique. Bref, nous avons tenu nos engagements en sachant prendre en compte les changements à l'uvre dans le monde et les aspirations de notre société.
Ce bilan, nous en sommes fiers: près de 800 000 chômeurs en moins, plus de 250 000 emplois-jeunes, la couverture maladie universelle, une grande loi de lutte contre les exclusions, la parité, le Pacs, l'accès de plein droit à la nationalité française pour les jeunes nés en France de parents étrangers, la réforme de la justice et de nouveaux progrès pour l'aménagement du territoire et l'aide aux collectivités locales.
Ce bilan, nous n'en doutons pas, sera encore enrichi d'ici la fin de la législature, dans deux ans.
Mais nous savons qu'il reste beaucoup à faire, que la société évolue et développe de nouvelles aspirations, que le monde change vite autour de nous. Nous n'avons nullement l'intention de nous contenter de ce bilan, aussi bon soit-il.
Nous voulons enrichir notre projet politique à partir de ce que Lionel Jospin a appelé la nouvelle donne.
Cette nouvelle donne, c'est d'abord la mutation du capitalisme fondée sur l'essor rapide des technologies de l'information et de la communication, caractérisée par la mondialisation de la production, la globalisation des marchés et la financiarisation de l'économie.
L'efficacité du marché est démontrée: il apporte la concurrence, favorise l'innovation et la créativité. Mais le marché ne peut en aucun cas être le tout de l'économie: il privilégie la rentabilité à court terme, ce qui prépare mal l'avenir et crée des inégalités dans des domaines tels que la santé, le logement, l'éducation, et qui nécessite donc une prise en charge par des services publics.
Il est encore moins le tout de la société, car les principes sur lesquels il se fonde imposent la loi du plus fort et excluent toute solidarité. Le marché ne crée pas d'optimum social, d'où l'importance de la régulation et de la redistribution. De surcroît, il est soumis à une pente naturelle qui tend à l'éloigner de son modèle initial assis sur la concurrence. En effet, la mondialisation de la production et la globalisation des marchés ont conduit à des logiques de concentration dont émergent aujourd'hui des entreprises et des pouvoirs économiques aussi puissants que les Etats. Face à ces mutations, nous devons construire les outils démocratiques et publics modernes en capacité de garantir l'intérêt général.
La nouvelle donne, c'est aussi l'apparition de nouvelles formes de radicalités politiques. Des aspirations nouvelles à plus de liberté individuelle, plus d'autonomie, plus d'épanouissement, plus de sécurités individuelles et collectives, cohabitent avec la recherche de nouveaux repères et de nouvelles règles de vie en société. La soif d'épanouissement et de participation de chaque individu se juxtapose avec le besoin de solidarité. L'amélioration des trajectoires individuelles et l'intérêt collectif doivent donc se réconcilier.
Voilà pourquoi nous pensons que le rôle de l'Etat est fondamental. On ne peut pas résumer le rôle de l'Etat à celui de régulateur ou d'animateur. Il doit assurer ses missions fondamentales: la garantie de l'égalité des chances, de l'intérêt général, de la cohésion sociale, des nouvelles sécurités et des nouveaux droits.
L'Etat et les services publics sont producteurs de lien social et créent un environnement favorable au développement économique. Bien sûr, nous devons rechercher l'équilibre budgétaire, mais il ne saurait constituer le seul critère de la bonne gestion publique. Nous devons assurer que tout franc collecté est bien dépensé par l'Etat et que l'Etat est au service de tous et de chacun. La réforme nécessaire de l'Etat est au cur de la réforme de la société.
Il est indispensable, en effet, que la puissance publique offre dans certains secteurs, des services qui ne doivent pas être soumis aux règles du marché, donc à la sélection par l'argent qu'il introduit. Mais ces services publics doivent être repensés pour offrir un service de qualité et égal pour tous. Ils doivent être présents partout, dans des quartiers difficiles comme dans les zones rurales. Ils doivent évoluer: horaires plus ouverts dans les collectivités locales, nouvelles pédagogies éducatives...
Dans ces domaines, nous devons être audacieux.
Le rôle de l'Etat est aussi d'assurer, avec les partenaires sociaux et le milieu associatif, une articulation équilibrée entre la loi et la négociation sociale, entre l'action de l'Etat et celle des citoyens.
Il faut d'abord réaffirmer avec force le rôle premier de la loi. Sa légitimité est sans équivalent, car elle se fonde sur la souveraineté populaire et le suffrage universel. Sans loi, il n'y a ni égalité, ni justice. Elle est garante de la primauté de l'intérêt général et collectif sur les intérêts particuliers. La loi reste le moyen privilégié pour amorcer le changement et impulser la transformation. Elle est le moteur du progrès social. Les plus grandes conquêtes sociales de notre pays sont passées par la loi. Réduire son rôle, limiter sa portée, ça n'est certainement pas augmenter les libertés mais plus sûrement réduire nos capacités collectives de progrès et de changement.
Cependant, la loi, seule, ne peut pas tout et n'a pas vocation à tout organiser. Le dialogue social doit s'épanouir et la négociation collective doit disposer des espaces nécessaires pour impulser des réformes au plus près des réalités des entreprises et des besoins des salariés. Dans un contexte de croissance et de baisse du chômage, la réduction du temps de travail ouvre de nouveaux espaces à la négociation sociale pour permettre aux organisations syndicales et aux chefs d'entreprises de conclure des contrats, respectant à la fois les contrainte des entreprises et les aspirations des salariés. La négociation doit s'emparer de nouveaux thèmes tels que la formation tout au long de la vie ou la recherche de nouvelles sécurités.
Dans le même esprit, nous devons favoriser l'émergence d'un paritarisme de responsabilité et pas seulement de gestion. C'est l'étape indispensable vers le renforcement de la démocratie sociale dans notre pays.
Il faut encourager cette articulation entre la loi, qui fixe un cap et un cadre, et le contrat, qui offre des solutions adaptées à la diversité des réalités sociales et économiques mais aussi qui innove pour le progrès social. Grâce à cet équilibre, la loi peut initier la négociation collective comme en être la traduction.
Les évolutions économiques ont par ailleurs profondément transformé la société française. L'élévation du niveau d'éducation requis par l'économie moderne accroît le nombre de cadres et de professions qualifiées. Dans le même temps, le nouvel environnement économique a donné naissance à un nouveau prolétariat - sans doute mieux protégé que celui d'hier - regroupant des chômeurs, des travailleurs précaires, des travailleurs à temps partiel subi... Bref, le progrès économique, que personne ne conteste, n'est pas aujourd'hui synonyme de progrès pour tous. Loin de là !
Le contrat politique que nous devons proposer aux Français doit accorder une attention privilégiée aux classes populaires. Nous n'oublions pas que l'écart de revenu continue de se creuser entre les salariés modestes et les hauts revenus, comme d'ailleurs entre les revenus du salaire et ceux du capital. Il nous appartient de rééquilibrer cette évolution. De ce point de vue, l'impôt progressif reste l'outil indispensable de la redistribution. Nous devons être attentifs aux classes moyennes, qui, à juste titre, ont souvent le sentiment de supporter l'essentiel de l'effort fiscal dans notre pays. Mais la nouvelle donne économique a mis aussi en lumière la nécessité de mieux contrôler les flux financiers et notamment de les faire contribuer à une redistribution plus équitable de la richesse produite. C'est pourquoi nous devrons, au niveau européen et international, trouver les moyens de mettre en place rapidement une taxe sur les transactions financières.
Il faut poursuivre la lutte contre l'exclusion sociale. Le retour de la croissance, conséquence directe de la politique économique volontariste menée depuis trois ans, a déjà permis à plusieurs centaines de milliers de chômeurs de retrouver un emploi. Mais, tandis que la croissance permet l'épanouissement du plus grand nombre et qu'elle apaise les tensions sociales, grandissent en parallèle les impatiences de ceux qui ont le sentiment d'être exclus de ses bienfaits. L'effort en faveur des plus démunis ne doit donc pas être relâché et doit demeurer la première des priorités des socialistes et de la gauche. Nous devons continuer à promouvoir une politique qui favorise le retour des exclus à une vie normale, à l'intérieur de dispositifs de droit commun plutôt que de les maintenir dans l'assistance et les dispositifs d'exception. En rendant à chacun l'autonomie, on rend aussi la liberté. Il faut néanmoins être conscient que le retour à l'emploi de catégories, trop peu qualifiées, écartées du marché du travail depuis trop longtemps, reste difficile et nécessite un effort de formation considérable. Ce sont donc des processus adaptés au plus près des besoins des individus qu'il faut continuer de développer pour extraire nos concitoyens les plus démunis de cette impasse dans laquelle l'exclusion les a relégués.
Un pays comme le nôtre ne peut demeurer compétitif dans la nouvelle division internationale du travail que si les Français bénéficient d'un niveau de formation élevé. La démocratisation de l'éducation et la reconnaissance de la formation professionnelle, favorables à la mobilité sociale, s'inscrivent dans la droite ligne du progrès social tel que l'ont toujours voulu les socialistes. Nous restons attachés à l'idée que l'éducation et la transmission des savoirs, en favorisant l'épanouissement de l'homme et de son libre-arbitre, constituent la clé majeure du progrès social. L'élévation du niveau de formation, à laquelle on a assisté ces dernières décennies, est donc une exigence sociale mais aussi un formidable facteur de développement économique. Or, sans parler du risque de fracture numérique que provoque l'irruption des nouvelles technologies en creusant des différences et des inégalités entre ceux qui peuvent et savent utiliser ces nouveaux outils de la connaissance et ceux qui ne l'ignorent, il demeure aujourd'hui encore des ruptures d'égalités insupportables entre nos concitoyens dans l'accès à la formation initiale ou professionnelle. Nous devons donc consolider la priorité à l'éducation dans notre pays en repensant ses méthodes et en mettant en uvre une réelle mixité sociale.
Car l'adhésion à ce socle de valeurs communes qu'incarne la république, cette volonté de vivre ensemble, est à chaque fois battue en brèche quand l'égalité des chances à l'école n'est pas respectée.
Il faut aussi éviter que de nouvelles inégalités se créent. De bonnes décisions ont été prises pour préparer la France à la société de l'information, mais cette évolution doit être renforcée, amplifiée et rendue socialement plus juste.
Mais, alors qu'augmente la demande d'espaces nouveaux de liberté individuelles, de formation permanente et de solidarité, nous devrons aussi répondre aux aspirations de chacun.
L'internationalisation et l'instantanéité des modes de communication ont bouleversé les données politiques. A tous les niveaux, local, national, européen et mondial, les citoyens reçoivent une masse d'informations, fondent un jugement, attendent des réponses, souhaitent prendre part à leur définition. Chacun ressent le besoin d'être acteur de ces différents cadres de décision et d'initiatives et de trouver de nouveaux modes de participation. Il revient à la gauche de satisfaire cette exigence démocratique en engageant une nouvelle étape de la décentralisation et en poursuivant la rénovation de notre vie publique, notamment à travers une stricte limitation du cumul des mandats.
Il est essentiel, dans le même temps, de satisfaire l'aspiration à une meilleure qualité de vie. Cette qualité implique que nos sécurités soient assurées, celle, fondamentale qui garantit à chacun son intégrité, la sécurité de sa famille et de ses biens et celles, collectives, qui doivent permettre à tous d'évoluer dans un environnement protecteur. Sécurité quotidienne, sécurité sanitaire et alimentaire, protection de l'environnement, droit de communiquer en liberté sont autant d'enjeux pour demain.
Les craintes subsistent donc, le besoin de nouveaux repères s'exprime fortement. Les socialistes doivent, par exemple, défendre une certaine conception de la famille. Car si nous reconnaissons plusieurs formes de famille, refusant de nous référer à un modèle unique, nous savons que la cellule familiale jouera un rôle majeur dans le renforcement de ces repères. La famille assure le lien entre les générations, elle est un lieu de transmission des valeurs et elle est le premier espace de solidarité. Notre responsabilité est de permettre à chaque famille, quelle qu'elle soit, d'assumer ces fonctions fondamentales.
Plus de repères impliquent aussi que les règles de la vie en société permettent à chacun de trouver sa place. Et, quand l'égalité est bafouée, c'est un fondement de la société qui vacille. Nous ne pouvons plus tolérer les discriminations qui se manifestent dans nos pays. Discriminations raciales à l'embauche et dans l'accès aux loisirs, insuffisante intégration des personnes handicapées et des personnes âgées, inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes, sexisme et homophobie minent le contrat social. Nous avons le devoir de lutter par tous les moyens contre ces atteintes aux valeurs de la République.
Enfin, la construction européenne doit avoir parmi ses principaux objectifs celui d'offrir un nouvel instrument de régulation. Le nouvel âge du capitalisme est porteur de nouvelles inégalités économiques et monétaires internationales, notamment entre le Nord et le Sud. L'Europe ne doit pas être seulement un rempart, elle doit être un tremplin qui limite les effets pervers de la mondialisation. L'Europe puissance, au service des peuples qui la composent ou y aspirent, doit comprendre un socle de valeurs démocratiques communes et des outils plus efficaces pour la régulation du marché et pour relever les défis environnementaux du développement durable.
Elle devra aussi, de plus en plus, être l'Europe des citoyens, plus proche de leurs aspirations au progrès social, aux nouvelles libertés.
Les évolutions actuelles ne font que poser sous d'autres formes des problèmes que le mouvement socialiste affronte depuis un siècle. Chaque génération lui apporte les réponses qui ont fait et feront le progrès social et démocratique.
La composition actuelle du gouvernement, la politique que nous menons ensemble, les résultats que nous obtenons doivent amener tous les socialistes à se rassembler et à s'engager dans l'élaboration de notre projet pour les années à venir. Ce texte est une invitation à débattre avec tous ceux qui le souhaitent au sein de notre parti. Nous tirerons ainsi définitivement un trait sur nos divisions passées, y compris au plan organisationnel. C'est une sorte de nouvelle donne que nous proposons, dans la cohérence avec l'action de Lionel Jospin.
Le congrès de Grenoble en sera la première illustration.
Nous devons préparer ensemble les prochaines échéances électorales et apporter les réponses que les Français attendent.
Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité
Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale
Claude Estier, président du groupe socialiste au Sénat
Raymond Forni, président de l'Assemblée nationale
Jean Glavany, ministre de l'Agriculture
Élisabeth Guigou, garde des Sceaux
Pierre Moscovici, secrétaire d'État chargé des Affaires européennes
Alain Richard, ministre de la Défense
Michel Sapin, ministre de la Fonction publique
Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l'Économie et des Finances
Daniel Vaillant, ministre chargé des Relations avec le Parlement