Le Mans est pour nous la première phase de reconquête
Congrès du Mans - 18 novembre 2005

Discours de Martine Aubry, maire de Lille
Tribune du Congrès du Mans


 
Mes chers camarades, merci à Benoît, d'abord, d'avoir chauffé la salle, pour rappeler que nous avons tant attendu ce Congrès du Mans. Merci à Jean-Claude Boulard [maire du Mans], merci à Patrick Delpech, merci à tous les militants de la fédération [de la Sarthe].

Oui, moi, comme Benoît, finalement, j'ai envie de croire qu'il n'y a pas en notre sein une gauche protestataire et une gauche de stricte proposition.

J'ai aussi envie de dire qu'il n'y a pas une gauche dure et une gauche molle, qu'il n'y a pas une gauche qui porterait les valeurs de la gauche tandis qu'une autre serait prête à toutes les compromissions.

J'ai toujours pensé et je pense comme la quasi-totalité des socialistes qu'il n'y a pas d'avenir dans l'union avec ceux qui ont toujours taclé et ont toujours souhaité notre mort, même à gauche, comme il n'y a pas d'union avec le centre.

Nous sommes tous socialistes, la voilà la vérité, et nous avons aujourd'hui, après avoir tant débattu en notre sein, tant débattu entre nous, nous avons une responsabilité individuelle et collective, celle de parler d'abord aux Français, celle de leur dire clairement ce que nous voulons faire. Le Mans doit être la première étape de la reconquête du cœur des Français et peut-être et surtout la première étape d'un projet contre le libéralisme.

Alors, si nous rentrons tous dans ce congrès avec le sentiment de sincérité et de vérité, si nous reconnaissons tous que la motion choisie majoritairement autour de notre Premier secrétaire, François Hollande, doit être respectée comme on respecte les règles de la démocratie, on respecte la règle des militants.

Mais si, comme nous, nous n'imaginons pas de ne pas ressortir après-demain soir en parlant rassemblés aux Français, alors nous devons enrichir ce texte, mais en aucun cas bien sûr le tronquer ou le transformer. Nous avons ce devoir, celui de mettre tous nos efforts, sans que personne ne sente trahie sa pensée, car alors ce serait pire que tout, des petits arrangements entre amis, un accord de façade qui éclaterait dès le lendemain et nous décrédibiliserait encore.

Permettez-moi de venir un instant sur l'essentiel, sur ce qui nous rassemble : le constat de l'état de notre société.

Une crise économique, sociale, morale et démocratique dans notre pays, dans le monde, une crise que nous avons vécue et dont nous en avons vu l'expression le 21 avril comme le 29 mai.

Je voudrais redire ici que je sais que nous en portons une part de responsabilité, même si je me refuse à oublier que Lionel Jospin a rempli tous ses engagements sur l'emploi, sur la Sécurité sociale et sur les réformes des sociétés. Mais nous portons une part de responsabilité car nous n'avons pas assez agi pour que ceux qui travaillent puissent vivre de leur travail, nous n'avons pas assez agi pour que ces quartiers, ces banlieues laissent de côté ces logements, ces conditions de vie indécents, et surtout nous n'avons pas compris que la crise, qui est une crise profonde de notre société, éclate aujourd'hui l'ensemble des valeurs collectives et privilégie l'individualisme et le repli sur soi.

Notre responsabilité collective existe aussi, c'est de ne pas avoir été capables jusqu'à aujourd'hui de mettre en place un projet alternatif au libéralisme, ce libéralisme qui a triomphé de l'économie et qui maintenant envahit tout : envahit la société mais envahit aussi les esprits. Celui qui conduit à ce monde déboussolé où la loi du plus fort, celle de l'argent, celle des armes, s'impose, où nous laissons, faute d'une Europe politique et sociale puissante l'ONU et les droits de l'Homme bafoués par la plus grande puissance mondiale, en Irak comme ailleurs, où nous sommes incapables d'empêcher les conflits au Proche-Orient comme en Afrique, ce continent que nous avons abandonné à la misère.

C'est aussi ce libéralisme vers lequel dérive l'Europe, et là-dessus nous sommes tous d'accord, et singulièrement ces dernières années, et singulièrement ces derniers mois et ces derniers jours. Car l'Europe est aujourd'hui affaiblie, sans Traité. Oui, ce traité aujourd'hui n'existe plus, mai alors battons-nous pour en construire un autre. Ne laissons pas Baroso mettre à sa botte libérale toute une convention et puis toute la commission.

Ne laissons pas faire en sorte que l'ouverture à la concurrence soit prétexte à une remise en cause sociale. Mais, nous le savons, c'est aussi ce libéralisme qui inspire aujourd'hui un gouvernement à la fois inefficace économiquement, injuste sociale et dangereux pour notre société.

Oui, la France va mal parce que l'économie est passée derrière la finance. Savez-vous, mes chers camarades, que ce qu'imposent aujourd'hui les actionnaires, les 15 % de rentabilité, ont fait que ces cinq dernières années la répartition des richesses entre le capital et le travail s'est inversée : deux tiers au capital, un tiers aux salaires. Voilà une des raisons du pouvoir d'achat qui stagne, de la croissance en baisse, de l'emploi qui n'existe plus et des profits qui s'améliorent.

Ce marché sans règles met l'économie et notre société dans le mur et c'est le même système qui amène à fermer des usines rentables ou à licencier comme à Phillips, nous en parlions avec les camarades qui étaient dehors.

C'est ce même système qui met en faillite des entreprises alors que les patrons s'en vont avec des sommes faramineuses.

C'est dans cette même logique que la droite aujourd'hui privatise les biens collectifs, que ce soit les autoroutes ou EDF, ou transmet les fonds vers les cliniques privées alors qu'on asphyxie les hôpitaux publics. Mes camarades, nous devons dire que les services publics, nous refusons de les voir ainsi portés à bas car ce sont ceux qui portent l'accès aux droits fondamentaux pour nos concitoyens et pour nos territoires.

Quels dégâts en deux ans et demi alors que le Code du travail est ramené à zéro, la remise en cause des protections du droit du travail. Quand on pense que ce gouvernement est revenu sur les conquêtes syndicales et ouvrières du début du siècle, le paiement des heures supplémentaires, le lundi de Pentecôte, le licenciement aujourd'hui sans motif. Redisons le scandale de ce contrat nouvelle embauche que bien évidemment nous abrogerons.

Alors, dur pour les faibles, doux pour sa clientèle, ce gouvernement qui n'hésite pas à endetter le pays pour servir son électorat, juste un mot : dans quelques jours ils vont voter 3,5 milliards de baisse d'impôts et de droits de succession qui bénéficient aux 20 % des plus riches dans notre pays. Avec ces 3,5 milliards, nous pouvions généraliser les 35 heures, nous pouvions recréer 300 000 emplois-jeunes, construire 200 000 logements sociaux, nous pouvions mettre un million de Français en formation chaque année. Voilà les choix du gouvernement. Alors oui, notre responsabilité est immense car, dans le fond, ces inégalités, ces injustices, ce sont elles qui sont porteuses de violence. Ce libéralisme qui impose la loi du plus fort, c'est lui qui entraîne la violence à côté de chez nous, la violence quotidienne, la violence financière qui écrase et confisque les richesses, mais aussi la violence du terrorisme que rien n'excuse mais dont on sait très bien qu'il prospère des injustices du monde.

Et ne cherchons pas ailleurs les causes des violences urbaines de ces derniers jours. Ce n'est pas la polygamie ou je ne sais quoi qu'on essaie de nous faire croire avant d'attaquer les étrangers qui sont sur notre territoire. Ces quartiers sont d'abord un concentré des problèmes de notre société : la pauvreté, la précarité, les conditions de vie indécentes, la relégation, les discriminations, tout ceci qui amène à l'éclatement de la famille, à la déstructuration des enfants, au mal de vivre. Et ce gouvernement qui, en supprimant les emplois-jeunes, en supprimant toutes les subventions aux associations, en supprimant la police de proximité, a aujourd'hui des larmes de crocodile pour parler des quartiers. Eh bien, ne le croyons pas, il continuera à faire avancer les injustices.

Injustices justement pour dire que ce qui nous est demandé en premier lieu par ces habitants des quartiers, comme par tous les Français, c'est de remettre de la justice dans toutes nos propositions, justice dans le pouvoir d'achat, bien sûr il faut aller plus loin que les négociations, mon cher Benoît, justice dans la fiscalité, justice dans la répartition des crédits dans les territoires et les services publics justice dans l'accès aux droits, justice dans la préparation de l'avenir vis-à-vis des générations futures, justice dans le fonctionnement plus démocratique de notre société.

Alors, disons simplement aux quartiers ce soir que nous proposons un contrat unique d'insertion professionnelle pour qu'aucun jeune ne sorte du système éducatif sans un emploi civil, un emploi d'insertion, une formation ou un emploi.

Engageons-nous enfin à créer ces 120 000 logements sociaux par an, mais surtout à reconstruire des villes qui intègrent et non pas des villes qui écrasent avec des quartiers porteurs de toutes les fonctions et de toutes les mixités.

Et engageons à une citoyenneté retrouvée pour chaque habitant, quelle que soit sa nationalité, sa couleur de peau ou sa religion. À cet égard, j'en suis d'accord, organisons un vrai débat sur la colonisation et faisons enfin le droit de vote aux étrangers aux élections locales.

Oui, c'est bien cet état d'urgence-là dont nous avons besoin, pas celui de Sarkozy, la sécurité alliée au libéralisme vers lequel il nous conduit, un état d'urgence sociale.

Mais permettez-moi de vous dire aussi qu'au-delà des problèmes concrets, du logement, de la Sécurité sociale, de l'emploi, du pouvoir d'achat, que c'est bien tout notre modèle de société qui est remis en cause. Je ne crois pas que les Français se sentent bien dans cette société de l'individualisme et des corporatismes où les valeurs collectives n'existent plus. Je ne crois pas qu'ils partagent cette tyrannie de l'urgence et de la rentabilité à court terme. Je ne pense pas qu'ils comprennent cette absence de morale à tout niveau, la fraude, la triche, qui apparaissent de moins en moins contestées et je pense qu'ils attendent de nous autre chose qu'un discours gestionnaire ou d'impuissance.

Dans le fond, c'est là notre grande responsabilité, porter un autre projet de société pour notre pays, mais aussi de manière universelle.

Permettez-moi là de dire peut-être quelques mots qui ne seront pas partagés : si nous voulons redonner un sens et une ambition collective, si nous voulons faire revivre la solidarité, qu'elle soit familiale, de voisinage ou vis-à-vis des pays du Sud, alors gardons-nous du discours qui nourrit l'individualisme, qui attise les peurs et le repli sur soi. Notre responsabilité de politiques n'est pas de flatter l'opinion, de flatter nos clientèles, il est au contraire de dire clairement où est la ligne, où est la société que nous voulons créer.

Alors, même si on ne nous comprend pas de suite, n'acceptons pas cette loi contre le terrorisme qui limite les droits de l'Homme et principalement ceux des étrangers. Refusons les lois de circonstance aussi démagogiques qu'inefficaces. Et oui, nous voulons ramener le retour au calme, mais par l'ordre républicain, pas par cet ordre d'exception, cet état d'urgence que nous ne voulons pas.

Faisons confiance à nos élus, ceux qui étaient sur le terrain, avec les associations et avec un grand nombre de jeunes du quartier, pour empêcher souvent les problèmes entre les CRS et les jeunes. Faisons confiance aussi à la police et à la justice, à condition de leur rappeler les valeurs républicaines, celles de la non-discrimination et du non-racisme.

Là aussi, ne nous laissons pas aller à un appel aux religions comme M. de Villepin qui a reçu tous les imams comme si tous ces délinquants étaient d'origine musulmane. Non, notre bouclier, c'est la laïcité.

Alors, mes chers camarades, derrière ce discours honteux contre la jeunesse. Ne nous faisons aucune illusion, demain ce sera un discours contre les étrangers. Eh bien, gardons-nous, car parfois nous en avons la tentation, de courir derrière ce discours. N'oublions pas que les Français nous seront reconnaissants d'avoir tenu bon sur nos valeurs, c'est essentiel si nous voulons gagner en 2007.

Alors, tout simplement, j'aimerais aussi que nous leur disions sans démagogie, que nous ne pourrons pas tout faire s'ils ne respectent pas les règles, s'ils ne respectent pas les autres. J'aimerais aussi que nous leur disions qu'ils n'ont jamais été aussi forts que lorsqu'ils sont solidaires et généreux à côté de chez eux comme vis-à-vis du Sud de notre monde. Ma conviction profonde est qu'en retrouvant les autres les Français se retrouveront eux-mêmes.

Alors, ces valeurs du socialisme, nous les portons tous, c'est ce que nous disons depuis le début de cet après-midi. Alors, soyons capables de les affirmer autour de la motion que nous défendons. Rénovons aussi notre parti. C'est vrai que nous n'avons pas fait assez depuis Dijon, combattons ensemble contre la droite, recréons cette Europe politique et sociale à laquelle nous sommes tous associés, et puis adressons-nous aux Français dimanche soir, disons-leur clairement que le Mans est pour nous la première phase de reconquête, disons-leur que le Parti socialiste apporte à nouveau l'espérance avant d'œuvrer pour une gauche solidaire.

Pensons aux Français, chers camarades, pensons aux valeurs du socialisme, ne les oublions pas, la démagogie et le populisme sont à nos portes, nous n'avons pas le droit de ne pas sortir unis derrière ces valeurs que nous avons tous fêtées pour notre centenaire.


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