Il faut résister et agir

Martine Aubry



Entretien avec Martine Aubry, maire de Lille, paru dans le quotidien Le Parisien daté du 26 août 2004
Propos recueillis par Philippe Martinat
 

Dans quel état d'esprit êtes-vous ?
Sereine parce que je suis convaincue que les valeurs que porte la gauche peuvent redonner un sens et une ambition collective à notre pays.
Battante parce que, face à un gouvernement qui remet en cause les fondements de notre cohésion sociale et même de la République, il faut résister et agir partout où nous le pouvons.

Les entreprises se disent handicapées par les 35 heures et cherchent de plus en plus souvent à les remettre en cause. Vous reconnaissez-vous une part de responsabilité ?
Le problème, ce ne sont pas les 35 heures. En dépit du discours dogmatique et truffé de contre-vérités du gouvernement, Jacques Chirac reconnaît que c'est un acquis social. C'est pour cela que le gouvernement hésite à les remettre en cause. Ce qu'il recherche, en réalité, est simple : faire travailler les salariés plus en les payant moins. Certaines entreprises profitent des brèches ouvertes par le gouvernement en réalisant un chantage au licenciement. Jacques Chirac avait dit : « Vous aurez les 35 heures et le pouvoir d'achat. » Aujourd'hui je constate qu'on a stoppé les 35 heures tout en faisant reculer le pouvoir d'achat. Nous sommes dans une spirale de régression qui freine la croissance et ne crée pas d'emplois. Hélas pour les salariés, le rapport de forces leur est actuellement défavorable du fait de la forte augmentation du chômage.

Comment faut-il répartir les fruits de la croissance ?
La croissance pourrait être aujourd'hui beaucoup plus forte si on augmentait le pouvoir d'achat, et donc la consommation, et si la confiance revenait. Avec Lionel Jospin, nous avions créé deux millions d'emplois alors qu'aujourd'hui le nombre d'emplois régresse et que le chômage a augmenté de 200 000 depuis deux ans. L'augmentation des richesses devrait permettre de créer des emplois, de revaloriser les salaires et donc le travail, au lieu de ne servir qu'une clientèle.

Parmi les mauvaises surprises, il y a la forte hausse du prix de l'essence...
C'est un bon exemple : après l'augmentation du prix du gaz, de l'électricité, des transports et de nombreuses taxes, c'est au tour de l'essence. Le gouvernement n'a pas souhaité maintenir le système que nous avions mis en place pour atténuer les conséquences de la hausse du prix du pétrole. Il préfère encaisser 1 milliard d'euros supplémentaires de TIPP alors que la rentrée est difficile pour beaucoup de Français avec un pouvoir d'achat qui stagne, des avantages sociaux remis en cause et des dépenses supplémentaires, par exemple pour se soigner. Ce n'est pas parce que Raffarin assure avoir renoncé à certaines mesures « dures » comme la non-revalorisation du Smic qu'il peut nous faire croire qu'il fait pour autant du social.

La réforme de l'assurance maladie a été adoptée sans heurts. Cela confirme-t-il l'affaiblissement des syndicats ou bien les Français étaient-ils, au fond, plutôt d'accord ?
Je crains que l'avenir soit là très douloureux pour les Français. Ils ont compris qu'ils allaient payer plus pour aller chez le médecin ou à l'hôpital, mais ils vont vite découvrir que ce qui se met en place c'est une Sécurité sociale à deux vitesses. Les prix des nouveaux médicaments seront directement fixés par l'industrie pharmaceutique, les prestations de moins en moins bien remboursées pour ceux qui n'ont pas une solide mutuelle et l'hôpital défavorisé au profit des cliniques privées. Ces décisions, la volonté de laisser filer le déficit de la Sécu signent la fin de ce système hérité de la Libération. C'est extrêmement grave.

Etes-vous surprise par l'affrontement Chirac-Sarkozy ?
Durant toute cette agitation de l'été, autour du show de téléréalité du gouvernement auquel nous avons eu droit, pas un mot sur les problèmes des Français. La seule préoccupation de Sarkozy, c'est d'obtenir la présidence de l'UMP avant d'être candidat à la présidentielle.

Jean-Pierre Raffarin vit-il ses dernières semaines à Matignon ?
J'ai cru comprendre qu'il se préparait une autre place en se présentant aux sénatoriales. En attendant, Raffarin, tel le Bourgeois gentilhomme, passe son temps à s'admirer et à nous expliquer qu'il est en forme et que tout va bien.

François Hollande ne prend-il pas un risque en faisant voter les militants PS, très divisés sur la Constitution européenne ?
On ne prend jamais de risques quand on joue la carte de la démocratie et quand on adopte une position claire sur une question importante. Nous avons la chance d'être dans un parti très européen. Nous sommes tous d'accord sur l'Europe politique et sociale que nous voulons. A partir de là, il y a un choix de stratégie dont nous devons débattre. Vaut-il mieux dire non à un traité que nous considérons tous comme insuffisant afin de provoquer une crise ? Ou vaut-il mieux considérer que l'Europe que nous voulons se gagnera avec d'autres et en nous battant ? Ce texte intègre la Charte des droits fondamentaux, reconnaît les services publics et renforce le rôle du Parlement. Nous aurions pu aller plus loin : la responsabilité de Jacques Chirac est immense, il ne s'est pas battu, il doit être interpellé. Quant à nous, continuons à faire progresser l'Europe et à travailler pour constituer une avant-garde avec ceux qui, comme nous, pensent que seule l'Europe peut nous permettre de construire un autre monde.

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