Une vraie réforme
de la Sécu !

Martine Aubry

Tribune signée par Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, parue dans le quotidien Libération daté du 15 mai 1998


 
Pour la première fois depuis longtemps, les comptes de la Sécurité sociale viennent de confirmer la prévision du gouvernement. C'est un résultat très appréciable quand on sait que le déficit de l'an dernier était près de trois fois plus élevé (35,1 milliards de francs contre 12,9). Ceci ne résulte pas simplement de la reprise de la croissance, puisqu'en l'absence des mesures de redressement prises par le gouvernement, il se serait élevé à environ 30 milliards de francs.
Mais pour autant il n'y a pas lieu de crier victoire, nous savons que nous devons tous faire preuve de vigilance pour conforter ce résultat.

La santé des français est un bien trop précieux pour en faire un sujet d'affrontement partisan ou simpliste. C'est la raison pour laquelle à notre arrivée nous n'avons pas voulu céder à la polémique et nous laisser enfermer dans la querelle réductrice vers laquelle on voulait nous pousser: êtes-vous pour ou contre le plan Juppé ?

Nous avons décidé de faire un diagnostic objectif de la situation avec tous les acteurs, de redonner leur place au dialogue et à la concertation afin d'engager une vraie réforme.

Ce souci de responsabilité, nous souhaiterions le voir partagé par nos prédécesseurs qui ont souvent tendance à verser dans l'autosatisfaction. Le plan Juppé aurait sauvé la Sécurité sociale alors que le «laxisme» du gouvernement la mettrait en péril.
L'histoire de l'assurance maladie nous a appris que les résultats sont fragiles, les rebondissements fréquents et qu'il convient en cette matière de faire preuve de prudence et de modestie.

Qu'en est-il du fameux plan Juppé ?

L'institution du principe d'une loi de financement de la Sécurité sociale chaque année et une bonne chose. Le droit du Parlement de fixer les objectifs de dépenses sociales est légitime. La maîtrise des dépenses est une nécessité. Mais que dire de la méthode technocratique employée et des dispositifs mis en place pour garantir le respect des objectifs.Un mécanisme de reversement complexe et stigmatisant pour les médecins, une informatisation bureaucratique de la médecine libérale, un carnet de santé dépassé avant d'être lancé !

L'hôpital n'était pas mieux loti. Qu'avons-nous trouvé ? Des institutions chargées de la tutelle des hôpitaux (les agences régionales de l'hospitalisation) installées dans des conditions discutables et en butte à l'incompréhension des élus comme des professionnels de santé; une politique hospitalière réduite à la seule fixation d'une enveloppe maximale de dépenses qui asphyxiait les établissements au lieu de les aider à se transformer; des discours sur l'évaluation des pratiques médicales, alors que l'agence qui en était chargée n'était toujours pas installée.

Quant au médicament, c'était le grand absent du plan Juppé qui n'avait fixé aucune orientation dans ce domaine, se bornant simplement à donner une définition du générique, dont on attendait sans doute un développement spontané?

Et tout cela pour quels résultats ?

Un déficit de l'assurance maladie de près de 15 milliards de francs et un déficit des comptes du régime général de la Sécurité sociale de plus de 35 milliards de francs en 1997, alors qu'Alain Juppé promettait, pour cette même année, un excédent de près de 12 milliards de francs? Près de 50 milliards de décalage entre les prévisions et la réalité, cela devrait à tout le moins faire taire les discours triomphalistes !…

Et pourtant certains continuent à vanter le succès du plan Juppé qui serait illustré par le respect de l'objectif des dépenses de médecine de ville en 1997.

Ce résultat mérite d'être singulièrement nuancé. Si les médecins généralistes semblent avoir respecté l'objectif en 1997 - en grande partie grâce à l'absence d'épidémie de grippe et à la stabilisation de la démographie médicale -, les spécialistes ont dépassé le leur.

La prudence commanderait donc de ne pas se réjouir trop vite. En effet, les dépenses reprennent depuis la fin de 1997 et pourraient réserver de mauvaises surprises cette année.

Car chacun le sait, les plans de maîtrise des dépenses ont toujours dans un premier temps, par la pression psychologique qu'ils exercent, un impact sur l'évolution des dépenses, mais cet effet se dissipe au bout de douze à dix-huit mois en l'absence de véritables mécanismes structurels de régulation.

Et pourtant, la maîtrise des dépenses de santé est un impératif. Toute dépense inutile est inacceptable, elle pèse sur les ménages et les entreprises. Refuser la maîtrise des dépenses condamnerait notre système de protection sociale. La gauche l'a d'ailleurs introduite en la mettant en œuvre dans les hôpitaux dès 1983 et en portant sur les fonds baptismaux la régulation des dépenses de médecine de ville. On se souvient des accords Evin conclus avec les biologistes et les cliniques en 1991, et de la loi Teulade en 1993 contre laquelle monsieur Juppé et ses amis manifestaient…

La France dépense plus pour sa santé que la plupart des autres pays. Les sommes qu'elle y consacre lui permettent très largement de disposer d'un système du meilleur niveau scientifique et qui devrait garantir à tous un égal accès. Cela veut dire que les objectifs votés par le Parlement peuvent et doivent être tenus.

Mais cette maîtrise rigoureuse des dépenses doit être au service d'une véritable politique de santé. Fixer les priorités de santé publique qu'imposent les besoins de la population, assurer la meilleure prise en charge de la prévention et des soins, garantir la sécurité sanitaire, faciliter l'accès aux soins des plus démunis, tels sont les vrais objectifs.

Nos orientations.

A l'issue des travaux des groupes sur la médecine de ville que nous avons mis en place avec les syndicats de médecins, une réforme profonde de notre système de médecine libérale sera menée. Les professionnels doivent pouvoir disposer d'informations précises sur l'évolution des dépenses pour pouvoir réagir, il s'agit d'instaurer une véritable responsabilité individuelle et collective. Les mécanismes de régulation comme les modes de rémunération seront adaptés. La nécessaire responsabilité économique des professionnels de santé doit s'exercer dans la transparence et le respect de la qualité des soins.

Parallèlement, une nouvelle nomenclature des actes médicaux sera établie et des mécanismes d'évaluation des pratiques par les professionnels eux-mêmes seront mis en place. Les mesures prises pour réorienter l'information du système de santé permettront, dès la fin de l'année, de mettre à la disposition des praticiens le formidable outil de liberté et de connaissance que peut être le réseau santé-social.

Deuxième orientation, la régionalisation du système de santé. La région doit s'imposer comme le cadre naturel de l'évaluation des besoins comme de la répartition des ressources. La réponse aux besoins de la population comme la recomposition du tissu hospitalier appellent d'importantes reconversions, des transferts de ressources entre l'hôpital et le médico-social, le développement de réseaux et de partenariats entre la médecine de ville et l'hôpital.

Cette transformation ne peut s'accomplir sans la reconnaissance de la vocation sanitaire de la région.

Troisième priorité, le médicament. Le gouvernement a défini récemment les grandes orientations de la politique du médicament. Il a fixé pour la première fois des objectifs rigoureux de réduction de la consommation de certains classes thérapeutiques caractérisées par une surconsommation présentant des risques pour la santé publique et coûteuse pour la Sécurité sociale. La politique conventionnelle menée par l'Etat avec l'industrie pharmaceutique mettra en œuvre ces orientations qui seront progressivement généralisées. De même, les conditions de prise en charge des médicaments seront revues et fondées sur des critères médicaux stricts. Le droit de substitution entre génériques sera enfin institué dans les prochains mois.

Quelles ressources ?

L'avenir de l'assurance maladie ne peut reposer sur la seule maîtrise des dépenses. Il est clair qu'il ne sera assuré que si notre système de protection sociale bénéficie de ressources dynamiques et pérennes. L'extension timide de la CSG faite en 1997 – qui marquait d'ailleurs un reniement de la majorité de l'époque qui avait tant critiqué la réforme courageuse faite par Michel Rocard en 1990 – n'avait pas modifié profondément la structure des recettes de la Sécurité sociale.

Dès la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1998, nous avons réalisé, sous les critiques de l'opposition, une réforme d'ampleur du financement de la Sécurité sociale qui a fortement accru la contribution demandée aux revenus du capital et augmenté le niveau de vie des actifs. C'est désormais une assiette large, ne pesant pas exclusivement sur les revenus du travail qui garantit le financement de notre protection sociale. Cette réforme doit être poursuivie par celle des cotisations patronales.

Tels sont les objectifs de notre réforme. D'une réforme déterminée, inscrite dans la durée et reposant sur la confiance.

Nous avons trouvé en juin 1997 des professionnels de santé traumatisés par une réforme imposée sans concertation, ni explication.

Notre démarche est différente. De nombreux chantiers ont été engagés depuis neuf mois sans bruit, dans un dialogue nourri avec l'ensemble des partenaires concernés. Nous nous sommes fixés un cap et notre rythme n'est ni celui des congrès syndicaux, ni celui des états d'âme de nos prédécesseurs.

Notre souci est de développer une approche d'ensemble des politiques sociales. Il faut, dans une même démarche, sur des objectifs clairs et cohérents, réformer la médecine de ville, transformer l'hôpital, définir une politique du médicament mais également adapter les politiques en faveur des personnes âgées, des handicapés, mener la lutte contre l'exclusion et enfin instituer une couverture maladie universelle.

Redisons-le, il y a danger à vouloir résumer le débat à une alternative entre la défense du plan Juppé ou la privatisation de la Sécurité sociale. Il existe une autre voie, la voie – exigeante – d'un service public de la Sécurité sociale fondé sur le partenariat et le contrat. Elle a pour objectif l'institution d'une véritable démocratie sanitaire dans notre pays. Tel et le sens de l'action que nous menons, tel sera l'objet des états généraux de la santé qui s'ouvriront dans les prochaines semaines.
Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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