Construire l'alternance

Jean-Marc Ayrault


Entretien avec Jean-Marc Ayrault, député-maire de Nantes, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, paru dans Le Figaro daté du jeudi 25 septembre 2003
Propos recueillis par Pascale Sauvage
 

Percevez-vous un doute, parmi les parlementaires de la majorité, sur la politique de Jean-Pierre Raffarin ?
Incontestablement. Le désarroi d'une majorité qui sent que le gouvernement avance sans boussole est évident. Comme M. Raffarin envoie des signaux contradictoires, il contribue à créer une crise de confiance chez les Français, qui se rendent compte qu'il n'a ni vision ni stratégie. Les députés qui reviennent de leur circonscription constatent l'inquiétude suscitée par ce « gouvernement de l'angoisse ». Il ajoute au défaut de pilotage économique un sentiment généralisé d'insécurité sociale. Alors que les plans sociaux se multiplient, que fait M. Raffarin ? Il supprime les allocations aux chômeurs en fin de droits. Quant à M. Fillon, il annonce la « flexibilisation » du Code du travail. Comment peut-on prétendre sécuriser en commençant par précariser ?

Tout gouvernement traverse des turbulences. N'est-il pas un peu tôt pour crier à l'échec de la volonté de réforme de celui-ci ?
Je n'ai pas connu une telle atmosphère depuis la récession de 1992-1993. Aujourd'hui, contrairement à ce que certains écrivent, la France n'est pas en déclin. Mais elle a besoin de sens, au lieu de cette politique au fil de l'eau qu'on lui impose.

Mais les socialistes ne profitent pas du mécontentement manifesté dans l'opinion. Pourquoi ?
Le PS est engagé dans une double reconstruction, politique et intellectuelle. Notre logiciel a vieilli. La globalisation érode les fondements de l'Etat providence et du modèle social-démocrate. Ce n'est pas seulement le PS français, mais tous les sociaux-démocrates européens qui sont confrontés à cette difficulté, comme on le voit en Allemagne. Certes, la droite est en train d'échouer, mais, si nous ne sortons pas très vite de notre convalescence, nous laisserons un vide démocratique béant. Il faut passer d'une opposition défensive à une opposition alternative.

Vous aviez l'occasion d'amorcer ce travail d'opposition alternative à propos des retraites et vous n'y êtes pas parvenus.
Justement, ce débat sur les retraites nous a servi de leçon. Il faut sortir du « ni-ni » pour affirmer des orientations nettes. Le débat fiscal devrait nous en donner l'occasion. La loi de finances va nous permettre de démontrer que la politique gouvernementale est inégalitaire et inefficace. Mais il faut que le PS aille plus loin que le faux débat sur la baisse ou la réhabilitation des impôts. Il doit proposer une réforme complète du système fiscal, afin de le rendre plus juste, plus simple et plus efficace.

Une table ronde est consacrée à l'Europe. Le PS aura-t-il, avant les élections européennes, arrêté une position susceptible de confirmer son ancrage européen sans pour autant avoir l'air de soutenir Jacques Chirac ?
Ce qui m'importe, c'est l'avenir de l'Europe, donc celui de la France. Le discours populiste du premier ministre réduisant l'Europe à « des petits bureaux obscurs » est délétère. Je suis inquiet pour l'avenir de la Constitution européenne ; je pense que le texte qui sera soumis à la conférence intergouvernementale est un compromis intéressant, même s'il est insuffisant dans les domaines de l'Europe sociale, des services publics, d'une politique étrangère et d'une défense communes. Si le pays est amené à choisir, ce que je souhaite, la question de soutenir ou non Jacques Chirac ne se posera pas. Depuis qu'il est président, il n'a pris aucune grande initiative en faveur de l'Europe. Alors, au moment de se prononcer, quel que soit le cas de figure, nous n'oublierons pas que l'engagement européen est un fondement de l'identité socialiste.

L'opposition doit-elle adopter vis-à-vis du président et du gouvernement une tactique de «harcèlement» ?
Nous n'avons fait preuve d'aucune complaisance, depuis un an, à l'égard de l'exécutif. L'opposition doit garder sa capacité d'indignation. Mais, je le répète, elle doit maintenant se présenter comme une alternative. Plutôt que de « harceler » le gouvernement, je préfère susciter une espérance. Il faut que les socialistes portent plus fort les valeurs républicaines et proposent des «contrats» avec la société, qu'il s'agisse de l'éducation, de la Sécurité sociale, de la laïcité et de l'intégration. Je proposerai par exemple à mon groupe de déposer une proposition de loi instaurant un service civique obligatoire.

Les députés socialistes ont-ils le moral ?
Je les trouve plutôt combatifs. Nos électeurs ont besoin de perspectives et se tournent à nouveau vers nous. Mais, encore une fois, l'alternance ne sera pas mécanique, il nous incombe de la construire.

© Copyright Le Figaro


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