Hollande,
de l'audace !

Jean-Marc Ayrault

Jean-Marc Ayrault
député-maire de Nantes
président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale


Entretien paru dans l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur daté du jeudi 5 décembre 2002
Propos recueillis par François Bazin
 

Comment le PS peut-il remplir son rôle d’opposant alors que rien n’est clair en son sein, ni ses idées, ni sa stratégie, ni le nom de ses leaders ?
Le PS flotte, c’est vrai. Il réagit au coup par coup et n’est pas assez clair. Je le dis d’autant plus aisément que, comme président du groupe parlementaire, j’ai bien sûr ma part de responsabilité.

Pourquoi, selon vous, un tel flottement ?
Le PS va mal parce que, si je puis dire, il ne sait plus très bien ce qu’il pense. D’un côté, on a perdu le discours républicain des valeurs, des droits et des devoirs, de l’intérêt général. De l’autre, trop de sujets sont devenus tabous parce qu’ils nous gênent: la place de l’Etat, la sécurité, la défense, l’immigration, la nation... Notre logiciel a vieilli. Il n’est plus adapté à un monde et à une société qui, eux, ont profondément changé.

Le « réformisme de gauche » dont parle François Hollande peut-il servir de boussole à un PS sans repères ?
Bien sûr. Mais encore faudrait-il que nous assumions pleinement ce réformisme et que nous lui donnions un contenu concret. Or le mal est profond parce qu’il est ancien. Il trouve sa source en 1983 quand nous avons habillé du nom de parenthèse ce qui était en fait un tournant fondamental de notre stratégie, et pas simplement sur le plan économique. Nous avons changé sans le dire. Du coup, nous avons toujours eu du mal à faire une vraie pédagogie du changement. Il a manqué au PS son « Bad Godesberg ».

N’était-ce pas pourtant l’ambition de Jospin, en 1997 ?
Le gouvernement Jospin a été l’un des plus convaincants qu’ait connus la gauche. Mais si, dans la dernière année, il a perdu le fil de la réforme, si progressivement les Français n’ont plus compris le sens de son action, ce n’est pas par hasard. Pour comprendre ce décrochage, il ne sert à rien de pointer telle ou telle nomination ministérielle, de dire que c’est la faute de Fabius ou de se polariser sur telle ou telle décision discutable du gouvernement. A un moment donné, l’élan initial n’était plus assez fort pour compenser les lacunes de notre projet collectif.

Se dire réformiste de gauche suffit-il à résoudre tous les problèmes du PS ?
Non, mais c’est un préalable. Pour devenir crédible et conquérant, il ne faut pas avoir mauvaise conscience. Quand on n’assume pas sa vraie nature, on intègre ipso facto les arguments des adversaires et notamment ceux d’une gauche radicale qui vit et prospère dans la haine de la social-démocratie. N’ayons plus de complexes, camarades ! Disons clairement que Mitterrand et Jospin ont plus fait progresser la justice sociale et les libertés que Laguiller ou Krivine.

Henri Emmanuelli et Jean-Luc Mélenchon incarnent-ils cette gauche de la mauvaise conscience ?
Parfois, je le crains. En même temps, je refuse l’ostracisme et ne veux pas me laisser entraîner dans ces petites polémiques entre soi-disant cryptogauchistes et prétendus protoblairistes. Tout cela est nul. Ce n’est pas comme cela qu’on rebâtira un vrai projet.

Le débat au sein du PS ne permet-il pas d’en dessiner les contours ?
Pour le moment il n’est pas à la hauteur. Je vois des positionnements. Je n’entends guère d’arguments de fond. Au temps du débat doit succéder au plus vite celui des réponses. Moderniser l’Etat et les services publics pour mieux les préserver. Reconnaître que la loi ne peut pas tout et construire un compromis historique entre les forces sociales. Inventer une fiscalité plus progressive et moins pénalisante pour le travail. Assumer une politique de sécurité. Relancer le pacte républicain d’intégration en posant la question des discriminations positives. Se confronter aux militants de l’altermondialisation pour inventer des outils de régulation et de redistribution des richesses. Il faut sortir du clivage dépassé entre la première gauche et la deuxième gauche et retrouver et adapter les fondamentaux de la social-démocratie. République, réforme, Europe et internationalisme. C’est la tâche de François Hollande.

Tout dépend de François Hollande ?
Beaucoup dépend de lui parce qu’il est premier secrétaire et qu’il est aujourd’hui le seul capable de rassembler une majorité large, claire et cohérente dans le parti.

Quels sont les contours de cette majorité ?
Une majorité, ça ne se décrète pas, ça se bâtit. Personne n’en est exclu a priori mais elle doit se construire sur des bases claires, solides et cohérentes. François Hollande a fait un premier pas en affirmant la nature réformiste de notre projet. Il doit en franchir au plus vite un second en donnant à ce projet un contenu authentiquement social-démocrate. C’est comme cela qu’il entraînera le parti et deviendra le vrai successeur de Jospin. Sa feuille de route est simple : de l’audace, toujours de l’audace !

© Copyright Le Nouvel Observateur


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