Chirac,
le catalogue de la déroute

Jean-Marc Ayrault
Lettre au président sortant : votre seule ambition est celle de ne plus être « négligeable ».
par Jean-Marc Ayrault
député maire de Nantes
président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale.
 Point de vue paru dans les pages " Débats " de Libération daté du vendredi 15 février 2002


 
Monsieur le Président sortant,

c'est une étrange candidature que vous avez présentée sur TF1. Nous attendions avec curiosité les motifs de l'impérieuse nécessité de vous représenter. Nous eûmes ce singulier exercice d'autojustification d'un passé qui ne passe plus. Le vôtre.

Sans doute aviez-vous besoin de cette catharsis pour solder un septennat vide de réalisations mais plein de renoncements, qui a désespéré jusqu'à vos plus chauds partisans. « Si Jacques Chirac est doué pour gagner les élections, il l'est beaucoup moins pour gouverner », écrit le très conservateur quotidien britannique Financial Times. Sagesse anglaise.

Il serait trop facile d'effacer sept ans d'impuissance au prétexte que vous avez exprimé votre soudaine passion de candidat aux Français. A vrai dire, cette passion vous a plutôt égaré quand vous avez une nouvelle fois tenté de brosser « avec fierté » un tableau aussi enjolivé de votre mandature. De quelle « fierté » peut-il être question ? La qualification pour l'euro dont vous vous êtes targué avec votre aplomb coutumier? Quelques instants plus tôt, vous reconnaissiez avoir dissous parce que votre gouvernement ne remplissait pas les critères de Maastricht. Vous n'aviez pourtant pas lésiné sur les hausses d'impôts et les prélèvements. 100 milliards rien que pour l'année 1995. La France rata ainsi le train de la croissance qui redémarrait partout en Europe et aux Etats-Unis. Le « respect de l'autre » vous a sans doute empêché de reconnaître que c'est le gouvernement Jospin qui a réussi la qualification, puis le passage à l'euro.

Vous avez brandi tout aussi « fièrement » le chiffre de plusieurs centaines de milliers de créations d'emplois pendant l'époque Juppé. Alors expliquez-nous comment le chômage a pu progresser de 200 000 personnes pour atteindre le plafond record de 3,2 millions. Dites-nous comment les prétendues « mesures courageuses » du plan Juppé auraient permis de sauver la Sécurité sociale de la faillite. Il vous est trop pénible de rappeler que malgré l'invention du RDS, malgré la hausse du forfait hospitalier, malgré l'encadrement tarifaire des médecins, le trou du régime général culminait à 54 milliards de francs et le déficit cumulé à 265 milliards.

Elu sur la promesse de résorber « la fracture sociale », vous en êtes encore à chercher le plâtre. Il est vrai que vous avez présenté une loi sur l'exclusion. Elle avait fait l'objet de sévères critiques des associations caritatives pour son manque d'ambition. Vous l'avez fusillée en pleine discussion parlementaire en prononçant la dissolution. Les actes parlent souvent mieux que les mots.

Et que dire des institutions que vous prétendez avoir si bien défendues ? On croyait percevoir une tonalité gaullienne dans votre propos. Mais était-ce bien gaullien que d'avoir refusé de vous démettre après votre dissolution ratée ? Croyez-vous que la fonction présidentielle ait été renforcée en étant réduite au ministère de la parole pendant cinq ans ? Croyez-vous avoir renforcé le référendum en convoquant à contretemps les électeurs pour le passage au quinquennat ? Votre successeur y regardera à deux fois avant de l'utiliser. Quant à l'institution judiciaire, elle a beaucoup souffert de l'interventionnisme de vos amis sur le cours des dossiers et de votre refus de faire aboutir l'indépendance du parquet que vous aviez pourtant publiquement soutenue. On ne se défait pas de ses reniements.

En désespoir de cause, vous convoquez l'arrière-ban international pour témoigner que vous avez porté d'une « voix forte l'image de la France dans le monde ».

Regardons de plus près. Vous avez commencé par une erreur magistrale: la reprise des essais nucléaires qui isola la France et pénalisa ses intérêts économiques à l'étranger. Le jeu ne devait pas en valoir la chandelle, puisque vous avez interrompu la campagne d'essais avant son achèvement. La geste gaullienne n'était que gesticulation. La posture nationale s'est rapidement avérée une imposture quand vous avez ramené en catimini la France dans l'orbite américaine en réintégrant l'Otan. L'Europe, alors ? Las ! votre septennat fut le premier de la Ve République à ne porter aucun projet d'envergure. Vous avez même réussi ce tour de force de laisser s'étioler le couple franco-allemand qui donnait toutes les impulsions. La voix forte est devenue bien aphone.

Vous trouverez certainement ce droit d'inventaire bien injuste. Vous avez tant fait d'efforts, nous dites-vous, pour défendre la terre des périls de l'effet de serre. Surprenante découverte. En 1996, le gouvernement d'Alain Juppé avait justement bloqué la négociation européenne contre... l'effet de serre.

Pour synthétiser ce catalogue de la déroute, vous avez trouvé cette formule : « Ce n'est pas négligeable. » Sans doute faut-il y voir la dimension de votre candidature. N'être plus un Président négligeable. Est-ce là une ambition pour la France ?

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
© Copyright Libération.com


Page précédente Haut de page
PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]