La laïcité, ciment de l'intégration

Jean-Marc Ayrault

Jean-Marc Ayrault, député-maire de Nantes.
Point de vue paru dans le quotidien Libération daté du mardi 21 octobre 2003
 
Le statu quo n'est plus tenable. Voilà quinze ans que la querelle du voile contraint la communauté scolaire à assumer tout à la fois le débat sur la place de l'islam en France, la montée des communautarismes, la défense de la laïcité contre le fondamentalisme mais aussi l'exclusion sociale et la réussite de chaque enfant. C'est trop lui demander. On l'a vu encore récemment avec le « cas d'école » du lycée Henry-Wallon d'Aubervilliers. L'exclusion prononcée contre les deux jeunes filles qui refusaient de retirer leur voile a été une décision pénible pour les enseignants. Parce qu'ils vivent l'éducation comme une émancipation pour l'élève, ils ont cherché en vain une solution alternative. La sanction décidée en dernier recours était la seule possible. La laïcité ne peut se négocier, elle ne peut se marchander, à l'école comme dans toutes les administrations publiques.

Comment ne pas s'inquiéter de la réaction du Conseil français du culte musulman, étrangement consulté par le ministre de l'Intérieur sur une question relevant des pouvoirs publics, qui considère le voile comme une « préconisation religieuse » et l'érige en étendard de la « liberté de croyance ». Quel message rétrograde au regard des pays de religion musulmane qui tentent de faire évoluer le statut de la femme contre leurs intégristes (avant-hier la Turquie, hier la Tunisie, aujourd'hui le Maroc). Comment ne pas s'alarmer qu'une des principales autorités de l'Etat, le ministre de l'Intérieur, ait choisi de s'appuyer sur un mouvement religieux aux racines fondamentalistes pour cogérer la vie et la pratique des musulmans de France. Ce nouveau «Concordat» est un dangereux encouragement au communautarisme.

Voilà pourquoi j'ai été de ceux qui ont demandé que le politique se saisisse à bras-le-corps de la question. J'ai demandé et obtenu la formation une mission d'information parlementaire qui permette un état des lieux hors des passions et fasse des préconisations, éventuellement législatives, pour sortir de ce conflit récurrent. Je connais le danger des lois de circonstance, prises dans l'émotion du tumulte, qui vont à l'encontre du but recherché. Il est de la grandeur du législateur de peser et d'évaluer ses décisions. Mais, malgré la qualité de ses travaux, cette mission continue de buter sur la même problématique qu'il y a quinze ans. Alors, oui, je crois qu'il faut maintenant bouger.

Parce que nous sommes socialistes, parce que nous croyons que la laïcité est le ciment le plus solide du pacte républicain, il nous paraît aujourd'hui nécessaire de lever le flou politique et juridique. Nous n'avons plus le droit de laisser le corps enseignant se débattre dans les ambiguïtés de la jurisprudence. Il revient au politique, dont c'est la mission, de prendre ses responsabilités et de décider. Une règle commune doit être établie pour proscrire le port de tout insigne ostentatoire de nature religieuse ou politique, à l'école et dans les administrations publiques. Loi, décret, circulaire, charte, peu importe la forme juridique. L'essentiel est que chacun sache ce que veut la République. C'est une protection indispensable pour les agents publics. Mais c'est aussi une garantie pour les religions. Tout ce qui encourage les pratiques communautaristes dans l'espace public ne peut qu'aviver les tensions et se retourner contre les musulmans. L'islam de France s'enracinera d'autant mieux qu'il se verra reconnaître la pleine égalité de droits et de devoirs avec les autres cultes, sans ostracisme et sans esprit paternaliste.

A l'évidence, la règle commune ne peut pas se limiter à une interdiction nécessaire mais insuffisante. Son impératif est de s'attaquer, aussi et surtout, à toutes les formes de discriminations sociales, culturelles ou religieuses dont sont trop souvent victimes nos compatriotes musulmans, pourtant respectueux dans leur immense majorité des lois laïques. Si nous ne faisons pas reculer cette forme larvée de ségrégation, si nous ne donnons pas aux enfants issus de l'immigration les mêmes chances que leurs compatriotes, alors soyons sûrs que la règle commune sera, à son tour, contestée ou contournée. La laïcité ne se divise pas. Elle est un processus global d'intégration.

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