Les cités, c'est la France !

Jean-Marc Ayrault


Point de vue signé par Jean-Marc Ayrault, député-maire de Nantes, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, paru dans Le Figaro daté du 7 novembre 2005
 
Le moins que l'on puisse dire est que la réponse des autorités gouvernementales apparaît désordonnée et impuissante. Là où la politique des cités s'appuyait sur une approche globale et continue, certes insuffisante mais indispensable, le pouvoir a suivi, depuis trois ans, le ministre de l'Intérieur dans une dangereuse démarche de rupture.

Rupture dans les priorités. Décrites comme des « zones de non-droit », les cités ont fait l'objet d'un traitement policier qui a trop souvent relégué le rattrapage social ou éducatif au second plan. La fermeté est évidemment indispensable pour combattre la loi des bandes et des délinquants, mais sans un travail de fond contre le chômage, la ghettoïsation, les discriminations, elle alimente le sentiment de relégation. Or dans ces domaines les efforts de l'Etat ont été beaucoup plus chiches.

La deuxième rupture a été la réorganisation des forces de sécurité. La police de proximité tirait sa force de son immersion dans la population et permettait d'anticiper les conflits. Elle a été liquidée. Son remplacement par une police tournée vers les opérations coup de poing (trop souvent médiatisées) n'a pas donné de résultat probant dans la lutte contre les violences.

Il apparaît aujourd'hui qu'un rééquilibrage entre les missions de prévention, d'anticipation, d'investigation et de répression est nécessaire. De même faut-il revoir la formation des policiers souvent mal adaptée à la réalité des quartiers et rendre leur recrutement plus conforme à la diversité du pays. Cette adaptation des forces de sécurité doit s'accompagner d'un appui financier et logistique de l'Etat au travail de prévention sociale des élus locaux et des associations. L'assèchement de leurs subventions a laissé, dans certains cas, le champ libre à des organisations religieuses.

C'est la troisième rupture : l'institutionnalisation du communautarisme. La dérive communautaire ne date pas de M. Sarkozy. Mais l'instrumentalisation du Conseil français du culte musulman par la Place Beauvau a érigé des organisations religieuses en médiateurs de la vie des cités. S'il est temps de reconnaître à l'islam sa place de deuxième religion de France et lui donner les moyens d'exercer son culte dans la dignité, arrêtons de lui demander de régler la vie des cités à la place de la République. La laïcité doit retrouver ses droits. La médiation sociale est l'affaire des municipalités et des associations, non des prédicateurs.Le cocktail Sarkozy était explosif. Il a hélas explosé. Il ne saurait être question pour nous d'attiser le feu. Quelles que soient les fautes du pouvoir, nul ne peut justifier ce déchaînement de violence. Le retour à l'ordre républicain est la première urgence. Mais le gouvernement ne peut pas s'en tenir là et à la confection improvisée d'un énième plan banlieue. Tout un recadrage politique est à opérer, au plan de la sécurité, de l'économie, du social, de l'égalité des chances. C'est le sens du débat parlementaire que nous demandons.

Toute la nation est interpellée. Est-elle prête à consentir l'effort de remise à niveau des quartiers en difficulté ? Accepte-t-elle les règles de mixité sociale en matière de logement et d'urbanisme ? Veut-elle se donner les moyens d'assumer la pleine égalité des chances à tous ses enfants, quels que soient leur origine, leur nom, leur quartier ?

Le politique doit avoir le courage de ce langage de vérité. La véritable égalité des chances implique de soutenir plus massivement les quartiers déshérités que les autres. Elle exige, par exemple, que leurs écoles aient moins d'élèves par classe, plus de profs expérimentés, plus d'encadrement, plus de crédits. Il ne s'agit plus de distribuer la manne financière à l'aveugle mais de la cibler sur les familles qui cumulent les handicaps sociaux. Ce contrat de remise à niveau doit être clairement établi devant les Français.

De la même manière ne faut-il plus esquiver les difficultés de notre pays à assumer la diversité de sa population. Trop de jeunes, nés en France, titulaires d'une carte d'identité nationale, se sentent étrangers à leur pays. Parce que la société les renvoie à leurs origines, parce qu'elle oublie de leur transmettre ses valeurs de solidarité et de civisme.

C'est pour retrouver ce sentiment d'appartenance nationale que j'ai défendu à l'Assemblée une proposition de loi visant à instaurer un service civique obligatoire pour tous les jeunes Français, garçons et filles. Offrir quelques mois de son temps aux personnes âgées, aux handicapés, aux malades, redonnerait une réalité au brassage social. Il n'est plus possible d'en faire l'économie.

« Le ciel redevenait sauvage, le béton bouffait le paysage », chantait Reggiani il y a trente ans. Nous en sommes là. La République est au pied des barres. En rester à quelques mesures de circonstances l'exposerait à de nouveaux embrasements. Il lui faut retrouver « le goût de la fraternité ». Redonner une réalité aux valeurs qu'elle proclame. Les cités, c'est la France !

Il n'y a certainement pas de solution magique. Les cités en difficulté sont le miroir des dégradations de notre modèle républicain, le reflet de notre crise nationale. Celle-ci ne se réduit pas à la dépression économique et sociale, elle est aussi une perte de repères et de normes dans notre vie collective. La politique de la ville menée depuis vingt-cinq ans a montré à cet égard ses limites. Le saupoudrage et les pansements ne suffisent plus. Ce doit être une priorité globale, massive, qui redonne un contenu à notre vouloir vivre ensemble.
© Copyright Le Figaro


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