Projet de Constitution européenne
N'ayons pas un égoïsme de riches

Jean-Marc Ayrault

Entretien avec Jean-Marc Ayrault, président du groupe à l'Assemblée nationale, accordé au quotidien Libération daté du 24 novembre 2003
Propos recueillis par Paul Quinio


 

Que dites-vous aux députés socialistes qui menacent de s'abstenir demain ?
Est-ce qu'on s'abstient quand un mur de l'Histoire tombe ? Non. N'ayons pas un égoïsme de riches dicté par des considérations franco-françaises. L'élargissement est un projet historique. Les socialistes n'ont pas le droit d'être frileux. François Mitterrand avait bataillé pour convaincre du bien-fondé de l'entrée de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce dans l'Union européenne. Historiquement, c'est lui qui avait raison.

Ce désaccord sur l'élargissement va attiser les divisions du PS sur la Constitution...
Je comprends la crainte exprimée à propos des dérives libérales de l'Europe. Mais je ne vois pas en quoi le fait de provoquer une crise conjurera cette dérive. Ceux qui le pensent sont dans leur tour d'ivoire. Personne n'a cette approche dans la social-démocratie européenne. Le seul qui se réjouirait d'une crise s'appelle George Bush. Le PS n'a jamais manqué de rendez-vous européen. Je suis convaincu qu'il ne s'en sortira pas en restant trop longtemps dans le ni-ni, dans l'entre-deux.

Vous critiquez l'attentisme de François Hollande ?
Je n'ai pas de doute sur ses convictions européennes. Se prononcer sur un texte qui n'est pas achevé relèverait de la naïveté. Le danger actuel est de voir la Conférence intergouvernementale affaiblir le projet de Constitution issu de la convention Giscard. De ce point de vue, la passivité de Jacques Chirac m'inquiète. La position de la France est trop frileuse.

Ce projet de Constitution est donc acceptable ?
On peut, bien sûr, aller plus loin. Mais il reconnaît l'existence de services publics, la nécessité de politiques sociales, il renforce le rôle du Parlement européen, etc. La référence au marché figurait déjà dans le traité de Rome. Croire que ce projet est un cheval de Troie au service d'une Europe libérale est donc un faux débat. Une Constitution, c'est un cadre qui ne fixe pas les choix politiques. La vraie réponse, c'est de porter un projet politique qui fasse contre-poids à la mondialisation libérale. Le pacte de stabilité doit être réorienté pour mieux servir la croissance. Et il faut bâtir un projet qui aille au-delà d'une Europe garante de la paix. Cette ambition des pères fondateurs ne suffit plus. Nous devons travailler à l'alliance des forces progressistes européennes, voire altermondialistes. Et favoriser des coopérations renforcées, avec l'Allemagne, mais aussi l'Italie et parfois l'Angleterre... En avançant ainsi, sans exclure personne a priori, nous formulerons une ambition nouvelle et réaliste pour l'Europe.

Les militants socialistes doutent de l'Europe...
L'Europe a besoin d'une nouvelle légitimité populaire. Mais il ne faut pas se laisser piéger par la seule question de la Constitution, alibi de notre insuffisance. Les socialistes ne retrouveront pas la confiance des milieux populaires en criant « vive la crise » de l'Europe. Nous donnerions le sentiment de nous renier et de légitimer des discours populistes.

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