C'est à la France
que nous devons parler
Congrès du Mans - 18 novembre 2005

Discours de Jean-Marc Ayrault, député-maire de Nantes, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale
Tribune du Congrès du Mans


 
Chers amis, chers camarades

Nous avons beaucoup de choses à nous dire. Mais c'est à la France que nous devons parler. Notre Nation est en état d'urgence. Le pacte républicain est fissuré. Notre image internationale est ternie. La violence dans les cités est le reflet d'une crise économique, sociale, politique, morale. La France vit un moment très grave de son histoire.

Soyons à cette hauteur là ! Déparons-nous des petitesses ! Nous n'avons plus le droit, nous n'avons plus le temps d'être enfermés sur nous-mêmes. Nous avons défini notre orientation. Nous avons choisi notre direction. Nul ne peut concevoir que nous nous perdions dans des discussions byzantines. Nul ne peut accepter que les choix que nous avons à présenter aux Français soient suspendus à des négociations nocturnes de la commission des résolutions. Synthèse ou pas synthèse, ce n'est pas le problème. Les militants ont voté. L'enjeu est que le PS tout en entier s'adresse au pays.

C'est au pays qu'il faut offrir une sortie de crise. C'est au pays qu'il faut tracer une espérance. Le Mans doit être le Congrès de renaissance, le Congrès de la réconciliation des socialistes et de la France !

Je propose que notre Congrès adopte une adresse aux Français qui fixe nos priorités,notre méthode et notre calendrier.

Commençons par regarder notre pays en face. Ce qui se passe dans nos cités est d'abord le faire-part des années Chirac. Les fractures de la République n'ont jamais été aussi béantes. L'insécurité a rarement pris autant de formes.

L'Histoire sera impitoyable pour ce pouvoir fantomatique réduit aux expédients de l'Etat d'urgence, qui a fait perdre à notre peuple toute confiance en lui-même et en l'idée de progrès. C'est le temps de toutes les peurs, la hantise de tous les déclins.

Jamais des socialistes n'accepteront cette France balafrée de violences. Oui le respect de la loi républicaine est la première urgence. Oui la fermeté s'impose à tous les casseurs. Quel socialiste peut concevoir que la vie et les biens de nos compatriotes les plus fragiles soient exposés aux risques de la délinquance ? Là où la loi républicaine se dérobe, c'est le règne de l'arbitraire, c'est la force injuste des bandes qui s'impose.

Cessons donc de porter la mauvaise conscience de ceux qui assimilent la défense de la tranquillité publique à l'état policier. La sécurité est un droit fondamental inscrit au frontispice de la déclaration de 1789. Elle est l'une des conditions de l'égalité parce qu'elle protège les plus faibles. Elle est l'une des sources de la citoyenneté parce qu'elle demande à chacun la pleine responsabilité de ses actes. La sécurité fait partie du patrimoine des socialistes. Nous n'avons rien à gagner à laisser instrumentaliser la peur. Nous avons tout à perdre à la laisser se répandre.

Mais la force sans la justice, c'est l'impuissance. Le véritable état d'urgence, c'est l'état d'urgence sociale ! Les quartiers déshérités sont le miroir grossissant de toutes les dégradations de notre modèle républicain. Qui peut croire qu'après avoir ruiné l'Etat, propagé les inégalités, dressé les Français les uns contre les autres, cette droite égoïste va redonner au pays le goût de la fraternité.

C'est à nous socialistes d'interpeller notre peuple. De lui dire sans ambages que la politique des pansements et du saupoudrage est révolue. L'équilibre vital de notre société commande que les familles, les quartiers, les villes, les régions les plus en difficulté soient prioritaires dans le soutien de la puissance publique. Voilà la véritable égalité des chances ! Faire des choix ! Donner plus à ceux qui n'ont pas ! C'est une cause nationale qui exige un effort massif et continu de toute la communauté nationale.

Mais l'argent, les moyens ne font pas tout. Notre société tout entière est en quête de repères, de normes. Elle ne sait plus transmettre ses valeurs. Elle peine à faire vivre sa diversité.

Nous pouvons concevoir toutes les lois contre le racisme, contre les discriminations, elles ne changeront pas les comportements tant que n'existera pas une volonté continue de les appliquer.

Il faut sanctionner durement les mairies qui n'appliquent pas la loi que nous avons votée et qui impose d'avoir au moins 20% de logements sociaux dans les villes. Il faut donner à l'école et aux profs l'autorité et la considération qu'impose leur mission d'éducateurs.

Il faut fonder un service civique universel pour tous les jeunes Français, garçons et filles, qui redonnerait un sens à la solidarité et au brassage social. Il n'est pas d'émancipation sans effort, de droits individuels sans des devoirs envers la collectivité.

Notre socialisme est une éthique de responsabilité, une exigence d'authenticité, un devoir d'exemplarité. Alors commençons-nous même par être exemplaires. En reflétant la diversité de notre Nation. En ayant l'ambition de porter devant elle un projet d'intérêt général.

La crise de notre Nation est globale. Comme en 1905, comme en 1936, comme en 1981, comme en 1997, c'est un nouveau contrat social qu'il nous faut construire, c'est une refondation républicaine qu'il nous faut accomplir.

Ses fondements sont l'égalité, la vérité, la responsabilité. Ayons la lucidité d'assumer certaines évidences. Oui il faut réhabiliter l'Etat. Non l'Etat ne peut pas tout. Non la loi ne fait pas tout. A continuer de le faire croire, nous dispersons l'action publique, nous la rendons opaque et impuissante, nous l'offrons en otage à tous les corporatismes. La société civile s'est affranchie. Reconnaissons lui toute sa place. Nouons avec elle un contrat de priorités. Négocions la responsabilité de chacun. Inventons les instruments d'un nouveau partage. Si nous ne voulons pas que la dérégulation emporte toutes les protections, si nous voulons réhabiliter l'action publique, alors c'est à nous socialistes de proposer un nouveau logiciel, de mettre la société en mouvement.

Ce compromis historique est tout le sens de notre adresse à la Nation. Lui offrir un contrat juste, simple et fort. Un contrat qui partage équitablement les gains et les efforts. Un contrat qui définit ce que sont les missions de l'Etat et ce qu'il délègue. Cette méthode du contrat n'est pas une compromission. Elle est au contraire la conviction que chacun peut devenir l'acteur des transformations sociales.

Oui on peut réussir le plein emploi. La stimulation du pouvoir d'achat, la fusion des contrats aidés, les emplois jeunes, la possibilité de cumuler indemnités chômage et salaire peuvent y contribuer.

Mais notre grand défi face à la mondialisation ne peut plus être d'accompagner la disparition des emplois d'hier. Il est de débloquer une dynamique de croissance à travers le passage à une société de la connaissance qui investit dans tous les domaines du futur, qui assure à chaque salarié le droit à une formation tout au long de sa vie. Là est là grande révolution du travail que nous proposons.

Oui on doit rétablir la compétitivité de notre économie. L'entreprise n'est pas notre ennemie. Elle est un partenaire vital. Mais les facilités qui lui sont octroyées ne pourront plus bénéficier aux seuls actionnaires ou aux scandaleuses rémunérations de certains de ses dirigeants. Elles doivent avoir leur contrepartie en augmentation des salaires, en investissements et en créations d'emplois.

Oui on peut rénover le code du travail. Mais à la condition d'offrir un nouveau bouclier aux salariés contre la précarité : la sécurité sociale professionnelle. A la condition aussi de renforcer la représentation syndicale et de lui reconnaître tout son poids dans la négociation collective.

Oui on doit programmer des investissements massifs pour l'éducation et la recherche. Mais ils ne pourront réussir sans que les professeurs, les parents d'élèves, les chercheurs s'investissent dans les changements à engager.

Oui on peut garantir des missions de service public en les transférant à des collectivités ou à des entreprises. Mais l'Etat doit rester le garant de la cohésion territoriale. Il doit demeurer le seul maître des grands secteurs vitaux comme l'électricité. EDF redeviendra sa propriété exclusive.

Oui on doit reprendre les réformes des retraites et de l'assurance maladie. La pérennisation de leur financement est la seule manière de sauver notre conception d'une protection sociale égale pour tous. Oui on peut offrir un logement décent à chaque famille. A la condition que l'Etat négocie un contrat avec les collectivités et les bailleurs afin que la construction de logements sociaux et intermédiaires doublent chaque année et que le coût du loyer n'excède pas ¼ du revenu des ménages.

Oui on doit abroger les baisses fiscales qui ne profitent qu'aux plus riches et dépouillent l'Etat. Nous avons à rebâtir un grand impôt sur le revenu plus progressif, plus simple et plus efficace qui favorise le travail plutôt que la rente, l'investissement plutôt que la concentration.

Oui on peut concilier la croissance et le développement durable. A la condition d'instituer une politique publique de l'environnement comme il en existe pour la santé. Mais aussi en permettant que l'Etat ainsi que le marché pénalisent les pratiques gaspilleuses ou polluantes.

Voilà dix engagements pour la France. Ils doivent être tenus. Ils seront tenus. Nous disons ce que nous ferons. Nous ferons ce que nous disons. Mais nous ne réussirons qu'avec la participation de chaque Français. Il faudra du temps, du courage, de la ténacité. Il faudra réhabiliter un Etat que la droite a grevé de dettes et de déficits. Des demandes, des revendications souvent légitimes ne pourront pas être satisfaites. Mais la promesse sur laquelle nous ne reculerons jamais est que chaque effort, chaque bénéfice, chaque progrès sera toujours équitablement partagé.

Le réformisme n'est pas la platitude. C'est une volonté d'airain de mettre la République en concordance avec elle-même.

Cette reconstruction nationale ne saurait faire passer la crise européenne par pertes et profits. Oui mes chers camarades l'Europe est en danger. Ses solidarités se délitent. Ses engagements se défont. Il n'est plus temps aujourd'hui de pleurer sur le lait renversé, de rechercher les responsabilités du Oui et du Non. Le traité constitutionnel est mort et la question institutionnelle enterrée pour longtemps. Je le regrette mais c'est ainsi.

L'urgence de l'Europe est de se reconnecter avec les peuples. De leur fabriquer du concret. L'augmentation du budget, un gouvernement économique de la zone euro, la mise en place de programmes de recherche, d'industrie, de défense, la coordination des politiques de sécurité et d'immigration peuvent être les leviers d'une reprise de confiance.

En tout état de cause, la relance politique de l'Europe ne viendra pas de nous seuls. Elle passe par une véritable unité des socialistes et des sociaux démocrates. Ne demandons plus à l'Europe de régler nos problèmes. Demandons-nous ce que nous pouvons faire pour régler les problèmes de l'Europe !

Mes chers camarades,

Nous avons trop souvent oublié que l'Histoire est une épreuve. Elle nous confronte aujourd'hui à un défi de société. Les difficultés de la République inclinent la droite à vouloir changer sa hiérarchie de valeurs. L'individualisme plutôt que la solidarité. L'enrichissement plutôt que le travail. La sélection plutôt que l'égalité. Le communautarisme plutôt que la laïcité. Ce combat des valeurs est le combat du siècle. Nous commettrions une grosse faute à le négliger ou à nous enfermer dans un musée des nostalgies.

Défendre l'égalité, ce n'est pas niveler. C'est établir un nouveau partage. Que vaut-il mieux ? Se résigner à l'échec scolaire en abaissant l'apprentissage à 14 ans comme le fait la droite ou bien limiter le nombre d'élèves à 15 dans les classes de ZEP comme nous le proposons. Instituer des universités payantes comme le souhaite l'UMP ou développer des filières d'accès à l'enseignement supérieur pour les élèves des quartiers populaires comme nous le proposons ? Sans ce rattrapage, l'égalité restera une chimère.

Défendre la laïcité, ce n'est pas nier les difficultés pour les musulmans de France de pratiquer leur culte, c'est préserver la liberté de conscience. Je le dis avec force. La loi de 1905 n'est pas négociable. Parce qu'elle est un rempart contre le communautarisme.

Mais il nous faut trouver les voies pour aider l'Islam des lumières, l'Islam de l'ouverture contre le repli intégriste. C'est aussi de cette manière que la laïcité protège la République !

Mes chers camarades,

Dix ans de mensonges, dix ans de déclin, le chiraquisme ça suffit !

Oublions l'obsession présidentielle. Retrouvons les vertus de l'engagement collectif. Assumons ce que nous sommes, des militants d'un socialisme réformiste. Nous devons être exemplaires dans nos comportements. Et d'abord celles et ceux qui aspirent à nous représenter aux plus hautes fonctions. C'est le sens du vote que les militants ont exprimé.

Je veux rendre hommage au premier d'entre eux, François Hollande qui, durant toutes les épreuves que nous avons traversées, a su préserver l'identité, l'unité et l'honneur de notre parti mais aussi le respect du vote des militants.

Nous avons tous la même exigence de rénover la République. Nous avons tous la même volonté de construire une gauche de solidarité et de vérité. Une gauche qui se confronte au monde tel qu'il est, qui concilie le possible et le souhaitable, qui partage les victoires comme les échecs.

2007 n'est pas écrit. Le désenchantement qui actuellement nous accompagne exprime une exigence, une espérance. Seul le Parti socialiste peut rassembler la gauche. Seul il peut la faire gagner. Non pour une simple alternance. Mais pour rendre meilleure la République. Pour redonner corps à ses valeurs. Pour construire un nouveau modèle français qui soit autre chose que la restauration conservatrice ou l'abdication devant les canons de l'ultra libéralisme mis en oeuvre par la droite.

Oui 2007 sera un choix de société. Elle sera la confrontation de deux visions, de deux modèles, de deux horizons différents.

Ce congrès, mes chers camarades, est un rendez vous avec l'Histoire et avec la Nation. Nous avons 100 ans. Bienvenue dans le socialisme du nouveau siècle, dans le socialisme de la renaissance !


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