On revient
à la situation d'avant Lang

Jean-Marc Ayrault

Entretien avec Jean-Marc Ayrault, président du groupe à l'Assemblée nationale, accordé au quotidien Libération daté du 13 décembre 2004
Propos recueillis par Emmanuel Davidenkoff et Elisabeth Lebovici


 

A l'heure où le débat politique est phagocyté par des querelles de personnes, pourquoi ramener la culture au premier plan ?
Justement parce que la culture n'est pas qu'un «supplément d'âme», mais la condition du développement et du renforcement du lien social. Le sujet rejoint l'Europe : je reviens de Vienne, en Autriche, où les maires des Eurocités tenaient leur assemblée générale. J'y ai constaté que les villes qui se régénèrent après avoir été soumises à des mutations profondes, le font grâce à leur vitalité culturelle. Bilbao, Glasgow, quelques métropoles des nouveaux pays adhérents...

La politique culturelle, pour une ville, ne consiste-t-elle pas trop souvent à monter des événements qui servent de vitrine à sa communication et à son tourisme ?
Il faut évidemment d'autres leviers d'action que les coups médiatiques : des villes imprégnées par le patrimoine de la social-démocratie, comme Amsterdam, Hambourg ou Vienne, ont énormément travaillé sur l'urbanité, une politique qui comprend tous les accès à la ville : la culture, mais aussi le logement... J'essaie de réfléchir à un projet global.

Vous pouvez prendre le problème dans tous les sens, la première question est celle des conditions d'accès à l'art et à la culture, donc de l'éducation. D'où ma colère, suite aux décisions successives du gouvernement Raffarin, à commencer par l'arrêt du plan Lang-Tasca pour l'éducation artistique, qui organisait la rencontre entre artistes, élèves et enseignants. Une des premières décisions de ce gouvernement a été d'amputer ce plan de 20 millions d'euros. Or, c'est l'une des meilleures façons de lutter concrètement contre les inégalités et de contribuer à l'émancipation sociale.

François Fillon prétend combattre ces inégalités à travers son projet de loi sur l'éducation. Qu'en pensez-vous ?
Sa vision est archaïque, réactionnaire et traditionnelle. C'est une erreur stratégique grave, qui condamne l'avenir. Au moment où la Cour des comptes sort un rapport qui montre l'échec du modèle français d'intégration, il est patent qu'il est central d'investir dans l'éducation. Ce n'est pas seulement une question de budget et cette problématique interroge la droite comme la gauche. L'avenir pour l'Europe, c'est l'accès à la connaissance.

A Nantes, comment s'incarne ce lien entre culture et éducation ?
Nous avons des événements forts, qui s'ancrent dans une politique à plus long terme. En musique par exemple, le succès de la Folle Journée de Nantes ne doit pas faire oublier que nous avons doublé en cinq ans le nombre d'abonnés à l'Orchestre des Pays de Loire et que, outre les conservatoires, on compte plus de 120 associations qui permettent de pratiquer et d'étudier la musique. Nous venons par ailleurs de fêter le centenaire de l'école régionale des beaux-arts, qui porte mal son nom puisqu'elle est financée à plus de 80 % par la ville, 18 % de son budget provenant de l'Etat. La création d'un « post-diplôme » (année de perfectionnement au-delà du diplôme terminal habituel) a permis de préparer l'inscription de l'école dans le processus d'harmonisation européenne des diplômes (le LMD) et de pousser l'idée d'une reconnaissance de l'artiste comme chercheur.

Cette qualité est très variablement reconnue suivant les établissements. Depuis des années, enseignants, théoriciens et étudiants protestent contre une disharmonie, qui devient d'autant plus flagrante lorsqu'elle complique les échanges en Europe...
On doit revoir le statut des écoles d'art, comme de leurs enseignants. Je suis par ailleurs très inquiet : le processus d'harmonisation européen se heurte au désengagement financier de l'Etat. L'excellence a un coût. Or les collectivités locales sont asphyxiées par des charges toujours plus importantes. Le renouveau culturel est porté par les villes. Mais décentraliser ne doit pas être pour l'Etat juste une manière de renvoyer des charges sur les contribuables locaux. Pour autant, je reste un décentralisateur : je pense que la bataille politique doit être menée au niveau des municipalités, comme le montre l'exemple de tant de villes en Europe. On est en train de revenir à la situation d'avant les années Lang. C'est dramatique. Il faut réhabiliter la culture et sa capacité à transformer la société.

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