Notre politique avait perdu en lisibilité



Entretien avec Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée,
paru dans le quotidien Libération daté du jeudi 30 mai 2002.
Propos recueillis par Éric Aeschimann


 

La gauche peut-elle gagner les législatives ?
Je crains que la grande mobilisation des manifestations du 1er mai et du deuxième tour de la présidentielle ne retombe. Le risque est fort que l'extrême droite réalise encore un score élevé et que, par le fait de la dispersion des candidatures, la mécanique du 21 avril joue à nouveau. C'est pourquoi je lance un appel à voter utile dès le premier tour à tous les électeurs de gauche.

Une cure d'opposition n'aurait-elle pas des vertus pour le PS ?
Dire cela est une attitude égoïste. Cela reviendrait à abandonner les millions de Français qui sont dans la difficulté. Or, avec Raffarin, la droite endort la France d'en bas pour mieux satisfaire la France d'en haut, comme on le voit avec la baisse de l'impôt sur le revenu. C'est une droite conservatrice et revancharde, qui le sera d'autant plus qu'elle sera tentée, entre les deux tours, de courir après le FN. Certains députés n'auront pas d'états d'âme pour passer des accords locaux avec lui.

François Fillon vient d'affirmer qu'une nouvelle cohabitation signerait la fin de la République...
Que n'a-t-il demandé la démission de Chirac en 1997 après l'échec de la dissolution ? La gauche a défendu l'intérêt général le 5 mai. Si nous gagnons, ce sera dans le même esprit. Nous ne provoquerons pas de crise politique. Nous gouvernerons dans le respect des institutions. Si la droite gagne, c'est une crise sociale qui menacera la France, parce qu'elle ne pourra pas tenir les promesses contradictoires de Chirac et qu'elle défend une politique inégalitaire en faveur des «créateurs de richesses» au détriment des autres.

Quelles leçons tirez-vous du 21 avril ?
Nous devons assumer ce que nous avons fait avec Lionel Jospin, dont le bilan et l'intégrité restent notre référence. Mais, dans la dernière période, notre politique a perdu de sa lisibilité. Nous devons construire un projet collectif en fixant comme premier objectif la reconquête de l'esprit public, mis à mal par l'insécurité mais aussi par les pratiques politiques de Jacques Chirac...

... et par la poussée des revendications corporatistes, auxquelles le gouvernement et la majorité n'ont pas toujours résisté ?
Oui, sans doute, cela a joué... Sur l'insécurité, il faut dire clairement que la responsabilité individuelle existe et que les actes délictueux appellent des sanctions. Mais on ne sortira durablement de ce problème qu'en mettant aussi le paquet sur la politique d'intégration et sur le civisme. Le ministère de la Ville devrait être l'un des trois principaux ministères d'un gouvernement de gauche. J'ajoute trois autres priorités. D'abord, redonner de l'espoir aux couches populaires, éclatées entre salariés protégés par des statuts ou des conventions collectives favorables et salariés précaires. C'est-à-dire se battre contre les bas salaires, la précarité et les conditions de travail dégradées. Il faut ensuite créer les conditions d'un grand compromis historique Etat-patronat-syndicats pour engager les réformes indispensables (formation, retraites, pouvoir d'achat, démocratie sociale, Sécurité sociale). S'il y a blocage, le gouvernement devra prendre ses responsabilités ; y compris par le référendum, pour les retraites par exemple. Enfin, il faut redistribuer les pouvoirs vers les régions et les communes.

Dans cette optique, quelle est la marche à suivre pour le PS ?
Tenir un congrès cet automne serait ridicule : ce ne serait qu'un jeu d'appareil. Nous devons ouvrir une large discussion, avec militants, syndicats, associations, à l'image des Assises du socialisme de 1974 ou des états généraux du PS de 1993. Le PS doit aussi prendre l'initiative d'états généraux de la gauche européenne, car toute la social-démocratie européenne est en crise. Pour éviter les replis chauvins, il faut bâtir un projet eu ropéen qui offre une alternative à la mondialisation libérale.

Qui sera Premier ministre si la gauche l'emporte ?
François Hollande mène la campagne. Si nous gagnons, le Président l'appellera et il gouvernera. C'est la logique politique et institutionnelle.

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