Les vraies raisons du rejet du Pacs



Point de vue signé par Jean-Marc Ayrault, député maire de Nantes, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale., paru dans le quotidien Libération daté du mercredi 4 novembre 1998


 
Le rejet, le 9 octobre, de la proposition de loi instaurant un pacte commun de solidarité a suscité de nombreux commentaires : ils tournent autour de deux questions: le groupe socialiste voulait-il vraiment de ce texte ? Le groupe socialiste est-il bien présidé ?

On a posé également, à cette occasion, une troisième question : pourquoi, depuis un an, à trois ou quatre reprises, les députés de la majorité se sont-ils retrouvés en minorité en séance publique ?

Je ne suis pas, aujourd'hui, en situation de traiter les deux premières interrogations.

Pour la première, il faudra bien, le jour venu, écrire la vraie histoire du cheminement du Pacs: maintenant, il est à la fois trop tard et trop tôt.

Pour la deuxième, après l'avalanche de petites phrases assassines, le plus souvent anonymes; après les fausses et vraies confidences des « entourages » ou des « proches de... », je ne dirai que deux choses : attribuer le résultat du vote du 9 octobre au fonctionnement administratif du groupe socialiste relève du mauvais procès, fruit de la mauvaise conscience. Cela dit, les attaques contre la présidence du groupe posent, par la diversité de leurs origines, la question de la gestion politique de la majorité dite «jospiniste». Il faut donc rapidement clarifier les choses. Comme cette mise au net n'est pas encore intervenue, je ne veux rien ajouter au climat de méfiance qui prévaut désormais : « Tout ce qui peut être dit peut être dit clairement, et tout ce dont on ne peut parler, il faut le taire. »

Par contre, président du groupe sur lequel repose la responsabilité principale d'assurer, dans sa dimension législative, la politique du gouvernement, je me sens libre de m'exprimer sur la question de la présence des députés socialistes en séance publique.

Pour la clarté des choses, levons l'hypothèque qui pèse sur cette querelle de l'absentéisme, à savoir le cumul des mandats.

Si l'on pense que limiter la capacité de détenir d'autres mandats que celui de député peut résoudre à la fois les difficultés inhérentes aux fonctions institutionnelles du député et l'absentéisme en séance publique, on se trompe.

Ce qui donne son sens à la réforme sur le non-cumul des mandats, que j'ai soutenue en première lecture, c'est une nouvelle étape, décisive, de la décentralisation. J'ai appelé et je continue d'appeler de mes vœux une nouvelle grande loi Defferre.

Qu'en même temps l'on estime que le travail parlementaire sera mieux fait, grâce à des emplois du temps moins chargés, on peut le soutenir. Mais rien ne fera que le député puisse passer toute sa semaine à l'Assemblée. En effet, le député ne peut exercer les fonctions qui lui sont dévolues par la Constitution que s'il garde un contact étroit avec les citoyens. Pour cela, il doit les rencontrer. C'est ainsi qu'il peut ne pas être entre les mains de la technocratie et, en même temps, sentir battre le pouls du pays, donc, bien légiférer. Pour ce faire, il faut qu'il soit fréquemment dans sa circonscription, et - c'est l'évidence - de préférence les jours ouvrables.

Il faut donc, sauf cas d'extrême et gravissime urgence, que l'Assemblée ne siège que trois jours par semaine. Ce qui est encore loin d'être le cas.

Dans cet effort de clarification, distinguons le travail parlementaire de la présence en séance publique.

Tout d'abord, le député, en dehors de sa fonction de législateur, se doit de contrôler l'exécutif: cela demande du temps et une compétence affirmée. De même, la préparation du débat législatif en séance nécessite à la fois elle aussi temps et compétence. Du temps au sein des groupes politiques, en commission, pour entendre ceux qui peuvent éclairer l'étude d'un projet. Il faut aussi se spécialiser: qui peut prétendre être pertinent à la fois sur tout ? Ce principe indispensable de spécialisation conduit à faire confiance, au sein de chaque groupe parlementaire, à ceux qui s'investissent dans tel domaine ou tel autre : Le projet, quand il arrive au stade de la séance publique, a été décanté par un petit nombre de députés, et arbitré sur les points essentiels en réunion de groupe : la séance publique n'est que le moment ultime où législateur et gouvernement confrontent leurs points de vue en connaissance de cause.

Le caractère souvent formel de la séance publique, où finalement le gouvernement, sa majorité et l'opposition se confrontent publiquement sur quelques questions centrales, a été décrit de nombreuses fois ; de nombreuses fois également des solutions pour alléger la séance publique ont été esquissées. Elles ont toutes été rapidement abandonnées, faute d'un consensus recherché entre tous les groupes parlementaires. En effet, ce consensus est impossible à trouver parce que les uns se projettent dans le moment où ils seront à nouveau dans l'opposition; les autres parce qu'ils sont dans l'opposition.

Les débats en séance publique sont tellement austères, sauf pour les spécialistes qui s'y affrontent avec talent, que l'opposition y recherche l'incident qui soudain réveille les journalistes et nourrit les papiers du lendemain.

Quel événement lorsque la minorité devient, le temps d'une heure ou d'une séance, physiquement majoritaire !

En plus, tout cela a l'attrait de la nouveauté: c'est que de tels épisodes ne pouvaient advenir lorsque les demandes de scrutin public permettaient, par convention tacite entre les groupes, aux députés présents de voter à la place de leurs collègues absents. Loin de moi, bien sûr, l'idée de proposer le retour au système des «clés». Mais cette application (presque) stricte du vote personnel a de fait non pas restauré la majesté du vote mais imposé une présence inutile et coûteuse en temps aux députés de la majorité, réduits à un rôle de figurants pendant toute la durée de l'examen des textes.

Ces interminables épisodes sont par ailleurs facilités par le règlement de l'Assemblée, qui permet de désorganiser les débats grâce aux motions de procédure sans limitation de temps de parole et à l'avalanche d'amendements répétitifs.

Cela s'appelle le filibuste ring. Le filibuste ring n'est pas lié à la démocratie parlementaire, il en est la maladie infantile. Il dessert la fonction législative. Le fait que certains de mes prédécesseurs se soient laissés aller à l'organiser lorsque nous étions dans l'opposition n'implique pas que je les comprenne ; encore moins que je les approuve.

Ainsi, par des techniques rustiques, l'opposition peut-elle ralentir l'adoption des textes et réussir quelques « coups » en envoyant pour quelques heures des commandos de députés mobilisés brièvement.

Ainsi, l'Assemblée nationale fonctionne mal. Et cela nourrit l'antiparlementarisme. Je comprends que les députés socialistes se lassent de voir leurs emplois du temps bouleversés par l'anticipation de ces moments d'embuscade ou par l'étirement des débats: cette situation entrave le bon exercice de leur mandat.

L'opposition ne renoncera pas, non à ses droits, mais à son harcèlement: c'est ce qu'on fait quand on n'a rien à dire.

La majorité voudra-t-elle, non diminuer la nécessaire expression de l'opposition, mais instaurer les conditions d'un fonctionnement normal et plus moderne du débat législatif ?

Et, soudain, je ne suis pas sûr de la réponse.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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