Marées noires,
ras le bol !

Jean-Marc Ayrault

Jean-Marc Ayrault, Député-maire de Nantes.


Point de vue paru dans le quotidien Le Figaro daté du jeudi 21 novembre 2002
 
C'est à croire que l'histoire aime à se répéter surtout lorsqu'elle est tragique ! Il y aura trois ans dans quelques semaines, l'Erika déversait sur les côtes atlantiques des tonnes de fioul. La même scène est aujourd'hui en train de se reproduire en Galice, avec le pétrolier Prestige, un navire vieux de 26 ans, battant pavillon de complaisance, champion des échappatoires en ce qui concerne les contrôles maritimes.

En d'autres termes, les leçons de l'Erika n'ont pas été tirées.

Car c'est trop facile d'invoquer la malchance. Ou les mauvaises conditions météo. Ce qui s'est passé sur nos côtes avec l'Erika, ce qui se passe actuellement en Espagne avec le Prestige est le résultat d'une logique sauvage, dans laquelle les moins disants au plan financier travaillent pour le plus grand bénéfice des moins regardants au plan moral. Résultat : ce sont, une fois de plus, les régions maritimes de l'Atlantique qui font les frais de ce marché de dupes.

Je ne crois pas me tromper en affirmant que je me fais l'interprète des 57 millions d'habitants de l'Arc atlantique qui, du Portugal à l'Irlande, en ont assez de voir leurs côtes souillées à intervalles réguliers, comme s'il s'agissait d'un triste rituel dont les conséquences ne sont que trop connues : des journées et des journées pour ramasser le pétrole, des semaines qui n'en finissent pas pour nettoyer plages et rochers, des mois et parfois plus pour rétablir une activité économique sérieusement perturbée, des années pour regagner la confiance des touristes, encore plus de temps pour tenter de réparer les dégâts causés à la flore et à la faune marines...

Trop, c'est trop ! Il faut en finir avec les armateurs cyniques, les affréteurs sans scrupule, les sociétés de classification fuyant leurs responsabilités. Et en finir vite ! C'est-à-dire, en finir aussi avec les tergiversations européennes concernant la mise en œuvre d'une des décisions prises en 2000, sous la présidence française : la création d'une Agence européenne de sécurité maritime. Tout le monde est en principe d'accord sur sa création. Il est même question de l'installer provisoirement à Bruxelles.

Pourquoi provisoirement ? Parce que les États européens n'arrivent pas à se mettre d'accord sur sa localisation. Est-ce cela l'ambition européenne ? Et la France ? Ne doit-elle pas aujourd'hui intervenir avec détermination auprès des États européens pour leur rappeler qu'elle a avancé la candidature de Nantes-Saint-Nazaire, avec l'appui de la communauté maritime française, des chercheurs et des décideurs économiques travaillant dans ce secteur. Les acteurs européens, qui n'hésitent pas à faire appel à notre pays chaque fois qu'il s'agit de lutter contre les conséquences des marées noires, comme c'est encore le cas aujourd'hui avec le Prestige, seraient bien inspirés de prendre des décisions fermes et définitives.

Ici, nous savons – hélas ! – ce que veut dire le terme de « marée noire ». Avant celui de l'Erika, nous avons eu droit au pétrole du Torrey Canyon, à celui de l'Amoco Cadiz, à celui du Bohlen... Nous avons fait face. Non seulement, Bretons et habitants des Pays de la Loire se sont donné la main pour réparer les dégâts, mais des compétences ont vu le jour qui rendent aujourd'hui naturelle la candidature française pour l'implantation de l'Agence européenne de sécurité maritime. Mobilisée, la métropole Nantes-Saint-Nazaire peut dès demain accueillir l'agence. Outre que ses membres trouveront ici un cadre de vie susceptible de répondre à leurs attentes et des bureaux disponibles, ne sommes-nous pas à quelques encablures de cet océan qui nous préoccupe tant, au cœur géographique de cet Arc atlantique exposé en permanence aux risques maritimes ?

Mais peut-être faut-il de nouveaux Erika, de nouveaux Prestige, de nouveaux Torrey Canyon, de nouveaux Amoco Cadiz, de nouveaux Bohlen pour convaincre Bruxelles de l'urgence de la situation... sans parler du Tanio ou du Ievoli Sun !

Les anniversaires sont souvent l'occasion de se lamenter sur des drames. Si celui de l'Erika était marqué par un acte positif, le geste serait apprécié des habitants de l'Ouest atlantique, pour lesquels ce ne serait qu'un juste retour des choses...

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