Ne votez pas contre la France !



Point de vue de Robert Badinter, , ancien président du Conseil constitutionnel, paru dans Le Nouvel Observateur daté du 25 mai 2005


 
La vérité est simple : le traité constitutionnel est nettement préférable au traité de Nice qui nous régit actuellement. Or tel est le véritable enjeu du référendum et la question posée devrait être : « Préférez-vous le projet de traité constitutionnel à l’actuel traité de Nice ? »

Le traité constitutionnel marque d’indiscutables avancées. Les institutions de l’Union seront plus démocratiques grâce au renforcement des pouvoirs du Parlement européen et au droit de pétition collective reconnu aux citoyens européens. Elles seront plus efficaces, notamment par l’extension du domaine des décisions prises par le Conseil à la majorité qualifiée et non plus à l’unanimité. La présence de l’Union sur la scène internationale sera renforcée par la création d’un président du Conseil européen élu pour deux ans et demi et d’un ministre des Affaires étrangères qui s’exprimera au nom de l’Union tout entière. Les Parlements nationaux pourront veiller au respect du principe de subsidiarité, c’est-à-dire à la sauvegarde de leurs compétences nationales. Et, s’agissant de la France, son influence sera accrue au sein du Conseil, l’exception culturelle préservée, les services publics reconnus.

Je pourrais énumérer d’autres progrès. Mais je veux insister sur un sujet qui me tient à cœur : la Charte des Droits fondamentaux des Citoyens européens. Elle sera intégrée dans la Constitution et revêtira force juridique. Dorénavant tous les actes de l’Union devront respecter ces droits fondamentaux et les citoyens européens auront le pouvoir de faire annuler en justice les dispositions contraires. Garantie essentielle pour chacun d’entre nous et instrument efficace de progrès social. Car les droits sociaux inscrits dans la Charte - notamment l’égalité hommes-femmes, la liberté syndicale, le droit de grève et la négociation collective, la protection contre les licenciements injustifiés, les droits des personnes handicapées - feront l’objet de décisions de la Cour de Justice de Luxembourg. Et grâce à sa jurisprudence, le droit social commun de l’Union européenne se développera. La Confédération européenne des Syndicats ne s’y est pas trompée, qui appelle à ratifier le traité qualifié par elle de « seul grand instrument dont on dispose pour progresser vers une Europe plus sociale ».

Les adversaires du traité invoquent, à cet égard, les dispositions de la partie III du traité qui reprennent les règles des traités existants, notamment en matière de concurrence. Ils y voient l’expression d’une conception « ultralibérale » de l’économie, qu’ils refusent au nom du progrès social. Or ce traité énonce comme objectif de l’Union une « économie sociale de marché ». Cette seule référence doit faire frissonner les champions de l’orthodoxie libérale !

Mais l’essentiel, à l’heure du vote, est ailleurs. Toutes les dispositions de la partie III du traité existent déjà dans les traités actuels. Or, si le non l’emporte, ces traités ne seront pas abrogés. Ils continueront à régir l’Union. Ce qui disparaîtra, ce sont les avancées institutionnelles et la garantie des droits fondamentaux, notamment sociaux, que le nouveau texte apporte.

Ainsi, paradoxalement, les compagnons du non proposent de rejeter les progrès qu’apporte le traité et de conserver en vigueur les dispositions qu’ils dénoncent.

Pour masquer cette contradiction, les partisans du non avancent un pari politique : « Si les Français disent non, la négociation reprendra avec nos partenaires et nous obtiendrons un nouveau traité conforme à nos vues. » Quelle illusion ! A supposer que la discussion reprenne au Conseil européen, sur quelles bases négocierons-nous avec les autres gouvernements de l’Union ? Il n’existe aucun accord, aucun programme commun des partisans du non. En vérité, tout oppose M. Le Pen à Mme Buffet et M. de Villiers à M. Besancenot. Quant au non de certains socialistes français, où trouverait-il un écho dans l’Union européenne, quand tous les partis socialistes européens se sont prononcés pour le oui à la Constitution ?

La construction de l’Union européenne est la grande entreprise des Européens depuis quarante ans. Dans le regard admiratif que posent sur l’Union les citoyens du monde, elle apparaît comme une grande réussite. Les Européens ont su briser le cours d’une Histoire tragique. Ils ont substitué le règne du droit à celui de la force, réalisé un espace commun de libertés mieux protégé que partout ailleurs.

L’Union s’est révélée source de progrès et de prospérité pour chacun des Etats membres. Pourquoi interrompre cette marche en avant ? Au contraire, dès le traité constitutionnel ratifié, il faudra repartir vers de nouveaux horizons européens: la recherche, l’éducation, la culture, la sauvegarde de l’environnement, l’aide aux pays en développement. Pour les jeunes Français, il n’est d’avenir qu’européen. Ne cédons pas à la tentation du refus, du repli ou de la crise qui ne servirait qu’aux adversaires de l’Union européenne. La France - et c’est son vrai titre de gloire depuis un demi-siècle - a toujours été à l’avant-garde de la construction européenne. Un non des Français au traité constitutionnel, qu’elle a voulu et signé, pèserait lourd au sein de l’Union, mais contre elle. Puissent les citoyens tentés par le non y penser au moment du vote et nous rejoindre dans le camp de l’avenir.
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