Un « non » du PS est impensable



 Entretien avec Robert Badinter, ancien président du Conseil constitutionnel, paru dan le journal Ouest France daté du 30 septembre 2004
 Propos recueillis par Roland Godefroy


 

Quelle appréciation portez-vous sur la Constitution européenne qui divise tant les socialistes ?
Le terme de Constitution adopté par la Convention pour magnifier son œuvre est impropre. Si c’était une Constitution, au sens où nous l’entendons en France, l’Europe aurait élu une Assemblée constituante chargée d’élaborer et de voter une Constitution. En réalité, nous avons affaire à un traité. C’est-à-dire à un accord entre des États européens, signé par leurs gouvernements, qui va être soumis maintenant à des ratifications dans chaque État. Ce sera le traité de Bruxelles, après celui de Maastricht (1992), Amsterdam (1997), Nice (2002). En attendant un nouveau traité, dans quelques années, quand on aura mesuré les insuffisances de celui-ci. Un traité européen, ce n’est pas gravé dans le marbre !

Mais il faudra maintenant l’unanimité des 25...
On aurait pu concevoir une clause de révision plus souple. Nous l’avons proposé à la convention. En vain. Mais regardons tous les traités européens déjà signés. À l’unanimité. Ils se sont succédé les uns aux autres. Il n’en ira pas différemment de celui-là.

Cela précisé, comment jugez-vous ce traité ?
Comme tous les traités européens, il est le fruit de concessions réciproques, et il s’en ressent. Mais il ne mérite pas l’excès de critiques dont certains l’accablent. Quand on le regarde avec autant d’objectivité que possible, il faut bien admettre qu’il constitue un progrès par rapport au traité de Nice qui régit l’Europe aujourd’hui.

Dans quels domaines ?
Il se compose, pour l’essentiel, de trois parties. Sur la première, consacrée aux institutions, tout le monde reconnaît qu’il entérine des progrès. Citons l’extension de la codécision, l’accroissement des pouvoirs du Parlement européen, la création d’un président du Conseil européen et d’un ministre des Affaires étrangères de l’Union. Ce n’est pas l’idéal d’une fédération européenne dont rêvent les Européens les plus convaincus dont je suis. Mais, incontestablement, c’est mieux que les dispositions actuelles. Alors pourquoi s’en priver ?

Quel est votre sentiment sur la partie consacrée à la Charte des droits fondamentaux ?
Elle est essentielle à mes yeux puisque c’est elle qui proclame les valeurs fondatrices de l’Union européenne. La Charte existait déjà, mais comme une simple référence sans portée juridique. Aujourd’hui, avec ce traité, elles prennent une valeur normative. Tout citoyen européen pourra s’en réclamer et exiger que la législation communautaire respecte ses droits fondamentaux, notamment dans le domaine social. C’est une avancée qui justifie, à elle seule, que l’on ratifie le traité.

Reste la troisième partie...
On a recopié les traités existants en leur apportant de très légères améliorations. Que l’on n’ait pas réussi à aller plus loin, je le regrette. Mais ce n’est pas une raison pour rejeter l’ensemble du Traité. Cela ne serait pas raisonnable.

Mais certains socialistes estiment que le libéralisme est inscrit dans cette Constitution...
Je les renvoie au texte. L’Union européenne se donne pour objectif le développement durable, celui-ci se fondant « sur une économie sociale de marché visant le plein emploi et le progrès social ». C’est la définition même de la social-démocratie ! On y parle aussi de justice, d’égalité, de protection sociale, de solidarité entre générations. Les services publics font l’objet d’une reconnaissance.

Vous ne trouvez pas incongru, finalement, que l’on questionne les Français sur la Constitution alors que l’on ne les a pas consultés sur l’élargissement ?
Avoir fait l’élargissement sans avoir terminé l’œuvre d’approfondissement des institutions est une erreur historique. Pour rester sur l’élargissement, j’ajoute que le « oui » à la Constitution n’implique pas un « oui » à l’entrée de la Turquie, qui pose un problème particulier.

Comment jugez-vous le débat actuel au sein du PS ?
Il faut mener le débat dans les sections, les fédérations. C’est légitime. Mais avec ce référendum, je souhaite que l’on arrive à un consensus au sein du PS, à une formule qui recueille l’assentiment général. Il faut bien mesurer que ce n’est pas ce présent traité qui, en France, pourrait empêcher un gouvernement de gauche de mener une politique de progrès social. De même au plan européen, à la condition que la gauche y soit majoritaire. Alors pourquoi dire « non » ?

Imaginons que le PS décide quand même de dire « non »... ?
Comment imaginer que le PS français se trouve du même côté que les conservateurs britanniques et en opposition frontale avec les autres partis socialistes européens ? C’est pour moi impensable.

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