L'été de tous les dangers



par Jean-Pierre Balligand, député de l'Aisne, membre de la Commission des finances.

Tribune parue dans les pages " Rebonds " du quotidien Libération daté du 24 juillet 2003


 
Cet été, malgré la canicule, il va falloir lutter contre l'assoupissement pour ne pas rater l'heure des grandes manœuvres...

Le gouvernement est pris en tenailles entre le constat d'une fin de session politiquement explosive (bataille des retraites, « non » corse, fronde des intermittents du spectacle) et la perspective d'une rentrée désastreuse. Les chiffres qui s'accumulent sur les bureaux du Premier ministre et du ministre de l'Economie prédisent un automne sinistre pour les comptes de l'Etat, pour le chômage, pour la production industrielle, pour la consommation.

Les données sont là : baisse des recettes de l'impôt sur les sociétés, recul (rarissime) des rentrées de TVA (- 0,7 % par rapport à 2002), les recettes fiscales ont déjà diminué de 7,4 % en un an. L'Insee table sur une croissance française de 0,8 % (contre 2,5 % dans le projet de loi de finances pour 2003) ; le déficit budgétaire pourrait dépasser 4 % du PIB en 2003 ; les caisses de l'Etat se sont vidées de 9 milliards d'euros par rapport à l'an dernier. Le gouvernement se targue d'une progression limitée à 1,4 % sur cinq mois des dépenses du budget général, mais il oublie de rappeler que ce résultat a été obtenu au prix de 4 milliards d'euros de gel et de 1,4 milliard d'euros d'annulation pure et simple de crédits votés en 2002.

Les institutions de contrôle sont en alerte : la Commission européenne, qui a engagé dans les règles une procédure pour « déficit public excessif » contre la France ; la Cour des comptes, qui, dans son rapport sur l'exécution du budget, stigmatise la baisse non financée des impôts et le choix contestable des hypothèses économiques ; le Conseil économique et social, qui, dans un récent avis, déplore l'absence d'une politique d'investissement et de croissance. Le tableau ne serait pas complet si l'on omettait le niveau exceptionnel de l'épargne administrée (2 milliards d'euros placés sur le livret A depuis le 1er janvier 2003), signe supplémentaire que la peur de lendemains qui déchantent hante les esprits de nos concitoyens.

Le Premier ministre, qui construit péniblement son budget pour 2004, est confronté à une quadrature du cercle : relancer la croissance en soutenant financièrement l'économie, alors que les caisses de l'Etat sont plus que vides ; instaurer la rigueur, donc diminuer les dépenses publiques et accroître les rentrées fiscales, alors que le chef de l'Etat s'est engagé à une diminution de 30 % des impôts. Ironie du calendrier, à l'heure où il généralise une procédure de redressement personnel pour les particuliers, le gouvernement a un besoin pressant de liquidités pour boucler une fin d'année qui s'annonce difficile : entre 15 et 20 milliards d'euros seraient nécessaires pour éviter à la France de connaître une faillite budgétaire.

Après avoir grappillé quelques millions sur le dos des plus pauvres, des plus faibles ou des plus dépendants (déremboursement de médicaments, restrictions à l'Aide médicale d'Etat, hausse de la contribution des bénéficiaires de l'APA) ­ tout en gratifiant dans le même temps 1 % des foyers les plus riches de 31 % des baisses d'impôts consenties ­ le gouvernement a décidé de s'attaquer aux choses « sérieuses ». Et les choses sérieuses dans ce domaine, ce sont les privatisations ­ même si elles exigent dans les faits de subtils ajustements budgétaires, puisque leur produit est versé sur un compte d'affectation spéciale et pas directement au budget de l'Etat.

Les entreprises publiques font aujourd'hui rêver Jean-Pierre Raffarin, comme les volailles insolemment dodues font rêver la petite fille aux allumettes. La trêve parlementaire estivale est une occasion inespérée pour lui de donner libre cours à un ultralibéralisme rampant. France Télécom, EDF, GDF, Air France, Caisse des dépôts et consignations : les bruits du marché se font de plus en plus insistants et il n'est pas un jour sans que les médias rapportent le projet d'une nouvelle opération.

Sur la forme, organiser cette « transhumance » en plein été présente d'indéniables avantages : les syndicalistes sourcilleux sont ou seront bientôt en vacances et le Parlement, avec son président trop scrupuleux et sa majorité sans doute trop bavarde, sera réduit au silence pendant plus de deux mois.

Sur le fond, la tâche a été confiée depuis plusieurs mois à quelques fidèles, réunis au sein d'une commission d'enquête alibi sur la situation financière des entreprises publiques, de prôner « en toute objectivité » des ouvertures capitalistiques susceptibles de « guérir » les entreprises publiques de leurs « faiblesses congénitales ». Des faiblesses dont n'auraient pas souffert naturellement des sociétés comme Vivendi ou Metaleurop, qui n'ont donc pas eu droit aux mêmes faveurs parlementaires... Signe concordant, la loi de sécurité financière elle-même, qui leur était pourtant destinée, est allée bien en deçà des préconisations des ténors de la place dénonçant la crise actuelle du capitalisme et incitant à une plus grande régulation.

Rendu public le 15 juillet, le rapport de la commission d'enquête n'est d'ailleurs pas à un paradoxe près dans son réquisitoire contre les entreprises publiques, que ce soit lorsqu'il accuse EDF d'avoir suivi une croissance externe ambitieuse et qu'il reproche à La Poste de ne pas l'avoir fait, ou lorsqu'il cite conjointement, au nombre des rigidités structurelles auxquelles elles ont à faire face, le poids « exorbitant » de leur masse salariale et la trop faible rémunération de leurs dirigeants.

Le gouvernement est dans l'obligation de se précipiter : le temps, qui passe trop vite, et les procédures, toujours trop longues, ne sont pas ses alliés. C'est donc dans l'impréparation la plus totale que le patrimoine de l'Etat sera livré à des marchés boursiers atones, où il court le risque d'être sous-valorisé et, donc, bradé. N'y cherchez pas la trace de la politique industrielle de long terme que le précédent gouvernement avait su construire : une politique pensée à l'échelle européenne, bâtie sur une véritable coopération et conciliant compétitivité économique et sécurité professionnelle. Là où la gauche a démontré qu'elle était apte à gérer le patrimoine de l'Etat, la droite s'apprête cet été à commettre un véritable hold-up.
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