L'ivresse des sondages


Point de vue signé par Ambition socialiste qui réunit, entre autres, Jean-Pierre Balligand, député de l'Aisne, Didier Migaud, député de l'Isère, Paul Quilès, député du Tarn, et André Laignel, Marie-Noëlle Lienemann, députés européens, paru dans le quotidien Libération daté du 9 mai 2006




Jean-Pierre
Balligand



André
Laignel



Marie-Noëlle
Lienemann



Didier
Migaud



Paul Quilès



S'il est d'usage que les « faiseurs d'opinion » empiètent sur le champ politique, il est moins fréquent que des responsables politiques s'expriment publiquement sur les conséquences des sondages dits « d'opinion » dans la structuration du débat politique. «La fonction fait l'homme», a-t-on coutume de dire. Quand on mesure l'évolution de la popularité des femmes et des hommes politiques à l'aune de leur participation à l'exécutif, force est de constater que, le plus souvent, « la fonction fait l'opinion ». Souvenons-nous de ce sénateur du Poitou qui, du jour au lendemain, fut propulsé à la tête de l'exécutif, à la une des journaux et au sommet de baromètres de popularité dont il avait toujours été absent ­ ce qui ne lui a pas évité de perdre, dans des proportions historiques, tous les scrutins qui se sont déroulés sous son mandat...

S'il fallait trouver une constante dans les rapports entre la réalité politique et la vision que tentent d'en donner les sondages d'opinion, c'est que toutes les personnalités ont vu leur cote dopée dès qu'elles ont accédé à des fonctions importantes. Certains, malgré ou grâce à la politique qu'ils ont menée, ont réussi à maintenir longtemps cette cote de popularité à un niveau élevé. Ce fut le cas d'Edouard Balladur ou, plus durablement encore, de Lionel Jospin, même si ­ nouveau paradoxe ­ cela n'a pas empêché ces personnalités d'être exclues du second tour de l'élection présidentielle. Jacques Chirac, a contrario, a pu être réélu en mai 2002 à la présidence de la République, au moment même où il atteignait le point de sa «cote de confiance» le plus bas de sa mandature... Un deuxième constat s'impose donc : si la popularité accompagne l'accession au pouvoir, la popularité ne garantit pas l'élection.

La plupart des personnalités subissent, rapidement après leur prise de fonctions, une forte érosion de leur cote de popularité. Ce fut particulièrement le cas d'Alain Juppé. Sur seize années d'enquêtes TNS-Sofres, la cote du président du RPR n'a jamais dépassé 40 % dans les sondages, sauf au cours des six mois qui ont entouré sa nomination à Matignon : deux mois avant sa prise de fonctions et quatre mois après. Quant à Jean-Pierre Raffarin, dont la communication était pourtant le métier historique, il aura réussi à égaler en fin de mandat le record d'impopularité détenu avant lui par Edith Cresson... C'est sans doute, pour ces hommes et femmes de pouvoir, la conséquence du caractère artificiellement élevé de leur popularité peu après leur nomination.

Pour ce qui est de Dominique de Villepin, le caractère «dopant» de son accession à Matignon a manifestement fait long feu. Personne ne peut sérieusement prétendre que les Français auraient changé d'avis sur les politiques libérales entre le vote du 29 mai 2005 sur le projet de Constitution européenne et les manifestations récentes contre le CPE. Pourtant, la cote de popularité du Premier ministre a subitement augmenté de 50 % au moment de sa nomination ­ intervenue deux jours après le referendum ­ avant de connaître la dégradation que l'on sait... Un troisième constat peut par conséquent être dressé : ce n'est peut-être pas l'opinion qui est versatile, mais les sondages dits d'opinion qui sont volatils.

Risquons-nous à une explication, s'agissant de M. de Villepin. Les médias ont commencé par mettre en valeur son lyrisme, sa chevelure flamboyante, son torse athlétique, son sex-appeal même, auquel, nous disait-on, les femmes n'étaient pas insensibles... Autant d'éléments qui ont ajouté une image glamour à la stature du diplomate engagé. Depuis, par un violent effet boomerang fréquent dans les médias, le Premier ministre est décrit à l'envi comme un homme fermé au dialogue, hautain, impatient, voire emporté...

Les variations d'une cote de popularité ne traduisent sans doute rien d'autre que la réaction des sondé(e)s à l'image qu'on leur donne à voir des acteurs politiques. Connaissant l'existence de ce lien entre image et popularité, certains savent parfaitement en jouer, même s'ils risquent un jour de s'y brûler les ailes. C'est le cas naturellement de Nicolas Sarkozy : il n'ignore pas tout ce que sa popularité doit à son image. L'exemple de Jean-Pierre Raffarin, qui a commencé camelot pour finir en lambeaux, devrait pourtant faire réfléchir. Et que dire de tous ces sondages qui prévoyaient un oui au referendum ? Balladur ou Rocard présidents ? Pour ce qui est de prédire l'avenir, la déroute du 21 avril 2002 et l'absence de Lionel Jospin au second tour de la présidentielle, qu'aucun sondage publié n'avait anticipées, devraient inciter à la prudence et faire réfléchir les plus enthousiastes...

Un dernier enseignement peut être livré à partir de cette analyse : l'instrumentalisation de l'opinion par les « faiseurs de rois ou de reines » a ses limites, que le peuple nous rappelle vigoureusement à chaque scrutin. Car il est des choix fondamentaux que les Français réaffirment à chaque vote : leur refus du libéralisme généralisé et leur attachement aux idées républicaines. Si nous n'ignorons pas les effets structurants des sondages dits d'opinion sur les termes du débat politique («mort aux absents des baromètres ! »), nous déplorons l'existence d'un hiatus profond entre la réalité politique telle qu'elle s'exprime à travers les élections et l'image qu'ils prétendent nous en donner.

Face à cette « démocratie d'opinion », souvent en décalage avec le suffrage universel, nous faisons le choix de réhabiliter l'action politique. Il est désormais urgent d'engager des changements institutionnels profonds, de restaurer un vrai pouvoir parlementaire, d'assurer une représentation effective du peuple autour d'orientations politiques claires, de restaurer l'importance du faire par rapport au paraître. Le temps est venu de rendre ses lettres de noblesse à la politique.

La gauche doit s'atteler à cette tâche si elle veut l'emporter en 2007. Nous sommes plus que jamais convaincus que, plutôt que de se fier aux sondages, c'est en s'appuyant sur une ligne politique claire, ancrée à gauche et susceptible de rassembler à gauche, que le candidat des socialistes pourra convaincre les électeurs en 2007.
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