Ville et socialisme :
une vieille idée d'avenir

Claude Bartolone

 Contribution thématique au congrès national de Dijon présentée par Claude Bartolone député de la Seine-Saint-Denis, ancien ministre.
18 janvier 2003

 
Une civilisation se juge à ses villes, qui tiennent l’exacte mesure de son avènement, de son apogée ou de son déclin. Alors que la France est à 80 % urbaine, elle a abandonné son ambition urbaine, laissant le marché faire et défaire le tissu urbain, trier et broyer ses habitants. Si l’avenir se lit dans les lignes d’une ville, celui-ci n’est pas très rassurant. Notre parti n’a pas pris l’exacte mesure de ce qui se joue dans nos villes.

L’histoire du socialisme et du mouvement ouvrier est pourtant étroitement liée à la naissance du fait urbain, parfois violente quand le petit peuple des faubourgs industrieux bat le pavé parisien en 1789, 1848 ou 1871. C’est après la 1ère guerre mondiale que la France devient un pays majoritairement urbain et que le socialisme prend son essor définitif, ayant su répondre aux aspirations des nouveaux urbains. La ville représentait alors le progrès social et l’émancipation de l’homme. Elle n’était plus organisée autour de l’église ou de la garnison, mais autour de la mairie, de l’école, de l’usine ou du puits de mine. La France des réverbères et des HLM lamine alors la France du seigle et de la châtaigne, qui se réfugie au Sénat.

Le libéralisme et la crise sociale ont ruiné ce modèle. Quand en 1981 la Force tranquille apparaît sur fond de village nivernais, la ville n’est plus que le reflet des désordres de notre société et de la victoire du marché.

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La ville, miroir de notre avenir

 
Les Français rêvent aujourd’hui comme Alphonse Allais de mettre les villes à la campagne. La ville est souvent perçue comme sale, bruyante, dangereuse, quand bien même chacun y travaille, y habite et s’y amuse. La ville faite pour vivre ensemble se fragmente en autant de communautés ou d’individus, dans les centre-villes refermés, dans les quartiers HLM qui se vident de leurs travailleurs ou dans les zones pavillonnaires qui s’étendent. Tout l’imaginaire urbain se concentre sur des images anxiogènes de quartiers-ghettos qui brûlent ou de SDF qui meurent de solitude et de froid.

François Mitterrand et les gouvernements socialistes ont compris très tôt l’enjeu de la question urbaine, en prônant la décentralisation du pouvoir aux élus locaux, la rénovation des quartiers populaires et une politique d’intégration pour les fils de l’immigration. De Pierre Mauroy et Laurent Fabius à Michel Rocard et Lionel Jospin, l’effort s’est sans cesse intensifié, malgré les parenthèses de retour de la droite, mais sans donner l’impression d’enrayer le déclin urbain. Le chômage, l’urbanisme parfois monstrueux des grands ensembles et la violence de notre société en ont en effet limité l’impact, au seul grand bonheur de Jean-Marie Le Pen.

Nos villes de la relégation et du repli sur soi sont indignes d’un pays comme le notre. Elles n’annoncent pour l’avenir que régression et violence, car elles sont le théâtre des pires injustices.

Il est urgent d’en prendre conscience et de réagir, d’autant que le gouvernement de la droite est en train de faire sauter les quelques verrous que nous avions mis au développement à 2 vitesses de la ville.

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La ville socialiste :
l'utopie au quotidien

 
En laissant les villes aux seules forces du libéralisme, nous n’en avons pas seulement dégradé les conditions de vie pour de nombreux habitants. Nous avons oublié les raisons que nous avions de vivre ensemble.

Il nous faut aujourd’hui nous attacher à construire un vrai projet socialiste pour la ville. Ce projet doit faire ressortir le clivage profond qui nous oppose à la droite. La ville socialiste est celle de la communauté des hommes, qui vivent ensemble à égalité de droits et de chances. La ville libérale est celle de la coexistence et du chacun pour soi.

La ville est donc une vieille idée pleine d’avenir. Sujet d’utopie par excellence, elle est aussi le cadre de vie quotidienne des 50 millions d’urbains et des 6 millions d’habitants des quartiers populaires. C’est le rêve et le concret à la fois, c’est-à-dire ce qui a le plus manqué à nos électeurs en 2001 et 2002.

Notre conviction est qu’il faut redéfinir entièrement les vecteurs de l’égalité des chances.
En se préoccupant non seulement des droits sociaux du citoyen mais aussi des conditions dans lesquelles il peut les faire valoir dans la vie de tous les jours. Cela suppose un renversement complet de perspective, dans une culture politique attachée à l’Etat et au droit. La République passera par les territoires, et notre projet par des territoires de solidarité.

La mixité sociale ne se décrète pas. Abandonnons les vieux rêves d’immeubles de la renaissance où la concierge loge au rez-de-chaussée, les bourgeois à l’étage et les bonnes dans les combles. Ne misons pas tout sur une politique contraignant les municipalités riches à construire du logement social, même si c’est une nécessité absolue. Ce qui tue la ville, ce n’est pas tant l’existence de quartiers populaires, regroupant des habitants modestes, mais que beaucoup de ces quartiers, conçus comme des dortoirs, soient eux-mêmes pauvres, dans leur architecture, leur environnement, leur niveau de services. Car c’est la porte ouverte à la ghettoïsation, avec la fuite de tous ceux qui en ont la possibilité, et le repli sur des communautés. Notre premier devoir est de faire en sorte que tous les quartiers soient agréables à vivre et attractifs. La mixité sociale c’est au niveau de la ville, de l’agglomération qu’il faut la construire.

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Les nouveaux outils
de l'égalité des chances

 
Le renouvellement des outils de l’égalité des chances nécessiteront des moyens puissants, sans commune mesure avec les moyens actuellement consentis au titre de la discrimination positive. L’État devra apporter un concours déterminant, au titre de ses compétences et de la solidarité nationale, mais il devra surtout veiller à opérer une péréquation nationale, régionale et intercommunale très forte de la fiscalité et des dotations au profit des collectivités les plus concernées, qui sont souvent les plus pauvres et n’ont pas les moyens de répondre aux besoins.

Chacun est aujourd’hui convaincu de la nécessité de reconstruire de nombreux quartiers populaires, devenus invivables. Le tabou de la démolition est aujourd’hui est tombé, et l’acharnement thérapeutique sur des immeubles conçus - mal - pour durer quelques décennies a ses limites. La reconstruction de ces quartiers est engagée, et la droite ne pourra pas l’arrêter. C’est un chantier de 20 ans, qui doit être au coeur de notre ambition urbaine. Il doit être l’occasion d’une mobilisation sans précédent des architectes et des urbanistes pour repenser ces morceaux de ville et en faire la vitrine d’une ville moderne à échelle humaine. Pour cela, il faudra un effort comparable à celui de la reconstruction, pour détruire, aménager, ouvrir et refaire. Les verrous financiers devront sauter et l’aide à la pierre devra retrouver sa juste place pour construire du logement collectif ou de nouvelles cités pavillonnaires populaires de grande qualité.

L’enjeu est de redonner l’envie d’habiter ces nouveaux quartiers, qui représenteront le progrès social au même titre que les tours et les barres en leur temps. Nous ne parlons pas bien-sûr que de l’habitat, qui doit impérativement abandonner l’ère concentrationnaire. Pour retrouver sa raison d’être, le mouvement HLM doit avoir les moyens de définir une « Haute Qualité Sociale » dans son parc, susceptible de devenir un label de référence en terme d’habitabilité, d’environnement et de services associés, afin de favoriser la promotion sociale.

Ces services existent. Ils ont été testés un peu partout, grâce à la politique de la ville qui a favorisé les expériences. Il est temps de les étendre sur une vaste échelle.

Le premier d’entre eux est l’éducation. Elle ne peut reposer sur les seules épaules des enseignants, et ne peut pas se contenter de l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans. Il est insupportable pour nous socialistes de constater qu’un enfant d’ouvrier ou des quartiers populaires a 10 fois moins de chances qu’un enfant d’enseignant d’accéder à l’enseignement supérieur. L’expérience des ZEP a permis malgré les frilosités institutionnelles de valider le principe d’une éducation ouverte et personnalisée qui servira de modèle dans le futur. Il faut donc aller beaucoup plus loin en donnant de véritables moyens de coordonner les efforts de la communauté éducative (enseignants, parents, acteurs locaux privés ou publics) pour offrir à l’enfant la cohérence et les outils nécessaires à son développement. Nous devons être aux avant-postes de ce combat éducatif pour l’égalité des droits et des chances, pour renouer avec l’esprit des hussards de la république. Il nous faudra pour cela développer un nouveau modèle éducatif favorisant davantage le potentiel créatif des enfants plutôt que l’ingestion incessante de programmes encyclopédiques ; laisser les enfants apprendre à leur rythme en récréant une unité entre l’école primaire et la fin de l’école obligatoire, et en cassant le système archaïque des classes ; en cessant de valoriser à l’école, dès le plus jeune âge, un modèle compétitif, favorisant l’individualisme et en développant au contraire la coopération, en ouvrant l’école sur la ville et donc en faisant réellement de l’éducation partagée dont l’enseignement ne serait qu’un moment.

De manière plus générale, nous devons parier sur la jeunesse des quartiers, qui souffre de l’image que l’on donne d’elle et de la difficulté à se tracer un chemin. Il est vrai que souvent issus de familles déracinées et frappées par la crise, et alors que les perspectives d’emploi leur sont souvent plus lointaines, les adolescents sont confrontés à un environnement plus violent, à la tentation des comportements déviants ou de la drogue, aux difficultés de respect de l’égalité hommes/femmes, à l’apprentissage des relations amoureuses et de la sexualité. Et pourtant, l’avenir de notre société repose largement sur leurs épaules. Il est temps de le comprendre et de s’en préoccuper vraiment. Nous voulons construire dans chaque cité une grande maison de la jeunesse où chacun puisse trouver les raisons de consentir les efforts nécessaires à sa réussite personnelle et sociale.

Redonner aux quartiers populaires leur attractivité suppose aussi de casser les frontières qui les enferment. Frontières visibles bien-sûr, quand les quartiers sont relégués, mal desservis ou mal entretenus. Frontières virtuelles aussi, quand la peur de leurs habitants se répand dans la ville. La lutte contre les discriminations raciales ou territoriales doit être une priorité absolue. Qu’il s’agisse de logement, de services, de travail ou de loisirs, les discriminations sont le syndrome moderne de l’injustice sociale. Rien n’est plus abject et révoltant que de voir un jeune refusé dans un emploi, un logement ou une boîte de nuit en raison de son adresse, de son nom ou de sa couleur de peau. La double peine ou la fermeture de nombreux emplois publics aux étrangers participent également à ce sentiment d’injustice.

Ces discriminations alimentent la violence latente de nos villes. Le renforcement de la seule présence policière ne suffira pas à contenir l’insécurité si la force n’est pas légitime. Nous ne voulons pas d’une société urbaine dans laquelle il y aurait d’un côté les pauvres et les chômeurs, surveillés dans leur quartier comme des délinquants potentiels, et de l’autre ceux qui ont un travail et une maison, qu’il faut protéger. La détermination contre l’insécurité doit être la même pour lutter contre toutes les formes d’injustice et de violence. Ces nouvelles villes et ces territoires solidaires que nous appelons la gauche à construire ne sont pas dans les cartons des architectes. Elles seront l’oeuvre des élus, des citoyens et des militants qui leur donneront une légitimité démocratique. C’est tout l’enjeu d’adapter notre démocratie vieillissante à la nouvelle donne urbaine. Comment expliquer qu’un village de 50 habitants a 9 représentants municipaux quand un quartier de 1 000 habitants n’a pas un élu ? La démocratie locale ne pourra se développer sans rechercher de nouvelles manières d’associer et de faire participer aux décisions les citoyens. Nous en sommes très loin. Cela passe notamment par le droit de vote aux étrangers pour les élections locales, par la généralisation des conseils des quartiers, par l’élection des responsables des agglomérations au suffrage universel, par la séparation des fonctions dans toutes les collectivités entre pouvoirs délibératifs, exécutifs et administratifs.

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Un Parti de la modernité urbaine

 
Le Parti doit prendre à bras le corps ce dossier de la ville, qui représente l’occasion de renouer avec les classes populaires, de trouver les forces nécessaires à sa croissance, et d’être en phase avec son époque.

Les militants du PS, à travers leur implication dans le monde associatif et syndical, ont une responsabilité particulière pour faire naître et vivre la ville socialiste à laquelle nous rêvons. Les quelques avancées que nous avons obtenues par la loi, comme les conseils de quartiers dans les villes de plus de 80 000 habitants, les autres formes de démocratie participative prises localement, la vie associative parfois dense des quartiers, doivent permettre aux militants de s’impliquer plus fortement. Les sections concernées pourraient recenser les formes d’engagement possibles pour les proposer de manière systématiques aux militants, voire s’engager elles-mêmes dans des actions concrètes d’éducation populaire ou de services aux populations concernées.

A travers une conférence annuelle des villes qu’un secteur particulier de la direction du Parti aurait à organiser, les militants intéressés pourraient nourrir la réflexion interne et échanger leurs pratiques. Ils sont nombreux à pouvoir se mobiliser autour de cet enjeu concret, qui n’est pas sans lien avec les élections locales.

Nous devrons dans les années qui viennent montrer l’exemple de la promotion interne de jeunes militants des quartiers. Nous avons raté le symbole de l’entrée au gouvernement de ministres issus de l’immigration. A nous de devenir le parti de la diversité et de la jeunesse.

Le Parti doit porter et faire vivre une vision positive de l’avenir de nos villes. Les villes bougent, sous l’impulsion d’élus dynamiques, des gouvernements socialistes successifs, des acteurs locaux, des habitants, notamment des plus jeunes. Le socialisme doit entrer de plein pied dans notre civilisation urbaine, et écrire une nouvelle page glorieuse de l’histoire de nos villes.


Contribution présentée par :

Claude Bartolone député de la Seine-Saint-Denis, ancien ministre  Sylvie Andrieux-Bacquet députée des Bouches-du-Rhône  Daniel Bonnot (Bas-Rhin)  Laurent Cathala député-maire de Créteil, ancien ministre (Val-de-Marne)  Gilles Catoire maire de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine)  Michel Delebarre député-maire de Dunkerque, ancien ministre d’Etat (Nord)  Annie Guillemot maire de Bron (Rhône)  Serge Janquin député du Pas-de-Calais, 1er fédéral  Ali Kismoune (Isère)  Conchita Lacuey députée de la Gironde  Vincent Lena adjoint au maire de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais)  Roger Madec maire du XIXème arrondissement de Paris  Didier Migaud député de l’Isère  Annette Peulvast-Bergeal maire de Mantes-la-Ville (Yvelines)  Roland Ries conseiller régional d’Alsace, conseiller municipal et communautaire de Strasbourg (Bas-Rhin)  Manuel Valls député-maire d’Evry (Essonne)  Philippe Vignault architecte.

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