Pour casser le mur de l'intolérance



Point de vue signé par Claude Bartolone, ministre délégué à la Ville, paru dans le quotidien Libération daté du mardi 27 octobre 1998


 
Quelle réponse apporter à la violence de certains jeunes, celle qui est apparue en marge des manifestations lycéennes, celle que vivent des chauffeurs de bus de banlieue, celle que supportent avec angoisse les habitants de nombreux quartiers de nos villes ? Comment surmonter le désarroi et la peur que provoquent de telles bouffées de rage ? Nous savons, depuis longtemps, que la fuite en avant dans le toujours plus sécuritaire est impuissante à les juguler. Nous ne voulons pas du modèle américain, des villes privées à l'abri de leurs clôtures, l'incarcération à outrance des minorités et des plus pauvres. Qui peut croire que la sanction méritée pour des atteintes parfois gratuites aux biens et aux personnes constitue la seule solution aux problèmes de certaines de nos cités ?

Parlons pour une fois de ces jeunes, de nos enfants, nés sur le béton et dans la crise, puisqu'il ont choisi de nous faire violence, de franchir les limites de leur quartier et de la loi.

Cette violence, qui vient de jeunes de plus en plus jeunes, est d'abord un échec pour les adultes, soyons-en certains. Non pas pris individuellement, bien sûr, mais collectivement. La difficulté des institutions à comprendre la jeunesse et à répondre à ses attentes témoigne d'une forme d'autisme de la société. De nombreux jeunes constatent aujourd'hui que leurs origines sociales, la couleur de leur peau ou leur adresse, leur interdit d'avoir un ticket d'entrée dans la société, un passeport pour la ville et pour la vie, pour jouer la partie.

Ne promettons pas de miracles, ils ne nous croiraient pas. Engageons le dialogue et agissons pour créer les conditions d'une vie normale en ville. Mais agissons tous ensemble.

Les jeunes doivent sentir autour d'eux la cohésion du monde des adultes et des institutions, à travers des discours cohérents, exigeants mais bienveillants. Il faut qu'ils sentent que leurs parents, les enseignants, les autres fonctionnaires, mais aussi leurs voisins, les commerçants, les adultes de la cité, veillent sur eux parce qu'ils tiennent à eux, parce qu'ils sont leur avoir. Ils veulent leur offrir le meilleur et leur demandent le meilleur. Qu'après l'échec, ils aient une nouvelle chance. C'est le rôle de l'Etat, des municipalités, des bailleurs sociaux ou du monde associatif que d'organiser cette veille citoyenne, de créer les lieux et les temps de dialogue qui permettront de casser le mur du silence ou de l'intolérance.

C'est la seule manière pour que les jeunes admettent des règles de vie commune et acceptent le rappel à la loi. La réponse à la violence sera ainsi intelligible et intelligente: la sanction pour les actes graves de délinquance, la médiation et la réparation systématiques pour les actes d'incivilité, la mobilisation collective pour prévenir l'émergence de la violence.

La ville doit devenir un espace d'opportunités et de solidarités, qui organise le droit permanent à la réussite. C'est tout l'enjeu de la politique de la ville, qui, dans les quinze dernières années, a surtout servi d'amortisseur, dans un contexte de chômage de masse et de mutations sociales profondes. Nous n'avons pas le droit de laisser passer l'occasion du regain de croissance, car s'il s'arrête aux frontières des quartiers, le fossé entre les deux France s'élargira, et, du pacte républicain, il ne restera bientôt plus que le communautarisme des ghettos. C'est le sens de l'effort financier exceptionnel voulu par le Premier ministre pour 1999, car c'est maintenant qu'il faut soutenir les initiatives locales en matière d'emploi, de sécurité et d'éducation, et prendre date pour l'avenir.

La ville, c'est le champ du possible. On doit pouvoir s'y déplacer, en bus, à pied ou via l'Internet. Chacun doit contribuer à l'égalité d'accès aux potentiels des villes et des agglomérations, en assumant ses responsabilités. Les services publics doivent faire respecter les droits, accompagner les parcours individuels, donner les mêmes chances à chacun. Les élus sont là pour offrir un dessein collectif aux territoires dont ils ont la charge politique, pour faire vivre au quotidien la citoyenneté. Grâce aux associations, des solidarités de proximité s'organisent, multipliant les occasions d'épanouissement individuel. Les entreprises privées elles-mêmes doivent comprendre qu'il n'y a pas de prospérité possible dans un climat d'insécurité généralisée, et que la discrimination à l'embauche est un acte grave et répréhensible, qui les coupent de la société.

Cette ville du possible est encore virtuelle pour beaucoup. De nombreux murs doivent encore tomber, pour que cesse le rejet de l'autre, pour accepter la différence. Des espaces publics doivent y permettre le dialogue et la citoyenneté.

Je sais que les habitants demandent du concret. Ils veulent voir les effets de l'action publique et sentir que ça va mieux, que l'espoir est permis. C'est la politique de la ville que le gouvernement entend mener avec eux. C'est cela le chantier du XXIe siècle, retrouver l'art de vivre dans les villes à dimension humaine.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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