Nous n'avons pas assez assumé notre réformisme



Entretien avec Claude Bartolone, député de Seine-Saint-Denis, paru dans le quotidien Le Figaro daté du 29 juin 2002.
Propos recueillis par Elsa Freyssenet


 

Après avoir renoncé à briguer la présidence du groupe PS à l'Assemblée, Laurent Fabius ne sera pas non plus porte-parole du parti. Est-ce à dire qu'il n'a plus les moyens de ses ambitions au sein du PS ?
Bien au contraire. La fonction que François Hollande propose à Laurent Fabius – numéro deux du PS – va lui permettre de bien travailler pour le PS et pour la gauche. Fabius souhaite l'unité et l'efficacité. Il va pouvoir y contribuer fortement et collectivement.

Comment expliquez-vous que Laurent Fabius suscite encore de telles défiances au sein du PS ?
L'explication la plus immédiate, c'est qu'il est plus facile pour les dirigeants des minorités qui se disent à la gauche du PS de se définir en opposition à Laurent Fabius que de donner un contenu crédible à leur projet. Au sein de la majorité du PS, il y a sans doute quelques personnes qui considèrent Laurent Fabius comme un concurrent. Ce n'est pas nécessairement agréable, mais c'est assez classique.

Quelles sont, pour vous, les raisons de fond du double échec, présidentiel et législatif, de la gauche ?
Outre la division calamiteuse de la gauche plurielle, il y a plusieurs explications fondamentales. D'abord, nous n'avons pas su parler aux jeunes, qui sont le cœur même de l'électorat de la gauche. Le deuxième élément, c'est l'éloignement d'une partie des couches populaires, qui ont eu le sentiment que nous ne les entendions plus, et qui se sont abstenues ou ont voté Front national.

Comment expliquez-vous cette désaffection des classes populaires à l'égard de la gauche ?
C'est un problème qui se pose dans toutes les social-démocraties européennes. Nos discours sur le retour de la croissance et de l'emploi étaient nécessaires pour les investisseurs et les consommateurs, mais très éloignés des préoccupations de nos électeurs les plus modestes. Ils ont eu le sentiment qu'ils ne pouvaient léguer à leurs enfants que leurs propres difficultés sociales. L'insécurité quotidienne est venue se rajouter à ce sentiment de mal-vivre.

L'éloignement dont vous parlez concerne-t-il les 35 heures ?
Les 35 heures restent une conquête sociale importante. Mais les ouvriers et les employés ont fait le lien entre, d'une part, cette réforme, qui avait pour ambition de libérer leur temps, et d'autre part, le recul de leur pouvoir d'achat et une aggravation de la flexibilité. Nous aurions dû plus insister dans les modalités sur une nouvelle donne en ce qui concerne le partage des richesses.

Voyez-vous une autre raison de fond à ces échecs électoraux ?
Nous n'avons pas assez osé proclamer et assumer notre réformisme. Nous n'avons pas assez dit que la prospérité économique n'est pas l'ennemi du progrès social, que le privé n'est pas l'adversaire du public, que la production n'est pas contradictoire avec la redistribution, que la prévention n'interdit pas la répression, que la République peut trouver sa place dans la construction de l'Europe. Par exemple, sur la modernisation et l'ouverture du capital des entreprises publiques, on a donné l'impression de le faire en catimini, alors que nous avions la volonté de démontrer que les entreprises publiques étaient compétitives.

Précisément, quand les minorités situées à la gauche du PS se penchent sur les causes de la défaite, elles pointent les déclarations de Fabius et Strauss-Kahn sur les retraites ou la privatisation des entreprises publiques, mettant en accusation une dérive sociale-libérale...
D'abord, je réfute totalement le terme de social-libéral, qui ne veut rien dire dans la société française. Appliquer ce qualificatif à Laurent Fabius relève de la caricature. La gauche moderne, c'est le bon compromis entre l'économique, le social et le développement durable. Ensuite, je vous rappelle que, pour les autres gouvernements européens, le gouvernement Jospin était considéré comme trop à gauche ! Et puis, surtout, évitons les anathèmes entre nous. Pour moi, le socialisme ne peut pas rimer avec l'ostracisme.

Derrière quel projet commun pourriez-vous rassembler des classes moyennes et populaires, aux aspirations souvent contradictoires ?
La raison d'être de la gauche, c'est la lutte pour l'égalité des chances. Que chacun puisse voir son talent et ses efforts reconnus.

Pour remplacer la gauche plurielle, le PS a évoqué la création d'une « structure fédérative » de la gauche...
Il y aura nécessité de rassembler la gauche française, mais ce ne peut-être qu'une seconde étape. D'abord, chaque parti a besoin de se retrouver pour réfléchir à la défaite, réagir et reconstruire.

Le PCF reste-t-il un partenaire déterminant du PS ?
C'est aux communistes qu'il faut poser la question.

Le défi à venir du PS est-il d'être capable de gouverner seul ?
Je vois mal comment le PS pourrait faire face à ses responsabilités en restant le parti des 25 %. Le PS doit élargir sa base idéologique et sociale en faisant preuve d'imagination et de responsabilité, notamment en s'ouvrant davantage encore sur la gauche syndicale et associative.

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