Pour un réformisme socialiste : |
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![]() présentée par le " Collectif RéGénération " 18 janvier 2003 |
Nous sommes aujourd’hui à un tournant important de notre histoire : celle du monde, celle de notre pays et celle de la gauche. Les transformations de la société française comme les bouleversements de l’ordre du monde posent de nouvelles questions ou conduisent à la reformulation profonde des plus anciennes. Il devient difficile, voire impossible, de penser et d’agir dans le monde contemporain en continuant d’utiliser de vieilles recettes doctrinales ou tout simplement de rester attaché à une vision de la société forgée dans les années 1970 ou même 1980. Ce serait se condamner à l’impuissance et, plus grave encore, à l’échec. Face à ces bouleversements, nous devons nous engager de manière déterminée dans la construction d’un projet politique de grande ampleur qui ne soit ni un simple manifeste électoral ni un pamphlet contre la société et le monde contemporains que l’on devrait changer de fond en comble pour pouvoir enfin être heureux ! Nous ne pouvons plus nous contenter aujourd’hui de ce grand écart permanent entre un penchant gestionnaire qui stérilise l’action publique et une radicalité gratuite qui la rend irrémédiablement inopérante. Construire un tel projet politique renvoie aujourd’hui à un important effort d’analyse et de compréhension des transformations à l’œuvre dans la société française et dans le monde qui l’entoure, un effort que le Parti ne fait plus depuis trop longtemps. L’explication donnée à la défaite du printemps 2002 est symptomatique de ce défaut, ou de ce refus, de prendre en compte des réalités économiques, sociales ou culturelles qui ne correspondent plus aux schémas traditionnels de la gauche. Ainsi le PS n’a-t-il pas tant perdu les élections du printemps 2002 parce qu’il n’a pas été assez de gauche ou pas assez de droite mais plus simplement parce qu’il ne comprend plus la société française et qu’il n’est plus capable d’en lire les aspirations essentielles. Au défaut de l’offre politique, incontestable, s’ajoute ainsi aujourd’hui une très grande difficulté à comprendre la demande. Ce qui est dit ainsi de manière rapide renvoie en réalité à un double phénomène aux interactions complexes : non seulement, comme s’accordent à le diagnostiquer bon nombre d’observateurs, la société française est devenue particulièrement illisible, mais encore le PS n’a pas su réformer ses outils de lecture et d’analyse. Les explications de ce double phénomène sont bien connues. D’une part, la société est devenue illisible en raison de la diversification des situations et parcours individuels, de la multiplication des appartenances et identités, mais encore de la contradiction de plus en plus flagrante, inscrite en chacun de nous, entre aspirations individuelles légitimes et inscriptions collectives indispensables – et ce quelle que soit la classe ou la catégorie sociale à laquelle on appartient. Bref, la représentation de la société est devenue un véritable casse-tête que les nombreuses politiques publiques mises en place depuis une vingtaine d’années ne parviennent plus à résoudre. D’autre part, le Parti socialiste est resté ancré dans des représentations et des schémas d’appréhension de la société forgés pour l’essentiel au moment de son ascension vers le pouvoir dans les années 1970 (critique marxiste du capitalisme, homogénéité du salariat, efficacité immédiate de l’action des pouvoirs publics, prééminence de la loi dans l’action publique, libéralisation des mœurs et traitement libéral généralisé des comportements individuels…) tout en menant une fois arrivé au pouvoir, dans les années 1980 et 1990, une politique d’ajustement au plus près d’une réalité économique et sociale déprimée par la crise. L’écart grandissant, à partir de 1982-1983, entre un " gauchisme d’estrade " lyrique, héritage de la période précédente, et une politique au pragmatisme brutal mais n’osant dire son nom, ayant achevé de ruiner tout effort de renouvellement doctrinal un tant soit peu sérieux. C’est cette politique de l’autruche face à la réalité du monde qui nous entoure, doublée d’un grand écart idéologique intenable et d’un silence doctrinal assourdissant, qui s’est fracassée, de manière exorbitante, sur le mur électoral du printemps 2002. Le Parti socialiste, et avec lui la gauche française, ne peut plus désormais, au risque de son éloignement prolongé du pouvoir (et de sa disparition programmée du paysage politique), échapper à un travail, sans doute long et douloureux, de rénovation voire de révolution doctrinale. C’est à ce travail que nous appelons chaque membre du Parti, c’est à ce travail que nous comptons bien nous atteler dès maintenant. |
I/ La rénovation doctrinale, | |
Fin de cyclesLa période actuelle peut être interprétée comme marquant la fin de trois cycles et avec eux des certitudes et des réponses toutes faites qu’ils supposaient. La fin d’un cycle court : celui du gouvernement de la gauche plurielle Nous avons d’abord vécu, le 21 avril 2002, la fin, brutale, d’un cycle court de la politique française à l’occasion de la défaite de Lionel Jospin à l’élection présidentielle, suivie de peu par la déroute des législatives, marquant l’arrêt de l’expérience d’une gauche plurielle au pouvoir depuis cinq ans. La fin de ce cycle court, quelles que soient les explications que l’on puisse donner de la défaite, est celle d’un espoir, né en 1997, d’une politique de la gauche tournée à la fois vers l’impératif de l’efficacité et vers celui de la volonté politique. La fin d’un cycle long : celui du communisme Nous vivons également la fin d’un cycle long de l’histoire contemporaine, déterminant et prépondérant pour la gauche, celui du communisme et de son influence tout au long du XXème siècle. Certes, les analyses sur le totalitarisme soviétique, les crises économiques et sociales des années soixante-dix, comme les expériences gouvernementales lézardaient depuis longtemps les certitudes identitaires de chacun et, au-delà, les frontières protégeant, d’une part, la gauche de la droite, le PS du PC, d’autre part. Mais la chute du Mur de Berlin en novembre 1989 a entraîné des conséquences considérables dont nous commençons seulement à mesurer les effets : qu’il s’agisse des réalignements électoraux que nous avons connus ces dernières années ou, dans un tout autre genre, de l’entrée dans l’Union européenne d’anciens " pays de l’Est ". La fin de ce cycle long marque surtout pour les socialistes la levée enfin vérifiée de l’hypothèque communiste qui a longtemps pesé sur leur légitimité à incarner la gauche. Et même si nous n’en avons pas fini aujourd’hui avec tous les effets induits de cette longue comparaison ou de cette longue domination symbolique - il n’est qu’à constater combien le " surmoi marxiste " ou " le complexe gauchiste " continue de peser au sein de la gauche - nous en avons au moins fini avec l’illusion paralysante, quand elle n’a pas été destructrice, d’une réelle alternative révolutionnaire au réformisme. La fin d’un cycle de moyen terme : celui d’Epinay Le Congrès d’Epinay, en 1971, inscrit au Panthéon socialiste, est considéré à bien des égards comme le point de départ de la reconquête organisationnelle, militante et idéologique du courant socialiste en France. Il a marqué le début d’une " longue marche " vers le pouvoir qui s’est achevée avec la victoire de François Mitterrand le 10 mai 1981. " Epinay " a ainsi ouvert un moment clef de l’histoire de la gauche française en témoignant d’une triple logique : il s’agissait à la fois de la mise en œuvre d’une stratégie politique (celle de l’Union de la gauche et de l’étouffement du Parti communiste), de la définition progressive d’une nouvelle culture politique et d’un programme de société (autour du triptyque : nationalisation, planification, autogestion) et, in fine, de l’émergence d’une génération politique en charge des deux premières (celle du baby boum qui réunit les cohortes nombreuses nées dans l’immédiat après-guerre arrivées à la conscience politique à partir de la fin des années 1960) . Un rendez vous toujours différeL’épuisement de ces deux derniers cycles - le cycle long du communisme et le cycle historique d’Epinay - pose alors notamment, depuis un certain nombre d’années, le problème crucial de notre rénovation idéologique. Celle-ci, pourtant, n’a jamais été sérieusement entreprise. Pressé par l’urgence, nous avons certes opéré, dès le début des années 80, un certain tournant pratique dans nos politiques, notamment économique. Mais ces adaptations sont restées parcellaires et impensées. Depuis vingt ans, les congrès de notre parti ont tendance à combiner jeux d’appareil et insignifiance idéologique. Aussitôt votés, nos textes, trop souvent technocratiques et indigestes, manquant d’ambition politique et de souffle, sont aussitôt oubliés par les militants et parfois par ceux-là mêmes qui les ont écrit. Censé être le grand rendez-vous idéologique du socialisme français avec lui-même, le Congrès de l’Arche, il y a dix ans, a été, de ce point de vue, un fiasco symptomatique de notre désinvestissement doctrinal. Or malgré les apparences, la tendance ne s’est pas véritablement inversée depuis. Malgré nos multiples conventions thématiques, malgré des efforts ponctuels ça et là, malgré les velléités théoriques contenues dans les premiers discours de Lionel Jospin à l’Université d’été du Parti à La Rochelle, le socialisme français est sorti, à nouveau, de la dernière législature sans avoir véritablement entrepris sa nécessaire redéfinition. Il reste, au total, une pratique, certes fondée sur des valeurs, mais une pratique sans doctrine, dont la cohérence se délite souvent à l’épreuve des difficultés. Signe, entre autres, de cette faiblesse idéologique, nous n’avons pas su proposer collectivement il y a quelques années, au moment où tous les regards étaient braqués sur les débats du socialisme européen, une véritable réponse " française ", globale et identifiante, à la " troisième voie " de Tony Blair. 21 avril : quand le coût devient electoralLa défaite du printemps dernier constitue sans doute la première véritable sanction électorale de notre immobilisme doctrinal depuis vingt ans.
Pendant longtemps, cet immobilisme n’a sans doute pas eu de coût électoral majeur. François Mitterrand nous avait appris " qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens ". Malgré le " tournant de la rigueur ", la gauche ne fut pas balayée aux élections législatives de 1986 et revint en 1988. Beaucoup plus lourde, la déroute de 1993 avait aussi davantage sanctionné une dérive politique et morale, que l’absence de doctrine à proprement parler. Le " rétablissement " initié par Lionel Jospin, avait permit, là aussi, de tirer parti dès 1997 des erreurs de la droite. Moins lourde, moins grave en apparence que celle de 1993, la défaite de 2002 pourrait constituer, en un sens, la première véritable sanction électorale de notre immobilisme doctrinal prolongé. Pour la première fois peut être, la " contradiction " entre les mutations de la société et une réflexion politique insuffisamment renouvelée est devenue en effet une contradiction directe entre les demandes de l’électorat et notre offre politique. Telle est sans doute la signification historique profonde du " 21 avril ". Certes, l’absence de la gauche au deuxième tour des présidentielles a été, à bien des égards, un accident. Tout a été dit, à ce stade de notre débat interne, sur le rôle des circonstances : la campagne ratée, les erreurs de communication et de tempo, les lacunes et faiblesses du programme, l’exploitation démagogique des problèmes d’insécurité, l’éclatement de la gauche plurielle, l’irresponsabilité politique de l’extrême-gauche, le déraillement généralisé du premier tour, l’illusion entretenue par les sondages d’une qualification acquise d’avance,… Mais si elle pouvait sans doute être évitée, la défaite n’en vient pas moins de loin. Revenus au pouvoir avec des réponses volontaristes et nouvelles à la question du chômage, nous étions en 1997 politiquement en phase avec les attentes immédiates du pays. Mais avec l’amélioration de la situation économique, la " culture de crise " s’est estompée ou déplacée vers d’autres objets, tels que la sécurité ou le " partage des fruits de la croissance ". Le voile du chômage s’est alors déchiré sur cette nouvelle société française hétérogène, fragmentée, divisée, traversée par une multiplicité de revendications catégorielles contradictoires très difficile à appréhender et à satisfaire. Dans cette fin de mandature, où le programme initial parvenait à épuisement, comme dans la campagne présidentielle, il aurait fallu proposer au pays de nouvelles priorités, produire une vision d’intérêt général forte, un nouveau projet de société, susceptibles de contenir l’exacerbation de l’individualisme, de " cadrer " les revendications dans une perspective globale. Mais face à la demande de sécurité, comme face aux mouvements sociaux, nous avons flotté. Les réformes se sont poursuivies mais sans être jamais expliquées ou mises en scène dans une vision d’ensemble. Premier Ministre sortant, Lionel Jospin a vu alors converger sur lui l’ensemble des frustrations et des mécontentements du moment. Même si elle a pu tenir à des considérations tactiques, la difficulté à redéfinir un projet politique en 2000 comme en 2002 a mis en exergue, de ce point de vue, les conséquences de nos lacunes doctrinales. Si nous n’avons pas su répondre en 2000-2002 à la montée de la préoccupation sécuritaire, c’est parce nous ne sommes plus tout à fait au clair sur les principes qui nous guident dans ce domaine, oscillant entre notre désir de répondre à la demande d’ordre et de règles qui émane du pays et nos réflexes idéologiques hérités des années 1960-1970. Si nous n’avons pas su réagir aux multiples attentes libérées par la baisse du chômage, c’est que nous n’avons pas suffisamment réfléchi, de même, à nos nouveaux objectifs dans cette société en profonde mutation. Les mêmes causes étant susceptibles de produire les mêmes effets, il ne suffira plus forcément cette fois, pour revenir au pouvoir, de s’opposer à la droite, en espérant le retour mécanique du balancier. Longtemps différée, négligée, la rénovation doctrinale s’impose donc désormais, sur les décombres du " 21 avril ", comme une nécessité incontournable. L'enjeu de la periodeNous ne devons donc pas nous tromper sur l’enjeu de la période pour le socialisme français : L’enjeu de la période n’est pas d’abord le leadership. Ne nous laissons pas entraîner, de ce point de vue, dans le faux débat que la pression médiatique pourrait nous imposer. Le départ précipité de Lionel Jospin au soir du 21 avril soulèvera bien sûr à terme le problème de l’incarnation pour un parti qui a choisi d’inscrire son action dans le cadre des institutions démocratiques, et en particulier aujourd’hui de la Vème République. Mais, contrairement à d’autres formations politiques, le PS ne s’est jamais réduit à n’être que l’instrument d’une ambition personnelle. Il est d’abord l’expression d’un mouvement historique et collectif, de l’engagement à travers les décennies de centaines de milliers d’individus au nom d’un idéal de justice sociale que ses chefs n’ont pas d’autres vocation que de servir. Ce qui pose problème à l’évidence aujourd’hui ce n’est alors pas tant l’identité du futur candidat aux présidentielles – qui sera désigné le moment venu - que, répétons-le, le sens que nous parvenons à donner, en amont, à cet engagement socialiste, dans le paysage économique, social, culturel profondément transformé de ce début de siècle. L’enjeu de la période n’est pas simplement la clarification de notre " ligne " sur telle ou telle question ponctuelle. Sur des dossiers d’actualité touchant à la protection sociale, aux services publics, à l’immigration,…les positions du parti doivent bien sûr être précisées. Mais, de même qu’il serait illusoire de croire que nous avons perdu en 2002 simplement parce que nous n’étions pas " assez à gauche ", il serait illusoire de réduire l’enjeu de la période à des clarifications ponctuelles sur les retraites ou le capital d’EDF. Ce qui est en jeu, c’est bien au delà et beaucoup plus fondamentalement, notre capacité à analyser les mouvements qui affectent la société et à définir une offre politique globale embrassant l’ensemble des problèmes contemporains. L’enjeu des prochaines années est d’abord stratégique. L’éclatement de la gauche plurielle, la montée en puissance d’une nébuleuse néo-gauchiste exerçant sa pression sur l’ensemble des formations de l’ancienne coalition parlementaire, conduisent à reposer l’éternel problème de l’équation électorale. Nous devons, une fois de plus, proposer à nos partenaires une formule organisationnelle, et en amont, une méthode de discussion permettant de concilier la diversité inhérente à la gauche française avec un objectif de rassemblement des forces et d’agrégation électorale victorieuse. Mais l’enjeu principal est bien la rénovation doctrinale. En 2002, comme en 1969, la gauche a été absente du deuxième tour de l’élection présidentielle. L’analogie vaut ce qu’elle vaut, mais le Congrès de Dijon doit sonner le départ, comme celui d’Epinay il y a 30 ans, d’un nouveau cycle historique. Redéfinir le socialisme du temps présent, telle est bien notre première tâche politique dans les années qui viennent. |
II/ Les conditions | |
Assumer notre réformismeCe chantier de la rénovation doctrinale s’étendra sur plusieurs années. A l’image de ce qu’avaient fait les travaillistes britanniques en préambule de leur programme électoral de 1997, nous devons nous fixer l’objectif de pouvoir exposer une nouvelle vision de notre socialisme aux électeurs à l’horizon 2007. L’expérience des dernières décennies montre toutefois qu’il ne suffit pas de proclamer une volonté dans ce domaine. Pour relever ce défi collectif, nous devrons aussi réunir un certain nombre de conditions, lever les obstacles – intellectuels, psychologiques, pratiques - qui nous ont conduit, depuis près de vingt ans, à différer sans cesse ce nécessaire travail d’actualisation idéologique : ![]() Cette période est révolue : le Parti socialiste est aujourd’hui clairement un parti réformiste, au sens que l’histoire du mouvement ouvrier a donné à ce terme, ne fait plus de doute pour personne. Nous continuons, bien entendu, de refuser vigoureusement les injustices et les dégâts de toutes sortes – sociaux, écologiques, économiques mêmes,…- créés par le marché livré à lui-même. Nous continuons de vouloir encadrer, réguler, domestiquer le capitalisme. Mais, tirant les leçons de l’expérience, nous avons reconnu aussi, depuis longtemps déjà, la force de ce dernier pour générer des richesses et assurer la satisfaction globale des besoins de consommation légitimes. Notre action s’inscrit donc désormais durablement, structurellement, dans la logique d’un compromis avec le capitalisme et l’économie de marché. ![]() Face à cette situation, nous avons parfois tendance à essayer de donner des gages, à nous excuser d’être ce que nous sommes. Cette posture défensive, qui valide implicitement le procès qui nous est fait, constitue une erreur politique. L’extrême gauche d’aujourd’hui n’est peut être plus très claire sur son projet " révolutionnaire ", mais elle reste structurée par l’idée que tout compromis avec le capitalisme est en soi une erreur. Sous couvert de dénoncer des politiques pas " assez à gauche ", ce qu’elle rejette à travers nous c’est, en vérité, l’idée même d’exercer le pouvoir démocratique dans un système capitaliste. Si nous devons certes renouer un dialogue constructif avec les composantes du mouvement social qui le souhaitent et y sont prêtes, il est donc dangereux et illusoire de courir après ceux qui nous considèreront toujours, par définition, comme des " sociaux-traîtres ".En assumant politiquement notre réformisme, parfaitement légitime dans une société qui ne souhaite pas la rupture avec l’économie de marché, nous pouvons au contraire poser clairement le vrai débat de savoir s’il est utile pour le pays, pour les salariés, pour les plus modestes, qu’existe une gauche acceptant d’exercer les responsabilités dans ce cadre. En assumant politiquement notre réformisme, nous pouvons inverser la charge de la preuve en pointant l’inutilité et l’inconséquence actuelle d’un gauchisme qui n’offre aujourd’hui pas d’autre alternative réelle aux catégories populaires qu’elle prétend défendre, que de faciliter en pratique l’accès de la droite au pouvoir. ![]() Un nouveau discours de la méthode socialiste![]() En tant que socialistes, il nous faut alors tirer toutes les conséquences de cette mutation philosophique essentielle. Il ne s’agit nullement de se résigner à l’ordre établi, ni d’accepter la fatalité d’inégalités " naturelles ". Il s’agit au contraire de reposer aujourd’hui avec pertinence la question fondamentale de ce que peut être pour nous une " société juste ". Il s’agit de redéfinir ainsi les nouveaux objectifs politiques, les " nouvelles frontières " du socialisme dans sa lutte de toujours contre l’injustice sociale. Dans cette perspective, il est clair qu’une question comme l’égalité des chances réelle, " l’égalité des possibles ", longtemps négligée au profit d’une vision statique centrée sur la seule redistribution, devient essentielle. Nous pouvons accepter certaines inégalités de condition dès lors que l’accès aux fonctions sociales les mieux rémunérées, les plus valorisées, est effectivement ouvert à tous, indépendamment du milieu d’origine, des conditions initiales d’existence. Nos propositions pour instaurer une " seconde chance ", à travers la formation tout au long de la vie, s’inscrivent dans cette logique. Mais face à l’ampleur des difficultés et la force persistante des phénomènes de " reproduction sociale ", il nous faudra aller beaucoup plus loin dans nos propositions. Prolongeant ce qui a été entrepris par exemple avec les ZEP, il nous faudra introduire une véritable politique de " discrimination positive " à la française, mettant en jeu des actions structurelles et durables dans les domaines clés de l’éducation et du logement. De manière plus générale, nous devons renouer, dans les prochaines années, avec une ambition transformatrice. Ayant vécu dans l’envoûtement du marxisme, nous avons sans doute longtemps considéré le réformisme social-démocrate comme un pis aller, une gestion utile mais transitoire du système. L’idée de la rupture s’est certes aujourd’hui effacée de nos esprits. Mais une sorte de nostalgie révolutionnaire, de " surmoi marxiste " imprègne encore trop souvent notre psychologie collective, nous empêchant de nous réinvestir dans la recherche d’un véritable idéal social-démocrate. Nous devons sortir désormais du pragmatisme quelque peu désabusé dans lequel nous avons tendance à évoluer depuis vingt ans, nous défaire de l’idée qu’entre l’utopie de la rupture et la gestion quotidienne, il n’y a rien. Cessons d’être des orphelins de la révolution, passons d’un réformisme résigné à un réformisme enthousiaste, assumons une fois pour toute ce dernier pour pouvoir enfin le penser comme un projet abouti, donnons lui enfin sa dimension d’utopie. A la mauvaise radicalité de l’extrême gauche, procédant d’un déni du réel, d’un refus des responsabilités, nous devons ainsi opposer, dans les prochaines années, la bonne radicalité d’un réformisme ambitieux, articulé à de véritables objectifs de transformation sociale à long terme. Cette ambition devra s’exprimer notamment dans une nouvelle approche de la question sociale. Si elle n’épuise pas le sujet, la question de la redistribution demeure essentielle. Plutôt que de procéder, quand nous sommes au pouvoir, au coup par coup, en fonction des circonstances du moment, nous devrons expliciter alors le système social et fiscal idéal vers lequel nous voudrions aller. Nous pourrons ainsi inscrire nos réformes successives dans cette cohérence de long terme et donner à notre action le sens et la lisibilité qui leur manque aujourd’hui. ![]() Nous devrons en premier lieu diminuer le poids de la culture ministérielle et technocratique dans notre approche des problèmes. La banalisation de l’alternance et notre transformation en parti de gouvernement, ont engendré une culture nouvelle. Assumant plus souvent et plus longuement la responsabilité de devoir faire fonctionner les leviers complexes du pouvoir, nous avons fait une place croissante en notre sein à la technocratie de l’appareil d’Etat. En devenant ministres, les dirigeants du parti ont eux-mêmes été amenés à délaisser quelque peu les anciennes préoccupations idéologiques pour se recentrer sur le traitement des " dossiers ", l’acquisition de compétences plus " techniques ". Ces évolutions ont incontestablement assis la crédibilité de notre parti et privé la droite de l’argument de l’incompétence qu’on entendait encore dans les années 70. Mais notre manière d’appréhender la réalité sociale et de définir nos politiques s’en est peu à peu trouvée modifiée. Elles ont aussi contribué à retarder, du même coup, notre rénovation doctrinale. Nous devons donc aujourd’hui, non pas rompre avec cette culture, qui est un acquis de notre expérience, mais la remettre à sa juste place. Notre réflexion et notre action ne doivent plus être enfermées a priori dans les contraintes imposées par les " experts ", dans le langage et la logique stérilisante des " dispositifs " et des " mesures ". Pour réussir demain notre rénovation doctrinale, il nous faudra, dans l’élaboration de nos futurs programmes, remettre au contraire la politique au poste de commande, s’appuyer sur des analyses globales de la société, et commencer par définir clairement, en amont, nos véritables objectifs politiques. Mais nous devrons tout autant nous départir du culte du " terrain ". Notre réticence vis à vis de la réflexion doctrinale a parfois tenu aussi, ces dernières années, au sentiment qu’un certain nombre d’électeurs sont devenus méfiants à l’égard des " grandes théories ". Qu’il faille écouter les aspirations de notre base sociale, qu’il faille faire preuve de pédagogie et traduire, le moment venu, nos orientations dans des propositions concrètes et compréhensibles de tous est une évidence. Mais ne nous trompons pas, là non plus, de diagnostic : les Français, et plus particulièrement les électeurs de gauche, attendent aussi aujourd’hui une offre politique forte, qui réponde aux grands enjeux de la période, et leur donne envie d’aller voter. Incapable de produire ce sens global, le discours sur le " terrain " tourne souvent à vide et participe au contraire d’un affaiblissement des clivages, d’une dépolitisation générale qui font souvent le jeu de la droite. Pour être capables de répondre demain aux aspirations réelles de notre électorat, il nous faut au contraire accepter le détour par la réflexion idéologique. L’histoire du socialisme nous montre comment une doctrine parfois abstraite, le marxisme, a pu dans le passé forger des consciences, mobiliser les masses et contribuer, au total, à modifier la réalité. Loin de s’opposer, comme on le croit parfois, le discours technocratique et le discours du terrain sont en réalité les deux facettes d’une même lacune, d’une même absence de vision globale, avec laquelle nous devons rompre dans les années qui viennent. ![]() Dans le même temps, l’attachement excessif aux idées du passé génère parfois une forme de conservatisme intellectuel et d’inertie qui nous empêchent d’avancer. Nos présupposés idéologiques libertaires, hérités de la lutte des années 60-70 contre la société bourgeoise et l’ordre moral, ont clairement retardé par exemple notre capacité à prendre en compte les nouveaux besoins sociaux d’ordre, d’autorité, ou les effets ambivalents à long terme des processus de libéralisation de la vie personnelle. Sur les questions – internationales, économiques, sociales,… - où notre orientation pratique a beaucoup évolué, nos analyses, nos orientations, notre langage portent encore souvent aussi la trace d’anciens réflexes - anti-américanisme de principe, fétichisation du capital public, recours au vocabulaire le plus traditionnel de la lutte des classes,…- qui ne nous permettent pas d’aborder pleinement les défis contemporains. Pour réussir notre actualisation idéologique, nous devons sortir du rapport au passé, nous tourner davantage vers le présent et l’avenir, renouer avec une dialectique vivante du réel et de la pensée. Plutôt que d’être, en bloc, " marxiste " ou " anti-marxiste ", " pour " ou " contre " mai 68, …nous devrons partir des réalités telles qu’elles se posent aujourd’hui, et essayer de voir alors, avec un regard neuf, ce qui demeure pertinent dans l’héritage doctrinal, mais aussi ce qui est remis en cause par les mutations historiques et nécessite alors l’élaboration de réponses profondément nouvelles. |
III/ Éléments | |
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IV/ Regénérer le Parti socialiste | |
Le lancement d’un nouveau cycle idéologique supposera, on l’a dit, de réunir un certain nombre de conditions politiques, intellectuelles, psychologiques favorables, témoignant d’un changement d’état d’esprit de notre parti. Mais les blocages, les facteurs – la nostalgie encore vivace de la rupture, la force d’inertie des réflexes idéologiques, le poids excessif des experts, …- qui ont retardé jusqu’ici notre rénovation doctrinale renvoient aussi, en profondeur, à la composition sociologique et au mode de fonctionnement de notre parti. Nous assistons, de ce point de vue aussi, à la fin du cycle d’Epinay. L’un des grands succès du Parti socialiste fut de provoquer, à l’époque, un réel renouvellement des forces militantes et de ses cadres. En passant de 70.000 adhérents en 1971 à 200.000 à l’orée des années 80, le parti ne se transforma certes pas en parti de masses mais il connut néanmoins une dynamique militante qui nous permit de partir à la conquête des villes et des circonscriptions, des départements et des régions. L’afflux de ces nouvelles forces favorisa la poursuite du renouvellement des cadres, le développement de nouvelles fédérations, la conquête de nouveaux bastions. Sans améliorer l’ancrage ouvrier de notre parti, il contribua en tout cas à un certain renouvellement sociologique, avec l’arrivée de nouvelles couches salariées, et à un rajeunissement important par rapport à la vieille SFIO. Plus de trente années plus tard, notre parti est progressivement redevenu ce qu’était la SFIO : un parti d’élus disposant de points d’appuis importants dans de nombreuses villes mais ayant bien du mal à renouveler ses militants, ses cadres. La génération de militants et d’élus née avec les succès municipaux de 1977 n’a pas été remplacée et a connu parfois en 2001 la défaite face à des candidats de droite assez jeunes ayant pour eux, essentiellement, d’incarner le changement. Les constats régulièrement établis par le Cevipof sont particulièrement cruels : nous sommes un parti vieillissant, comportant très peu d’adhérents de moins de quarante ans. Nous sommes un parti peu féminisé, en dépit de nos efforts pour promouvoir la parité, peu représentatif également de la diversité des origines qui façonne la société française d’aujourd’hui. Nous sommes un parti à la base socio-professionnelle étroite, accusant une sur-représentation du " salariat protégé " et des hauts niveaux de qualification. Ces phénomènes contribuent à expliquer notre difficulté à entreprendre notre actualisation idéologique et à ressentir les mutations de notre société. Le manque d’empressement à redéfinir une utopie réformiste, le pragmatisme désabusé ou sans vision avec lequel nous envisageons trop souvent notre action, sont d’abord la réaction normale de militants et de responsables qui ont vécu de près ou de loin les espoirs des années 70 et les désillusions des années 80-90 ou qui se sont formés dans l’expérience même du pouvoir. De façon tout à fait naturelle, le vieillissement d’une formation politique diminue par ailleurs son désir de rénovation doctrinale. Même s’il est fragilisé par les leçons de l’expérience, l’acquis idéologique du passé, forgé parfois dans les combats de jeunesse, bénéficie d’un attachement affectif qui n’incite pas toujours aux remises en question nécessaires. De la même manière, notre étroitesse sociologique, quand elle ne nous enferme pas dans des réflexes corporatistes nous éloignant de l’intérêt général, ne favorise pas notre capacité à comprendre les nouvelles réalités économiques, les transformations qui affectent par exemple le secteur privé, les aspirations qui en découlent. Le thème du renouvellement générationnel et sociologique n’est pas et ne doit donc pas être un gadget de Congrès. Il ne se limite pas à la revendication, par ailleurs légitime, d’un meilleur équilibre des générations, des sexes, des origines personnelles et professionnelles, dans l’accès aux responsabilité. Il est plus largement lié à l’exigence d’une rénovation doctrinale. Regénération idéologique et humaine sont, de ce point de vue, des impératifs convergents. Le traumatisme du 21 avril, la présence au second tour de l’élection présidentielle de Jean Marie LE PEN, ont récemment provoqué, certes, un flux non négligeable de nouveaux adhérents, et contribué à amorcer ce nécessaire renouvellement. Ce flux représente une véritable bouffée d’air car, on compte, parmi ces adhérents nouveaux plus de jeunes, de femmes, plus de salariés du privé, ou de personnes appartenant aux catégories sociales ayant délaissé le PS (les employés notamment). Mais il serait cependant bien imprudent de croire que l’objectif est ainsi atteint. Le passé l’a montré à plus d’une occasion : l’adhésion est un geste fort, mais elle n’implique pas mécaniquement un engagement militant durable. Si 75 % des membres du Parti d’aujourd’hui ne l’étaient pas 1981, c’est plus en raison d’un turnover rapide que d’un véritable renouvellement. Son mode de fonctionnement actuel ne fait pas en effet de notre parti une formation politique très attractive, offrant des réelles motivations de militer sur la durée à ceux et celles qui la rejoignent. Trop souvent considérés comme de simples renforts pour le collage, pour la distribution, pour les présences militantes, les nouveaux adhérents se lassent souvent assez vite de leur manque d’influence sur l’élaboration des orientations du parti. Il ressentent, comme tous les autres, le caractère trop souvent formel de notre démocratie interne et les écueils d’un parti structuré autour de ses élus, reproduisant en son sein les hiérarchies institutionnelles et les phénomènes de notabilisation. Ils ressentent le manque de débat idéologique et la disparition du parti comme " intellectuel collectif ". Pour mener à bien la régénération idéologique et humaine du parti, nous devons alors nous fixer l’objectif de conserver l’atout que représente les adhésions récentes et devenir, à moyen terme, un parti d’adhérents, beaucoup plus représentatif de la diversité sociale et générationnelle de la société française. La tâche n’est pas simple. Nous sommes confrontés, notamment dans la jeunesse, à un phénomène général de dépolitisation lié à l’individualisme et au matérialisme qui caractérisent les sociétés développées, à l’évolution des formes de la conflictualité sociale, à toute une série de facteurs qui entraînent la fin des modes traditionnels - milieu, éducation, luttes professionnelles…- d’acquisition de l’identité politique. Mais nous sommes dans l’opposition pour au moins quatre ans et nous avons le recul nécessaire pour engager les réformes organisationnelles nécessaires à la réalisation de cet objectif. ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() |
Collectif RéGénération : Laurent BAUMEL membre suppléant du Conseil national, secrétaire régional Champagne-Ardenne ; Laurent BOUVET ancien rédacteur en chef de la Revue Socialiste, Paris 5e Vincent FELTESSE membre suppléant du Conseil national, maire de Blanquefort (33) Cécile BEAUJOUAN rédactrice en chef de la Revue Socialiste Emeric BREHIER Seine-et-Marne Joël CARRERAS membre suppléant du Conseil national, secrétaire fédéral, 31 Damien CESSELIN conseiller municipal de Cabourg, délégué fédéral, 14 Lisa FRATACCI Paris 5e Xavier GARCIA conseiller municipal de Cantaron, 06 Jean-Henri GONTARDVaucluse Frédéric HERVO secrétaire fédéral, 28 Rodolphe KAUFMANN 06 Philippe LASNIER Paris 3e Romaric LAZERGES 34 Denis MAILLARD Paris 18e Sandrine MARTIN conseillère municipale de Poitiers, 86 Gilles MOEC adjoint au maire de Fontenay-sous-Bois, 94 Marc PETRY secrétaire fédéral, 08 Olivia POLSKY Paris 14e Marie-Nadine PRAGER Paris 15e Jérôme TOURNADRE Paris 4e Patrick VOLPIHAC 33 Raphaëlle YON-ARAUD Paris 9e Yvan ZERBINI délégué fédéral, 92 |
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