Pour un réformisme socialiste :
prendre l'avenir au sérieux

Laurent Baumel
Laurent
Baumel

 Contribution générale au congrès national de Dijon du Parti socialiste
présentée par le " Collectif RéGénération "
18 janvier 2003

 
Nous sommes aujourd’hui à un tournant important de notre histoire : celle du monde, celle de notre pays et celle de la gauche. Les transformations de la société française comme les bouleversements de l’ordre du monde posent de nouvelles questions ou conduisent à la reformulation profonde des plus anciennes. Il devient difficile, voire impossible, de penser et d’agir dans le monde contemporain en continuant d’utiliser de vieilles recettes doctrinales ou tout simplement de rester attaché à une vision de la société forgée dans les années 1970 ou même 1980. Ce serait se condamner à l’impuissance et, plus grave encore, à l’échec.

Face à ces bouleversements, nous devons nous engager de manière déterminée dans la construction d’un projet politique de grande ampleur qui ne soit ni un simple manifeste électoral ni un pamphlet contre la société et le monde contemporains que l’on devrait changer de fond en comble pour pouvoir enfin être heureux ! Nous ne pouvons plus nous contenter aujourd’hui de ce grand écart permanent entre un penchant gestionnaire qui stérilise l’action publique et une radicalité gratuite qui la rend irrémédiablement inopérante.

Construire un tel projet politique renvoie aujourd’hui à un important effort d’analyse et de compréhension des transformations à l’œuvre dans la société française et dans le monde qui l’entoure, un effort que le Parti ne fait plus depuis trop longtemps. L’explication donnée à la défaite du printemps 2002 est symptomatique de ce défaut, ou de ce refus, de prendre en compte des réalités économiques, sociales ou culturelles qui ne correspondent plus aux schémas traditionnels de la gauche. Ainsi le PS n’a-t-il pas tant perdu les élections du printemps 2002 parce qu’il n’a pas été assez de gauche ou pas assez de droite mais plus simplement parce qu’il ne comprend plus la société française et qu’il n’est plus capable d’en lire les aspirations essentielles. Au défaut de l’offre politique, incontestable, s’ajoute ainsi aujourd’hui une très grande difficulté à comprendre la demande. Ce qui est dit ainsi de manière rapide renvoie en réalité à un double phénomène aux interactions complexes : non seulement, comme s’accordent à le diagnostiquer bon nombre d’observateurs, la société française est devenue particulièrement illisible, mais encore le PS n’a pas su réformer ses outils de lecture et d’analyse. Les explications de ce double phénomène sont bien connues.

D’une part, la société est devenue illisible en raison de la diversification des situations et parcours individuels, de la multiplication des appartenances et identités, mais encore de la contradiction de plus en plus flagrante, inscrite en chacun de nous, entre aspirations individuelles légitimes et inscriptions collectives indispensables – et ce quelle que soit la classe ou la catégorie sociale à laquelle on appartient. Bref, la représentation de la société est devenue un véritable casse-tête que les nombreuses politiques publiques mises en place depuis une vingtaine d’années ne parviennent plus à résoudre.

D’autre part, le Parti socialiste est resté ancré dans des représentations et des schémas d’appréhension de la société forgés pour l’essentiel au moment de son ascension vers le pouvoir dans les années 1970 (critique marxiste du capitalisme, homogénéité du salariat, efficacité immédiate de l’action des pouvoirs publics, prééminence de la loi dans l’action publique, libéralisation des mœurs et traitement libéral généralisé des comportements individuels…) tout en menant une fois arrivé au pouvoir, dans les années 1980 et 1990, une politique d’ajustement au plus près d’une réalité économique et sociale déprimée par la crise. L’écart grandissant, à partir de 1982-1983, entre un " gauchisme d’estrade " lyrique, héritage de la période précédente, et une politique au pragmatisme brutal mais n’osant dire son nom, ayant achevé de ruiner tout effort de renouvellement doctrinal un tant soit peu sérieux.

C’est cette politique de l’autruche face à la réalité du monde qui nous entoure, doublée d’un grand écart idéologique intenable et d’un silence doctrinal assourdissant, qui s’est fracassée, de manière exorbitante, sur le mur électoral du printemps 2002. Le Parti socialiste, et avec lui la gauche française, ne peut plus désormais, au risque de son éloignement prolongé du pouvoir (et de sa disparition programmée du paysage politique), échapper à un travail, sans doute long et douloureux, de rénovation voire de révolution doctrinale.

C’est à ce travail que nous appelons chaque membre du Parti, c’est à ce travail que nous comptons bien nous atteler dès maintenant.

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I/ La rénovation doctrinale,
enjeu central de la période

 

Fin de cycles

    La période actuelle peut être interprétée comme marquant la fin de trois cycles et avec eux des certitudes et des réponses toutes faites qu’ils supposaient.

    La fin d’un cycle court : celui du gouvernement de la gauche plurielle

    Nous avons d’abord vécu, le 21 avril 2002, la fin, brutale, d’un cycle court de la politique française à l’occasion de la défaite de Lionel Jospin à l’élection présidentielle, suivie de peu par la déroute des législatives, marquant l’arrêt de l’expérience d’une gauche plurielle au pouvoir depuis cinq ans. La fin de ce cycle court, quelles que soient les explications que l’on puisse donner de la défaite, est celle d’un espoir, né en 1997, d’une politique de la gauche tournée à la fois vers l’impératif de l’efficacité et vers celui de la volonté politique.

    La fin d’un cycle long : celui du communisme

    Nous vivons également la fin d’un cycle long de l’histoire contemporaine, déterminant et prépondérant pour la gauche, celui du communisme et de son influence tout au long du XXème siècle. Certes, les analyses sur le totalitarisme soviétique, les crises économiques et sociales des années soixante-dix, comme les expériences gouvernementales lézardaient depuis longtemps les certitudes identitaires de chacun et, au-delà, les frontières protégeant, d’une part, la gauche de la droite, le PS du PC, d’autre part. Mais la chute du Mur de Berlin en novembre 1989 a entraîné des conséquences considérables dont nous commençons seulement à mesurer les effets : qu’il s’agisse des réalignements électoraux que nous avons connus ces dernières années ou, dans un tout autre genre, de l’entrée dans l’Union européenne d’anciens " pays de l’Est ". La fin de ce cycle long marque surtout pour les socialistes la levée enfin vérifiée de l’hypothèque communiste qui a longtemps pesé sur leur légitimité à incarner la gauche. Et même si nous n’en avons pas fini aujourd’hui avec tous les effets induits de cette longue comparaison ou de cette longue domination symbolique - il n’est qu’à constater combien le " surmoi marxiste " ou " le complexe gauchiste " continue de peser au sein de la gauche - nous en avons au moins fini avec l’illusion paralysante, quand elle n’a pas été destructrice, d’une réelle alternative révolutionnaire au réformisme.

    La fin d’un cycle de moyen terme : celui d’Epinay

    Le Congrès d’Epinay, en 1971, inscrit au Panthéon socialiste, est considéré à bien des égards comme le point de départ de la reconquête organisationnelle, militante et idéologique du courant socialiste en France. Il a marqué le début d’une " longue marche " vers le pouvoir qui s’est achevée avec la victoire de François Mitterrand le 10 mai 1981. " Epinay " a ainsi ouvert un moment clef de l’histoire de la gauche française en témoignant d’une triple logique : il s’agissait à la fois de la mise en œuvre d’une stratégie politique (celle de l’Union de la gauche et de l’étouffement du Parti communiste), de la définition progressive d’une nouvelle culture politique et d’un programme de société (autour du triptyque : nationalisation, planification, autogestion) et, in fine, de l’émergence d’une génération politique en charge des deux premières (celle du baby boum qui réunit les cohortes nombreuses nées dans l’immédiat après-guerre arrivées à la conscience politique à partir de la fin des années 1960) .

Un rendez vous toujours différe

    L’épuisement de ces deux derniers cycles - le cycle long du communisme et le cycle historique d’Epinay - pose alors notamment, depuis un certain nombre d’années, le problème crucial de notre rénovation idéologique.

    Celle-ci, pourtant, n’a jamais été sérieusement entreprise. Pressé par l’urgence, nous avons certes opéré, dès le début des années 80, un certain tournant pratique dans nos politiques, notamment économique. Mais ces adaptations sont restées parcellaires et impensées. Depuis vingt ans, les congrès de notre parti ont tendance à combiner jeux d’appareil et insignifiance idéologique. Aussitôt votés, nos textes, trop souvent technocratiques et indigestes, manquant d’ambition politique et de souffle, sont aussitôt oubliés par les militants et parfois par ceux-là mêmes qui les ont écrit.

    Censé être le grand rendez-vous idéologique du socialisme français avec lui-même, le Congrès de l’Arche, il y a dix ans, a été, de ce point de vue, un fiasco symptomatique de notre désinvestissement doctrinal. Or malgré les apparences, la tendance ne s’est pas véritablement inversée depuis. Malgré nos multiples conventions thématiques, malgré des efforts ponctuels ça et là, malgré les velléités théoriques contenues dans les premiers discours de Lionel Jospin à l’Université d’été du Parti à La Rochelle, le socialisme français est sorti, à nouveau, de la dernière législature sans avoir véritablement entrepris sa nécessaire redéfinition. Il reste, au total, une pratique, certes fondée sur des valeurs, mais une pratique sans doctrine, dont la cohérence se délite souvent à l’épreuve des difficultés.

    Signe, entre autres, de cette faiblesse idéologique, nous n’avons pas su proposer collectivement il y a quelques années, au moment où tous les regards étaient braqués sur les débats du socialisme européen, une véritable réponse " française ", globale et identifiante, à la " troisième voie " de Tony Blair.

21 avril : quand le coût devient electoral

    La défaite du printemps dernier constitue sans doute la première véritable sanction électorale de notre immobilisme doctrinal depuis vingt ans.

    Pendant longtemps, cet immobilisme n’a sans doute pas eu de coût électoral majeur. François Mitterrand nous avait appris " qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens ". Malgré le " tournant de la rigueur ", la gauche ne fut pas balayée aux élections législatives de 1986 et revint en 1988. Beaucoup plus lourde, la déroute de 1993 avait aussi davantage sanctionné une dérive politique et morale, que l’absence de doctrine à proprement parler. Le " rétablissement " initié par Lionel Jospin, avait permit, là aussi, de tirer parti dès 1997 des erreurs de la droite. Moins lourde, moins grave en apparence que celle de 1993, la défaite de 2002 pourrait constituer, en un sens, la première véritable sanction électorale de notre immobilisme doctrinal prolongé. Pour la première fois peut être, la " contradiction " entre les mutations de la société et une réflexion politique insuffisamment renouvelée est devenue en effet une contradiction directe entre les demandes de l’électorat et notre offre politique.

    Telle est sans doute la signification historique profonde du " 21 avril ". Certes, l’absence de la gauche au deuxième tour des présidentielles a été, à bien des égards, un accident. Tout a été dit, à ce stade de notre débat interne, sur le rôle des circonstances : la campagne ratée, les erreurs de communication et de tempo, les lacunes et faiblesses du programme, l’exploitation démagogique des problèmes d’insécurité, l’éclatement de la gauche plurielle, l’irresponsabilité politique de l’extrême-gauche, le déraillement généralisé du premier tour, l’illusion entretenue par les sondages d’une qualification acquise d’avance,… Mais si elle pouvait sans doute être évitée, la défaite n’en vient pas moins de loin.

    Revenus au pouvoir avec des réponses volontaristes et nouvelles à la question du chômage, nous étions en 1997 politiquement en phase avec les attentes immédiates du pays. Mais avec l’amélioration de la situation économique, la " culture de crise " s’est estompée ou déplacée vers d’autres objets, tels que la sécurité ou le " partage des fruits de la croissance ". Le voile du chômage s’est alors déchiré sur cette nouvelle société française hétérogène, fragmentée, divisée, traversée par une multiplicité de revendications catégorielles contradictoires très difficile à appréhender et à satisfaire.

    Dans cette fin de mandature, où le programme initial parvenait à épuisement, comme dans la campagne présidentielle, il aurait fallu proposer au pays de nouvelles priorités, produire une vision d’intérêt général forte, un nouveau projet de société, susceptibles de contenir l’exacerbation de l’individualisme, de " cadrer " les revendications dans une perspective globale. Mais face à la demande de sécurité, comme face aux mouvements sociaux, nous avons flotté. Les réformes se sont poursuivies mais sans être jamais expliquées ou mises en scène dans une vision d’ensemble. Premier Ministre sortant, Lionel Jospin a vu alors converger sur lui l’ensemble des frustrations et des mécontentements du moment.

    Même si elle a pu tenir à des considérations tactiques, la difficulté à redéfinir un projet politique en 2000 comme en 2002 a mis en exergue, de ce point de vue, les conséquences de nos lacunes doctrinales. Si nous n’avons pas su répondre en 2000-2002 à la montée de la préoccupation sécuritaire, c’est parce nous ne sommes plus tout à fait au clair sur les principes qui nous guident dans ce domaine, oscillant entre notre désir de répondre à la demande d’ordre et de règles qui émane du pays et nos réflexes idéologiques hérités des années 1960-1970. Si nous n’avons pas su réagir aux multiples attentes libérées par la baisse du chômage, c’est que nous n’avons pas suffisamment réfléchi, de même, à nos nouveaux objectifs dans cette société en profonde mutation.

    Les mêmes causes étant susceptibles de produire les mêmes effets, il ne suffira plus forcément cette fois, pour revenir au pouvoir, de s’opposer à la droite, en espérant le retour mécanique du balancier. Longtemps différée, négligée, la rénovation doctrinale s’impose donc désormais, sur les décombres du " 21 avril ", comme une nécessité incontournable.

L'enjeu de la periode

    Nous ne devons donc pas nous tromper sur l’enjeu de la période pour le socialisme français :

    L’enjeu de la période n’est pas d’abord le leadership. Ne nous laissons pas entraîner, de ce point de vue, dans le faux débat que la pression médiatique pourrait nous imposer. Le départ précipité de Lionel Jospin au soir du 21 avril soulèvera bien sûr à terme le problème de l’incarnation pour un parti qui a choisi d’inscrire son action dans le cadre des institutions démocratiques, et en particulier aujourd’hui de la Vème République. Mais, contrairement à d’autres formations politiques, le PS ne s’est jamais réduit à n’être que l’instrument d’une ambition personnelle. Il est d’abord l’expression d’un mouvement historique et collectif, de l’engagement à travers les décennies de centaines de milliers d’individus au nom d’un idéal de justice sociale que ses chefs n’ont pas d’autres vocation que de servir. Ce qui pose problème à l’évidence aujourd’hui ce n’est alors pas tant l’identité du futur candidat aux présidentielles – qui sera désigné le moment venu - que, répétons-le, le sens que nous parvenons à donner, en amont, à cet engagement socialiste, dans le paysage économique, social, culturel profondément transformé de ce début de siècle.

    L’enjeu de la période n’est pas simplement la clarification de notre " ligne " sur telle ou telle question ponctuelle. Sur des dossiers d’actualité touchant à la protection sociale, aux services publics, à l’immigration,…les positions du parti doivent bien sûr être précisées. Mais, de même qu’il serait illusoire de croire que nous avons perdu en 2002 simplement parce que nous n’étions pas " assez à gauche ", il serait illusoire de réduire l’enjeu de la période à des clarifications ponctuelles sur les retraites ou le capital d’EDF. Ce qui est en jeu, c’est bien au delà et beaucoup plus fondamentalement, notre capacité à analyser les mouvements qui affectent la société et à définir une offre politique globale embrassant l’ensemble des problèmes contemporains.

    L’enjeu des prochaines années est d’abord stratégique. L’éclatement de la gauche plurielle, la montée en puissance d’une nébuleuse néo-gauchiste exerçant sa pression sur l’ensemble des formations de l’ancienne coalition parlementaire, conduisent à reposer l’éternel problème de l’équation électorale. Nous devons, une fois de plus, proposer à nos partenaires une formule organisationnelle, et en amont, une méthode de discussion permettant de concilier la diversité inhérente à la gauche française avec un objectif de rassemblement des forces et d’agrégation électorale victorieuse.

    Mais l’enjeu principal est bien la rénovation doctrinale. En 2002, comme en 1969, la gauche a été absente du deuxième tour de l’élection présidentielle. L’analogie vaut ce qu’elle vaut, mais le Congrès de Dijon doit sonner le départ, comme celui d’Epinay il y a 30 ans, d’un nouveau cycle historique. Redéfinir le socialisme du temps présent, telle est bien notre première tâche politique dans les années qui viennent.

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II/ Les conditions
d'une rénovation réussie

 

Assumer notre réformisme

    Ce chantier de la rénovation doctrinale s’étendra sur plusieurs années. A l’image de ce qu’avaient fait les travaillistes britanniques en préambule de leur programme électoral de 1997, nous devons nous fixer l’objectif de pouvoir exposer une nouvelle vision de notre socialisme aux électeurs à l’horizon 2007. L’expérience des dernières décennies montre toutefois qu’il ne suffit pas de proclamer une volonté dans ce domaine. Pour relever ce défi collectif, nous devrons aussi réunir un certain nombre de conditions, lever les obstacles – intellectuels, psychologiques, pratiques - qui nous ont conduit, depuis près de vingt ans, à différer sans cesse ce nécessaire travail d’actualisation idéologique :

       Pour réussir notre rénovation doctrinale, nous devrons, dans la période qui vient, assumer beaucoup plus clairement notre réformisme. Jusqu’en 1981, à travers notamment le programme commun, nous avons maintenu la perspective officielle d’une " rupture " avec le capitalisme. Nous soutenions certes, en pratique, la construction de l’Etat-providence, des droits sociaux à l’intérieur du système, mais ce compromis était par définition transitoire, en attendant l’instauration d’une société socialiste.

      Cette période est révolue : le Parti socialiste est aujourd’hui clairement un parti réformiste, au sens que l’histoire du mouvement ouvrier a donné à ce terme, ne fait plus de doute pour personne. Nous continuons, bien entendu, de refuser vigoureusement les injustices et les dégâts de toutes sortes – sociaux, écologiques, économiques mêmes,…- créés par le marché livré à lui-même. Nous continuons de vouloir encadrer, réguler, domestiquer le capitalisme. Mais, tirant les leçons de l’expérience, nous avons reconnu aussi, depuis longtemps déjà, la force de ce dernier pour générer des richesses et assurer la satisfaction globale des besoins de consommation légitimes. Notre action s’inscrit donc désormais durablement, structurellement, dans la logique d’un compromis avec le capitalisme et l’économie de marché.

       Nous devons alors aujourd’hui assumer beaucoup plus clairement cette identité pour répondre politiquement à l’extrême-gauche. Quoiqu’il dise, quoiqu’il fasse, quelle que soit sa politique, le Parti socialiste est depuis quelques années sous le feu d’une critique virulente et systématique de la part de la nébuleuse dite " radicale ". Ces attaques, qui vont jusqu’à nier les différences entre la droite et la gauche, finissent – on le sait - par porter leurs fruits dans l’électorat.

      Face à cette situation, nous avons parfois tendance à essayer de donner des gages, à nous excuser d’être ce que nous sommes. Cette posture défensive, qui valide implicitement le procès qui nous est fait, constitue une erreur politique. L’extrême gauche d’aujourd’hui n’est peut être plus très claire sur son projet " révolutionnaire ", mais elle reste structurée par l’idée que tout compromis avec le capitalisme est en soi une erreur. Sous couvert de dénoncer des politiques pas " assez à gauche ", ce qu’elle rejette à travers nous c’est, en vérité, l’idée même d’exercer le pouvoir démocratique dans un système capitaliste. Si nous devons certes renouer un dialogue constructif avec les composantes du mouvement social qui le souhaitent et y sont prêtes, il est donc dangereux et illusoire de courir après ceux qui nous considèreront toujours, par définition, comme des " sociaux-traîtres ".En assumant politiquement notre réformisme, parfaitement légitime dans une société qui ne souhaite pas la rupture avec l’économie de marché, nous pouvons au contraire poser clairement le vrai débat de savoir s’il est utile pour le pays, pour les salariés, pour les plus modestes, qu’existe une gauche acceptant d’exercer les responsabilités dans ce cadre. En assumant politiquement notre réformisme, nous pouvons inverser la charge de la preuve en pointant l’inutilité et l’inconséquence actuelle d’un gauchisme qui n’offre aujourd’hui pas d’autre alternative réelle aux catégories populaires qu’elle prétend défendre, que de faciliter en pratique l’accès de la droite au pouvoir.

       Nous devons assumer beaucoup plus clairement cette identité pour prévenir ensuite notre propre régression idéologique. Notre parti n’est certes pas menacé par le syndrome gauchiste. Aucun de nos dirigeants ne refuse sa part de responsabilité lorsque nous exerçons le pouvoir. Mais nous devons combattre la tentation, récurrente dans notre histoire, et naturelle après une défaite, de nous laisser aller à une rhétorique de rupture qui nie ou passe sous silence les contraintes que nous sommes amenés à prendre en compte, les équilibres que nous sommes amenés à rechercher lorsque nous gouvernons. Il existe naturellement une discussion légitime sur l’utilisation que nous avons faite des marges budgétaires ou sur tel ou tel autre aspect de notre bilan, comme sur nos positions politiques actuelles. Mais ne nous abandonnons pas, sous prétexte que nous sommes dans l’opposition, au confort et à l’illusion d’un discours démagogique qui nous ramènerait en arrière sans pour autant accroître notre crédit.

Un nouveau discours de la méthode socialiste

       Mais nous devons aussi et surtout assumer notre réformisme pour lui ouvrir de nouveaux horizons et de nouvelles ambitions. Pendant des décennies, nous avons pensé ou dit qu’au delà des politiques redistributives immédiates, la véritable justice sociale ne pourrait venir que d’une rupture profonde avec le capitalisme, que d’une socialisation plus moins importante des moyens de production. En projetant l’idée d’une société où chacun recevrait " selon ses besoins ", le marxisme nous dispensait d’aller beaucoup plus loin dans la réflexion sur les inégalités. En acceptant désormais l’économie de marché comme une composante du fonctionnement de notre société, nous acceptons au contraire implicitement de vivre dans une société où les inégalités seront, par nature, toujours présentes et, pour certaines d’entre elles, inhérentes à la dynamique même du système.

      En tant que socialistes, il nous faut alors tirer toutes les conséquences de cette mutation philosophique essentielle. Il ne s’agit nullement de se résigner à l’ordre établi, ni d’accepter la fatalité d’inégalités " naturelles ". Il s’agit au contraire de reposer aujourd’hui avec pertinence la question fondamentale de ce que peut être pour nous une " société juste ". Il s’agit de redéfinir ainsi les nouveaux objectifs politiques, les " nouvelles frontières " du socialisme dans sa lutte de toujours contre l’injustice sociale.

      Dans cette perspective, il est clair qu’une question comme l’égalité des chances réelle, " l’égalité des possibles ", longtemps négligée au profit d’une vision statique centrée sur la seule redistribution, devient essentielle. Nous pouvons accepter certaines inégalités de condition dès lors que l’accès aux fonctions sociales les mieux rémunérées, les plus valorisées, est effectivement ouvert à tous, indépendamment du milieu d’origine, des conditions initiales d’existence. Nos propositions pour instaurer une " seconde chance ", à travers la formation tout au long de la vie, s’inscrivent dans cette logique. Mais face à l’ampleur des difficultés et la force persistante des phénomènes de " reproduction sociale ", il nous faudra aller beaucoup plus loin dans nos propositions. Prolongeant ce qui a été entrepris par exemple avec les ZEP, il nous faudra introduire une véritable politique de " discrimination positive " à la française, mettant en jeu des actions structurelles et durables dans les domaines clés de l’éducation et du logement.

      De manière plus générale, nous devons renouer, dans les prochaines années, avec une ambition transformatrice. Ayant vécu dans l’envoûtement du marxisme, nous avons sans doute longtemps considéré le réformisme social-démocrate comme un pis aller, une gestion utile mais transitoire du système. L’idée de la rupture s’est certes aujourd’hui effacée de nos esprits. Mais une sorte de nostalgie révolutionnaire, de " surmoi marxiste " imprègne encore trop souvent notre psychologie collective, nous empêchant de nous réinvestir dans la recherche d’un véritable idéal social-démocrate.

      Nous devons sortir désormais du pragmatisme quelque peu désabusé dans lequel nous avons tendance à évoluer depuis vingt ans, nous défaire de l’idée qu’entre l’utopie de la rupture et la gestion quotidienne, il n’y a rien. Cessons d’être des orphelins de la révolution, passons d’un réformisme résigné à un réformisme enthousiaste, assumons une fois pour toute ce dernier pour pouvoir enfin le penser comme un projet abouti, donnons lui enfin sa dimension d’utopie. A la mauvaise radicalité de l’extrême gauche, procédant d’un déni du réel, d’un refus des responsabilités, nous devons ainsi opposer, dans les prochaines années, la bonne radicalité d’un réformisme ambitieux, articulé à de véritables objectifs de transformation sociale à long terme.

      Cette ambition devra s’exprimer notamment dans une nouvelle approche de la question sociale. Si elle n’épuise pas le sujet, la question de la redistribution demeure essentielle. Plutôt que de procéder, quand nous sommes au pouvoir, au coup par coup, en fonction des circonstances du moment, nous devrons expliciter alors le système social et fiscal idéal vers lequel nous voudrions aller. Nous pourrons ainsi inscrire nos réformes successives dans cette cohérence de long terme et donner à notre action le sens et la lisibilité qui leur manque aujourd’hui.

       Pour réussir notre rénovation doctrinale, nous devrons ensuite faire émerger un nouvel état d’esprit, remettre la politique au poste de commande, croire à la force des idées.

      Nous devrons en premier lieu diminuer le poids de la culture ministérielle et technocratique dans notre approche des problèmes
      . La banalisation de l’alternance et notre transformation en parti de gouvernement, ont engendré une culture nouvelle. Assumant plus souvent et plus longuement la responsabilité de devoir faire fonctionner les leviers complexes du pouvoir, nous avons fait une place croissante en notre sein à la technocratie de l’appareil d’Etat. En devenant ministres, les dirigeants du parti ont eux-mêmes été amenés à délaisser quelque peu les anciennes préoccupations idéologiques pour se recentrer sur le traitement des " dossiers ", l’acquisition de compétences plus " techniques ". Ces évolutions ont incontestablement assis la crédibilité de notre parti et privé la droite de l’argument de l’incompétence qu’on entendait encore dans les années 70. Mais notre manière d’appréhender la réalité sociale et de définir nos politiques s’en est peu à peu trouvée modifiée. Elles ont aussi contribué à retarder, du même coup, notre rénovation doctrinale.

      Nous devons donc aujourd’hui, non pas rompre avec cette culture, qui est un acquis de notre expérience, mais la remettre à sa juste place. Notre réflexion et notre action ne doivent plus être enfermées a priori dans les contraintes imposées par les " experts ", dans le langage et la logique stérilisante des " dispositifs " et des " mesures ". Pour réussir demain notre rénovation doctrinale, il nous faudra, dans l’élaboration de nos futurs programmes, remettre au contraire la politique au poste de commande, s’appuyer sur des analyses globales de la société, et commencer par définir clairement, en amont, nos véritables objectifs politiques.

      Mais nous devrons tout autant nous départir du culte du " terrain ". Notre réticence vis à vis de la réflexion doctrinale a parfois tenu aussi, ces dernières années, au sentiment qu’un certain nombre d’électeurs sont devenus méfiants à l’égard des " grandes théories ". Qu’il faille écouter les aspirations de notre base sociale, qu’il faille faire preuve de pédagogie et traduire, le moment venu, nos orientations dans des propositions concrètes et compréhensibles de tous est une évidence. Mais ne nous trompons pas, là non plus, de diagnostic : les Français, et plus particulièrement les électeurs de gauche, attendent aussi aujourd’hui une offre politique forte, qui réponde aux grands enjeux de la période, et leur donne envie d’aller voter. Incapable de produire ce sens global, le discours sur le " terrain " tourne souvent à vide et participe au contraire d’un affaiblissement des clivages, d’une dépolitisation générale qui font souvent le jeu de la droite.

      Pour être capables de répondre demain aux aspirations réelles de notre électorat, il nous faut au contraire accepter le détour par la réflexion idéologique. L’histoire du socialisme nous montre comment une doctrine parfois abstraite, le marxisme, a pu dans le passé forger des consciences, mobiliser les masses et contribuer, au total, à modifier la réalité. Loin de s’opposer, comme on le croit parfois, le discours technocratique et le discours du terrain sont en réalité les deux facettes d’une même lacune, d’une même absence de vision globale, avec laquelle nous devons rompre dans les années qui viennent.

       Pour réussir notre rénovation doctrinale, nous devrons avoir la volonté d’aborder les problèmes d’aujourd’hui avec un regard véritablement neuf. Pour appréhender les défis auxquels nous sommes confrontés, nous ne partons évidemment pas de zéro. La progression de notre conscience collective se réalise par l’accumulation des expériences, des idées, et il est tout à fait important de conserver nos points de repères les plus solides, de ne pas perdre les acquis idéologiques de notre histoire. Rien n’est pire, de ce point de vue, que " l’excès de zèle " consistant, sous prétexte qu’il y a des révisions à opérer, à liquider totalement l’héritage, à prendre par principe le contre-pied complet de tout ce à quoi on a cru. A conclure par exemple, sous prétexte qu’elles se sont transformées, que les classes sociales ont purement st simplement disparu, ou sous prétexte qu’il faut reconnaître l’apport du marché, qu’il faut libéraliser tous les secteurs d’activité.

      Dans le même temps, l’attachement excessif aux idées du passé génère parfois une forme de conservatisme intellectuel et d’inertie qui nous empêchent d’avancer. Nos présupposés idéologiques libertaires, hérités de la lutte des années 60-70 contre la société bourgeoise et l’ordre moral, ont clairement retardé par exemple notre capacité à prendre en compte les nouveaux besoins sociaux d’ordre, d’autorité, ou les effets ambivalents à long terme des processus de libéralisation de la vie personnelle. Sur les questions – internationales, économiques, sociales,… - où notre orientation pratique a beaucoup évolué, nos analyses, nos orientations, notre langage portent encore souvent aussi la trace d’anciens réflexes  - anti-américanisme de principe, fétichisation du capital public, recours au vocabulaire le plus traditionnel de la lutte des classes,…- qui ne nous permettent pas d’aborder pleinement les défis contemporains.

      Pour réussir notre actualisation idéologique, nous devons sortir du rapport au passé, nous tourner davantage vers le présent et l’avenir, renouer avec une dialectique vivante du réel et de la pensée. Plutôt que d’être, en bloc, " marxiste " ou " anti-marxiste ", " pour " ou " contre " mai 68, …nous devrons partir des réalités telles qu’elles se posent aujourd’hui, et essayer de voir alors, avec un regard neuf, ce qui demeure pertinent dans l’héritage doctrinal, mais aussi ce qui est remis en cause par les mutations historiques et nécessite alors l’élaboration de réponses profondément nouvelles.

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III/ Éléments
pour une rénovation doctrinale

 

 Questions internationales

Rapports Nord/Sud : le partage des responsabilités

    Longtemps, trop longtemps, notre analyse spontanée des rapports Nord/Sud a été influencée par un marxisme simplifié, faisant de la lutte des classes mondiale la question clé et assimilant celle-ci à une lutte entre nations riches exploiteuses - Etats Unis en tête – et nations pauvres exploitées. Combiné au remords colonial, cet économisme marxiste, donnait à notre tiers-mondisme une dimension quelque peu inconditionnelle, nous conduisant notamment à sous estimer souvent la question des formes politiques et sociales prises par les mouvements d’émancipation des peuples " opprimés ". Notre orientation fondamentale dans ce domaine consistait donc à soutenir de façon globale et assez systématique les peuples du Sud dans leur volonté de se libérer de la domination imposée par les riches et à préconiser en particulier des transferts financiers correcteurs plus importants.

    Cette lecture en terme de " lutte des classes internationales " et d’impérialisme conserve, à l’évidence, une certaine pertinence au regard de la persistance et l’aggravation ces dernières décennies des inégalités entre le Nord et le Sud. Le rôle contestable des organisations internationales type FMI, OMC dans l’imposition de normes idéologiques néo-libérales, que les pays du Nord sont loin d’avoir eux-mêmes adoptés à l’époque de leur reconstruction, l’égoïsme des occidentaux et des américains notamment sur la scène internationale, peuvent à juste titre continuer à alimenter une analyse en termes de domination.

    Dans le même temps, on redécouvre que la lutte des classes n’est pas la lutte des nations, qu’il y a des bourgeoisies exploiteuses dans les pays pauvres, que les libérations nationales ont souvent conduit à de nouvelles formes d’oppression, qu’il existe des conflits entre les pays du tiers-monde.

    Il devient également impossible aujourd’hui d’occulter les facteurs endogènes du sous développement : captation de l’aide par des régimes corrompus, conflits ethniques, configurations socio-économiques incompatibles avec un développement à long terme,…

    Ces prises de conscience remettent alors en cause l’orientation tiers-mondiste généreuse mais simpliste des décennies précédentes.

     Il ne s’agit évidemment pas d’abandonner nos responsabilités, ni le " devoir de réparation " historique que nous avons vis à vis d’un certain nombre de peuples du Sud. Nous devons au contraire promouvoir une annulation de la dette et la mise en place d’une aide financière pure.

     Nous devons également avoir le courage de poser certaines questions délicates telles que l’insertion des pays du Sud dans le commerce mondial, l’ouverture de certains marchés, mais aussi l’ouverture, naturellement maîtrisée, des frontières du Nord aux flux migratoires du Sud.

     Mais, en Afrique comme ailleurs, les problèmes de structures politiques, sociales, sociétales, de cohésion nationale ne peuvent plus être négligés. Nous devons veiller à ce que le versement de l’aide s’inscrive dans une logique de responsabilité partagée, qu’elle soit accompagnée par des incitations à l’utiliser judicieusement, notamment dans des investissements technologiques, facteurs de croissance, qu’elle soit liée aussi à la mise en place d’une gouvernance adaptée dans ces pays.

Face au nouvel ordre du monde, l'Europe doit définir sa propre puissance

    La mondialisation n’est plus, aujourd’hui, une question. Il n’est plus temps de se demander si elle est une chance ou une malchance pour la France. Elle est désormais un fait, lourd, incontournable et complexe. Elle n’est ni uniforme ni univoque. La mondialisation, chacun l’a bien compris désormais, renvoie à un ensemble de phénomènes économiques, culturels et géopolitiques particulièrement complexes à déchiffrer. Plutôt qu’à des lectures nourries d’a priori idéologiques d’un autre âge, qu’il s’agisse de la déclarer par exemple " heureuse " ou " horrible ", c’est à un effort de déchiffrement que nous devons nous livrer. Les phénomènes ambivalents et concomitants qu’elle entraîne (développement et appauvrissement, progrès et risques scientifiques, nouveaux accès et nouvelles inégalités face aux biens publics…) doivent être analysés pour ce qu’ils sont : l’extension au niveau mondial de processus depuis longtemps à l’œuvre dans les frontières nationales auxquels il faut désormais trouver des solutions globales – afin d’en amplifier les effets positifs et d’en combattre les effets négatifs. Face au dépassement du cadre national, à la mise à mal des attributs classiques de la souveraineté et de la puissance, à la " transnationalisation " des enjeux (criminalités, terrorisme, environnement, santé…), ou encore à la multiplication des acteurs (Etats, entreprises et organisations financières multinationales, organisations internationales, organisations non gouvernementales, etc.), aucun pays n’est capable de se battre seul – les Etats-Unis y compris qui pilotent moins qu’ils subissent, eux aussi, la mondialisation.

    Le monde actuel vit des bouleversements considérables. Même si l’on a du mal à qualifier l’époque, chacun perçoit pourtant bien l’importance des changements à l’œuvre entre mondialisation et nouveaux équilibres (ou déséquilibres) stratégiques. Dans ce nouveau cadre d’action en émergence, nul ne sait très bien où aller ni par où commencer. Il faut pourtant que le Parti socialiste revienne à " la question internationale ". Il l’a depuis trop longtemps oubliée et souffre aujourd’hui d’une absence de doctrine en la matière. Ainsi par exemple peut-on se poser la question de savoir ce que dit le PS sur la guerre, et notamment sur la question aujourd’hui au centre de l’actualité de la " guerre juste " ? Il nous faut nous interroger à nouveau, collectivement, sur ce que nous voulons, sur nos capacités réelles, d’action et d’influence sur l’ordre du monde. Sans illusions mais sans faiblesse non plus.

    Le parti doit retrouver la capacité de réfléchir et de proposer une véritable politique internationale qui ne soit ni la simple décalque de celle du Quai d’Orsay ni la reproduction des thèses simplistes d’organisations dites " de la société civile "

     Un réexamen en profondeur de la question de la puissance telle qu’elle est formulée aujourd’hui s'avère nécessaire. Il s’agit en effet largement d’un impensé dans la mesure où, soit on rejette " la puissance ", comme c’est souvent le cas à gauche pour des raisons morales ou idéologiques infondées, soit on l’accepte au nom d’un réalisme cynique désormais dépassé et de plus en plus inefficace, à l’heure de la globalisation.

     La réflexion sur la puissance devrait également nous conduire à reconsidérer notre rapport aux Etats-Unis. Non tant, comme on nous le propose trop souvent, parce qu’il faudrait nous soumettre sans rien dire à la nouvelle puissance américaine ou parce qu’il faudrait à tout prix et en toute chose être anti-américain, mais plutôt parce que l’étude et la détermination d’une politique européenne dans le cadre actuel de la mondialisation et de l’expression de la puissance américaine sont indispensables à la gauche française. Il s’agit d’un élément clef de son identité dans la mesure où elle se veut en prise avec son temps et que l’on prend au sérieux l’affirmation selon laquelle on doit partir du réel pour construire le réformisme que l’on appelle de nos vœux.

    Il faut en finir avec l'antiaméricanisme de principe. Il ne suffit pas de dire que les Etats-Unis incarnent une sorte de mal contemporain parce qu’ils seraient à la fois trop puissants et irresponsables face aux nécessités de leur suprématie. Il ne suffit pas de les condamner en renonçant dans le même temps à comprendre leur exigence de défense d’un modèle de société, aussi bien économique (on comprend ainsi immédiatement leur intérêt pour les réserves pétrolières dans le monde aussi bien au Moyen-Orient qu’en Asie centrale…) que politique et culturel. Il faut en voir la construction complexe du pouvoir et n’agir qu’en fonction de notre propre capacité à imposer, éventuellement, nos vues d’Européens - différents certes des Américains, mais appartenant de par les liens de l’histoire et du fait de la congruence de nos modes de vie et de représentation, au même espace de culture.

    Essayons plutôt d’être à la fois plus constructifs et plus critiques dans notre rapport aux Etats-Unis. Nous avons des différences que nous devons faire valoir. Elles seront d’autant mieux comprises et acceptées que nous serons capables de nous conduire en partenaire responsable et en véritable puissance face aux Etats-Unis. Plus constructifs dans la mesure où nous devons bâtir avec nos alliés américains les contours d’un monde pacifié. Les seules puissances aujourd’hui susceptibles d’aider les plus démunis dans le monde ou de résoudre les conflits ne sont pas très nombreuses : seuls les Etats-Unis et l’Europe. Plus critiques aussi, nous devons nous être en mesure de faire valoir notre " différence " européenne qu’il s’agisse de la prise en compte des droits de l’homme, du développement durable, de la régulation du commerce international ou encore de la justice internationale.

     Pour atteindre l’objectif d’une puissance réelle et raisonnée, seul le cadre européen est pertinent. Il est devenu aujourd’hui indispensable. Non tant que l’Europe doive comme on l’entend souvent, afficher une politique de puissance mesurée à l’aune de celle des Etats-Unis, mais simplement, par exemple, parce que le niveau européen est le seul susceptible de générer un débat public d’ampleur capable d’influencer les Etats-Unis ou encore que seule l’Union européenne a les moyens d’agir efficacement sur l’ordre du monde. Les exemples de ces dernières années qu’il s’agisse de l’ex-Yougoslavie, du Moyen-Orient… ou à rebours des conquêtes obtenues dans les organisations internationales comme à l’OMC par exemple, montrent tous que le force européenne réside dans la convergence de son dessein au-delà des particularismes et égoïsmes nationaux.

     Pour arriver à une véritable politique de la puissance, il faut à l’Europe une définition claire d’elle-même. L’identité européenne est aujourd’hui particulièrement floue. Réussite économique, commerciale et monétaire, elle n’est pas encore une entité politique ni même un acteur de poids sur la scène diplomatique et militaire internationale. Il s’agit des défis essentiels des années qui viennent alors même que l’Europe s’élargit et que la question de ses frontières ultimes se pose avec de plus en plus d’acuité.

    L’Europe ne pourra échapper à une forme d’innovation constitutionnelle. Les modèles traditionnels, entre Etat-nation, Etat fédéral et confédération ne sont pas adaptés à cette construction inédite. La Convention sur les institutions débouchera certainement sur une ingénierie constitutionnelle mais c’est au-delà l’identité même du nouvel espace européen qu’il faut définir. En se posant notamment la question des frontières, géographiques bien sûr mais encore culturelles de l’Europe. Ainsi ne doit-on pas avoir peur du débat sur la place de la religion musulmane dans l’espace européen, qu’il s’agisse de la pertinence de l’intégration de la Turquie ou demain d’autres pays extra-européens ou de la gestion des religions dans l’espace européen lui-même. Nous devons prendre en compte le fait que de nombreux musulmans vivent dans les pays de l’Union européenne et qu’ils doivent bénéficier de toutes les garanties nécessaires offertes par la loi, mais que dans le même temps l’Islam a eu et a encore aujourd’hui, dans ses formes extrémistes comme dans les plus modérées, un rapport difficile voire conflictuel avec des acquis de la modernité philosophique et politique européenne, tels que la séparation des sphères privée et publique dans la vie de l’individu ou encore le statut de la femme.

    Pour la France, l’espace naturel et la voie stratégique de tout effort de régulation des désordres du monde contemporain passe par l’Europe. Combattre les dérives éthiques et boursières du capitalisme financier, rendre les entreprises et les consommateurs responsables de la préservation de leur environnement, donner aux citoyens les moyens pratiques du contrôle de leurs élus et des politiques publiques, exporter dans le monde un modèle de société pacifiée et démocratique appuyé sur des droits politiques, économiques et sociaux, assurer à chacun à travers un véritable " ordre public social " les conditions minimales du respect de soi, de l’accès au savoir et à l’éducation ainsi qu’à des soins de qualité… tout cela passe désormais par la construction d’une Europe puissante, démocratique et sociale. Une Europe qui n’a peur ni de son ombre lorsqu’il s’agit de combattre pour ses valeurs et ses intérêts, ni de l’économie de marché lorsqu’il s’agit d’entreprendre et de commercer, ni des Etats-nations qui la composent lorsqu’il s’agit de conserver la diversité de ses richesses culturelles.

L'Europe ne doit pas être pas un substitut mais doit rester un instrument au service du socialisme

    Avoir une doctrine de la construction européenne, c’est donc aujourd’hui définir plus clairement la forme d’organisation que nous voulons donner à moyen long terme à l’Europe politique et le processus conduisant à cette finalité. Mais avoir une doctrine de la construction européenne c’est aussi, en amont, maintenir le cap sur les buts poursuivis à travers la construction européenne elle-même. La relance de l’Europe, au milieu des années 1980, s’inscrivait, de ce point de vue, dans la continuité de la logique de réconciliation initiée dans les années 1950. Mais, pour nous qui venions d’éprouver au gouvernement l’expérience douloureuse et fondatrice de la " contrainte extérieure ", il s’agissait aussi de construire une réponse stratégique au phénomène de la mondialisation. Face à l’érosion des marges de manœuvres de la politique économique et à la déstabilisation de l’Etat Providence dans le cadre national, le pari était de retrouver à terme, en transférant de la souveraineté, en créant l’Union Economique et Monétaire, un cadre territorial pertinent pour réguler l’économie de marché et continuer à faire fonctionner le modèle social commun aux européens. C’est ce pari stratégique fondamental qui a justifié les efforts consentis, à travers les critères de Masstricht, et les concessions que nous avons du faire historiquement à l’idéologie libérale et monétariste.

    Une partie de ce pari a déjà été gagné : d’ores et déjà, l’avènement de l’euro a permis de casser la spéculation entre devises européennes qui déstabilisait nos économies. La monnaie unique nous a libéré de l’obsédante contrainte du taux de change qui paralysait toute notre politique au tournant des années 80-90. Mais, si nous avons mis fin à un désordre, le projet de retrouver une capacité politique de stimulation de l’économie et de régulation du capitalisme demeure encore inachevé. Qu’il s’agisse du pilotage de l’économie, de la politique industrielle, des services publics, de l’harmonisation sociale, la construction européenne porte encore trop largement l’empreinte de la logique néo-libérale qui a dominé les précédentes décennies.

     Pour demeurer fidèles à nos objectifs initiaux, nous devons alors aujourd’hui reprendre impérativement le combat pour la réorientation de la construction européenne. Celle-ci ne doit pas devenir désormais, dans notre esprit, une fin en soi, un substitut idéologique au socialisme. Elle doit rester, au contraire, pour nous le moyen indispensable, incontournable de servir, de réaliser les objectifs du socialisme à l’ère de la mondialisation.

    Cette orientation fondamentale implique que nous ne nous fassions point les défenseurs des règles libérales qui régissent aujourd’hui l’Europe sous prétexte qu’elles ont résulté de compromis ayant permis de faire avancer l’Union. L’Europe est, aujourd’hui comme hier, un champ de forces, un espace où s’affrontent légitimement plusieurs visions de la société. Nous devons y faire entendre notre voix propre, celle du socialisme français et européen.

     Maintenant que la monnaie unique est entrée en vigueur, cette volonté doit notamment nous amener, dans les temps qui viennent, à lutter pour une réorientation de la gouvernance économique de l’Europe, pour imposer une autre conception de la coordination budgétaire que la vision restrictive et aveugle résultant de l’actuel " Pacte de stabilité ", ou encore par exemple pour que soient révisés les objectifs assignés à la Banque Centrale Européenne ainsi que les modalités de son indépendance.


 Questions sociales

Face à l'individualisation du social, définir une nouvelle alliance

    Le marxisme a longtemps structuré notre vision de la société, essentiellement centrée sur le conflit capital / travail. Nous étions certes déjà conscient de la diversité du salariat, de la distinction entre les classes moyennes et les classes populaires, mais il nous paraissait encore possible d’assimiler ces dernières à une vaste " classe ouvrière " homogène et unie, victime principale de l’exploitation capitaliste. Nous étions déjà sensibles, de même, aux autres inégalités – sexuelles, ethniques, générationnelles, …- mais celles-ci restaient encore largement liées, dans notre esprit, au fonctionnement global de ce capitalisme avec lequel il faudrait, de toute façon, rompre un jour ou l’autre.

    Cette orientation générale se retrouvait à court terme aussi dans notre approche de l’Etat Providence, vaste compromis entre loi du marché et intervention politique, capitalisme et droits sociaux, issu des combats déjà anciens du mouvement ouvrier et de la menace exercée, au lendemain de la guerre, par le communisme. Pendant des décennies, nous avons réinvesti dans ce cadre d’action notre problématique traditionnelle de lutte des classes, en essayant essentiellement de mobiliser la classe ouvrière, le salariat, dans des combats pour la défense et la conquête des droits sociaux.

    Cette approche générale de la question sociale conserve une certaine actualité. Même si l’Etat Providence a précisément permis de les réduire en partie, les inégalités traditionnelles continuent largement de structurer notre paysage social : la relation capital/travail est toujours le lieu d’un antagonisme sensible, que le " règne " actuel de l’actionnaire contribue à accroître. De même, les inégalités de revenu, de patrimoine, de chances entre " salariés d’exécution " - ouvriers plus employés routiniers du tertiaire - et détenteurs de capitaux mais aussi couches moyennes salariées demeurent importantes, justifiant de maintenir des analyses globales en terme de classes.

    De surcroît, à travers la sécurité sociale universelle, le système de retraites par répartition, les services publics, l’État social sous sa forme pratique héritée des trente glorieuses remplit encore aujourd’hui des fonctions irremplaçables d’intégration, de protection et de redistribution sociale qui justifient que nous continuions à défendre les acquis solides de ce système, face notamment aux remises en cause qui pourraient venir de la droite.

    Dans le même temps, toutefois, ce système social hérité des trente glorieuses rencontre aujourd’hui des difficultés objectives de fonctionnement. La mondialisation déstabilise les instruments de régulation construits dans le cadre national. La complexité bureaucratique atteinte par l’appareil redistributif pose le problème de son efficacité et de ses effets parfois contre productifs. Surtout, la montée du chômage de masse et de l’exclusion ont conduit à la mise en place progressive d’une logique "d’assistance ", qui génère des difficultés et des contradictions potentielles avec notre désir légitime de maintenir une " société du travail ".

    La poursuite du mouvement de division de travail, la tertiarisation de l’économie, l’accroissement de la proportion d’inactifs, l’influence croissante de facteurs tels que l’âge, du sexe, de l’origine, du lieu d’habitation,… dans l’accès aux revenus, à la sécurité, à la santé, ont induit, de surcroît, un important phénomène " d’individualisation du social ". Le nouvel âge du capitalisme (mondialisation, désindustrialisation,…) a conduit plus spécifiquement à une fragmentation des classes populaires, désormais émiettées entre chômeurs, exclus, précaires, " travailleurs pauvres ", salariés du tertiaire ou de l’industrie, des PME ou des grandes entreprises,….

    Ces phénomènes ont engendré un affaiblissement naturel de la "conscience de classe ", d’autant que la culture dominante valorise sans cesse le désir de singularité et d’autonomie individuelle, imposant la représentation d’une " société des individus ". La vieille " solidarité de classe " fait alors de plus en plus souvent place, notamment dans les milieux populaires, à une logique de concurrence interindividuelle généralisée où " l’adversaire " est parfois, de façon paradoxale, le plus proche socialement.

    Cette nouvelle réalité sociale, " objective " et " subjective " a des conséquences majeures sur nos orientations politiques et stratégiques. Elle ne permet plus de définir une politique à partir du seul du conflit capital/travail ou par seule référence a priori aux grandes classes traditionnelles. Comme l’a illustré le cas des 35 heures, toute politique de redistribution ou de partage des fruits de la croissance doit désormais affronter l’enjeu que constitue les inégalités intra classes, et notamment les inégalités internes aux catégories populaires. Elle ne permet plus non plus de mobiliser notre base électorale avec les mêmes leviers. Si le vote ouvrier persiste parfois comme réalité électorale, il n’a plus, dans ce contexte, les traits d’un réflexe " campiste ", d’un vote mécanique de soutien à la gauche.

    Nous devons élaborer, dans les prochaine années, une nouvelle approche politique de la question sociale qui intègrent l’ensemble de ces difficultés et de ces mutations.

     Il nous faut, en premier lieu, réinscrire résolument la problématique de l’Etat Providence dans la société du travail. Face à la montée du chômage de masse, la tentation a existé et existe encore dans notre parti de basculer dans le paradigme de " la fin du travail ", de la substitution de " l’activité " à l’emploi, et de " l’allocation universelle ". S’il faut sans aucun doute ouvrir une réflexion sur la place du travail dans la vie humaine, nous devons récuser en tout cas cette tentation radicale.

    Toute l’expérience sociale des dernières décennies nous rappelle à quel point, en effet, le travail demeure un vecteur irremplaçable d’intégration sociale et un pourvoyeur essentiel d’identité. Tout en prenant en compte l’aide d’urgence à apporter aux exclus, notre politique économique et sociale doit clairement favoriser l’emploi. Cette orientation implique notamment de reprendre la nécessaire réflexion sur les conditions d’activation de l’offre de travail, sur l’encouragement à une mobilité choisie, sur l’introduction d’une " sécurité sociale professionnelle ".

     Il nous faut ensuite redéfinir les termes d’une nouvelle alliance inter-catégorielles. Nous devrons privilégier des objectifs communs, susceptibles de fédérer notamment une large partie des couches salariées. La modernisation et la défense des services publics, la protection de l’environnement, la lutte contre toutes les formes de précarité, le rééquilibrage des rapports capital/travail dans l’entreprise s’inscrivent dans la perspective d’un refus général de la " société de marché ". Le thème fondamental de l’égalité des chances, de la mobilité sociale, avec ses implications sur les politiques éducatives, de logement, de la ville, devra de même, on l’a dit, constituer un fil directeur de notre offre politique.

    Au delà, la nouvelle alliance que nous proposerons devra aussi réaliser un nouveau compromis entre des attentes catégorielles légitimes. Adossée à une visée de long terme sur le système social et fiscal vers lequel nous voudrions aller, elle devra permettre de combiner des objectifs concrets comme la lutte contre le chômage et l’exclusion, l’augmentation du pouvoir d’achat, la défense des acquis sociaux, la réforme fiscale,…

Pour une véritable justice intergénérationnelle

    L’arrivée à l’âge de la retraite des baby boomers, issus des cohortes démographiques nombreuses de l’immédiat après-guerre, celles qui symboliquement " ont eu 20 ans en 1968 ", met en exergue une question essentielle de la société française – même si c’est aussi le cas dans bien d’autres pays - , celle de la justice intergénérationnelle, ou pour le dire autrement, du déséquilibre des niveaux de vie, de patrimoine, de revenus et de statut entre générations. De la même manière qu’il existe des inégalités entre individus ou entre classes sociales, il existe des inégalités entre générations, mesurables d’une classe d’âge à une autre.

    Ces inégalités ne s’effacent ni se s’annulent entre elles, elles se cumulent et s’ajoutent. Ainsi peut-on caractériser la société actuelle comme une société inégalitaire du point de vue générationnelle. Les moins de 40 ans aujourd’hui disposant de bien moins de revenus, de patrimoine et d’avantages matériels et symboliques que leurs aînés à leur âge, et surtout d’une moindre perspective de voir leur sort s’améliorer. Outre les difficultés d’insertion sur le marché du travail et les risques d’exclusion encourus de plus en plus tôt, le poids des retraites et l’allongement de la durée de vie font peser de lourdes menaces sur le pouvoir d’achat et sur la capacité contributive des générations de jeunes actifs. Sans parler ici des conséquences en termes de dynamisme et de représentation d’une société vieillissante. On dira de manière caricaturale et volontairement polémique – mais sur fond de réalité économique, sociale et culturelle – que les baby boomers ont bénéficié d’une forme d’effet " beurre – argent du beurre et sourire de la crémière " dans la mesure où ils ont pu entrer très vite dans la vie active sans craindre le chômage de masse, qu’ils ont pu bénéficié sur l’ensemble de leur cycle de vie professionnelle d’une croissance significative de leur pouvoir d’achat et de leur capacité d’accès à l’emprunt, et qu’ils ont enfin droit à une retraite conséquente nourrie de des droits pleins et entiers accumulés pendant leur vie professionnelle. Quelle génération dit mieux ? Certainement pas celle de leurs parents largement dépourvus de système de retraite, ayant connu guerres et crises économiques, et certainement pas leurs enfants, victimes de la " crise ", du chômage de masse, de l’exclusion sociale et du durcissement considérable des conditions de la compétition internationale.

    Nous ne pouvons aujourd’hui accepter que l’essentiel de la redistribution sociale, fiscale et " de statut " se fasse à destination d’un seul groupe de la population, au détriment des autres. Il est impératif de lisser dans le temps les effets d’aubaine d’une ou plusieurs générations.

     Nous devons refuser l’idée qu’il y ait des générations perdantes et des gagnantes tout au long de leur cycle de vie.

    Cette orientation a des conséquences par exemple en matière de retraites. Il ne s’agit pas de remettre en cause globalement le principe du système de retraite par répartition, qui a précisément permis une solidarité entre les générations et entre les groupes sociaux, et qui a fait ses preuves. Mais, à l’heure où ce système risque d’être sérieusement remis en cause par la dégradation du rapport entre actifs et inactifs, ne peut-on se demander si les générations des moins de 50 ans n’auraient pas leur mot à dire dans le débat – alors que celui-ci est littéralement monopolisé par les plus de 50 ans qui ont un évident " intérêt à agir " sur ce dossier. On peut même aller jusqu’à se demander s’il n’y aurait pas une forme de corporatisme générationnel implicite de la part des futurs retraités en faveur d’un système qui les avantage objectivement tout en leur permettant d’éviter la question de la redistribution dans son ensemble. Que se passe-t-il en effet concrètement : la véritable redistribution intergénérationnelle a lieu non pas dans le système social, dans l’espace de la solidarité nationale, mais au sein des familles elles-mêmes, entre grands-parents, parents et enfants, favorisant ainsi les inégalités les plus criantes puisqu’elles touchent au patrimoine.

     C’est pourquoi, face à une telle inversion de la logique égalitaire du système actuel, une forme de " parole " générationnelle dans l’espace public doit être valorisée même si elle ne doit pas être " corporatisée ". Les syndicats comme les partis politiques devant l’intégrer et la porter dans le débat. La variable générationnelle du système de redistribution doit impérativement être intégrée dans les préoccupations politiques, économiques et sociales sous peine d’implosion de celui-ci.

La reconnaissance des identités dans la républqiue

    La société française vit aujourd’hui une situation paradoxale. Le droit, et au-delà même, la philosophie de la République, sont " aveugles " aux différences identitaires. Et pourtant, la société française est devenue en quelques décennies véritablement multiculturelle. Alors qu’elle a de longue date accueilli une immigration nombreuse dont l’intégration n’a pas été sans difficulté, elle n’a jamais connu une telle contestation de son ordre public, de ses institutions et finalement des conditions mêmes de son lien social que ces dernières années.

    La crise économique et les mutations profondes qu’elle a entraînées depuis une vingtaine d’années sont la cause majeure de cette contestation, mais elles ne suffisent pourtant pas à l’expliquer. La " question religieuse " non plus, même si le fait que l’immigration des dernières décennies en France ait été majoritairement issue de pays musulmans, donc de populations dont la culture, souvent bien plus que la pratique religieuse elle-même, est plus éloignée de celle de la France que lors des précédentes vagues d’immigrations, issues notamment de pays catholiques et latins. Non la contestation de la forme du lien social, et les conséquences violentes qu’elle implique, viennent sans doute plus profondément d’une demande identitaire formulée de manière imprécise et certainement inadaptée, mais qu’il faut bien prendre en compte. Autrement que par une simple politique de sécurité publique renforcée, nécessaire mais insuffisante si l’on veut redonner au lien social une réalité perceptible par chaque citoyen.

    La France n’a pas, à l’inverse d’autres grands pays d’immigration, de tradition multiculturaliste. Le républicanisme, la lecture laïque propre à la France de la séparation des sphères privée et publique, l’idéal d’intégration des différences dans la communauté des citoyens ont donné chair à une véritable " exception française " qu’il serait vain voire particulièrement destructeur de vouloir nier. Il s’agit donc de penser le renouvellement ou l’évolution du " modèle français " plutôt que son abolition ou sa disparition dans un très hypothétique modèle européen en la matière par exemple. S’il est bien un domaine où la force de l’héritage et la pertinence du cadre national se justifient encore pleinement c’est bien celui de la définition du lien social et de l’identité culturelle.

     Nous devons concevoir aujourd’hui une véritable " politique de l’identité " à la française qui propose, en priorité aux jeunes issus de l’immigration, qui sont dans leur immense majorité de nationalité française, d’intégrer pleinement la communauté des citoyens, en leur reconnaissant une place pleine et entière dans celle-ci. Il faut rappeler, de ce point de vue, que la nationalité française implique les mêmes droits et devoirs pour tous.

     Mais il faut, dans le même temps, considérer qu’il y a des efforts de rattrapage à faire dans certains domaines et vis à vis de certaine franges de la société. Là encore, le droit et la philosophie républicains nous le permettent, sans aller chercher d’exemple étranger ou de " tournant identitaire ".

    La fameuse " discrimination positive " que l’on devrait appeler plutôt " politique de reconnaissance identitaire " existe déjà et s’applique à de nombreux aspects de la vie économique, sociale et culturelle – on peut citer à titre d’exemple les " zones d’éducation prioritaire " ou les logiques de même nature fiscale ou sociale développées dans le cadre des politiques de la ville, ou la politique de l’administration elle-même pour favoriser certaines populations lors des concours d’accès à la fonction publique, afin de rétablir des " handicaps " initiaux.

    Il faut développer cette politique de " discrimination positive " en veillant à ce qu’elle reste " socialisée " et " territorialisée " et non directement liée à l’identité ethnique par exemple des populations ou individus concernés. Bien maîtrisée, étroitement subordonnée à des conditions de temporalité ou d’exceptionnalité, cette politique au service d’une plus grande égalité des chances peut permettre alors de répondre positivement à la demande de reconnaissance qui s’exprime aujourd’hui, sans porter atteinte à notre modèle républicain.


 Questions de société

Vers une démocratie participative

    Le vaste ensemble des questions dites " de société " n’échappe pas non plus à l’exigence d’actualisation idéologique. En premier lieu, la question de la démocratie est clairement posée aujourd’hui.

    Notre vision institutionnelle oscille, depuis des années, entre deux tentations : d’une part, notre fidélité à une certaine tradition intellectuelle et politique, hostile au pouvoir personnel et favorable à une large représentation des courants d’opinion. D’autre part, dans le sillage de François Mitterrand, notre ralliement pragmatique à des institutions adoptées par les Français et ayant apporté, à travers l’élection présidentielle et le mode de scrutin majoritaire, la stabilité gouvernementale et la possibilité des alternances. Elle oscille de même entre notre attachement à une vision unitaire de la République, à l’égalité des droits sur tout le territoire national, et la volonté de promouvoir, à travers la décentralisation, les libertés locales.

    Nous devons alors à l’évidence aujourd’hui concilier ces exigences et redéfinir notre vision des institutions à la lumière des expériences récentes, elles-mêmes contradictoires : celle d’un régime qui s’essouffle, mais aussi celle d’une société française de plus en plus spontanément tentée par le consumérisme et l’émiettement électoral. Celle d’une décentralisation n’ayant pas encore libéré toutes les initiatives mais ayant dans le même temps engendré de nouvelles inégalités.

    Mais, au delà de ces rééquilibrages nécessaires entre les pouvoirs institutionnels, nous sommes aussi confrontés aujourd’hui à de nouvelles questions. Au premier rang de celles-ci, la progression constante et spectaculaire de l’abstention constitue notamment désormais un défi lancé à la notion même de démocratie représentative. Il y a là, bien en amont de tous les débats sur la V ème République, un enjeu historique majeur pour la gauche qui ne peut se résigner à une évolution à l’américaine impliquant un décrochage civique durable de fractions entières des classes populaires.

    Ce phénomène s’inscrit du reste, à l’évidence, dans une crise de légitimité beaucoup plus large de notre système représentatif. Face aux besoins croissants de dialogue, de participation, de transparence qui caractérisent la société contemporaine, le tête à tête exclusif de l’Etat et du marché a atteint ses limites.

    Ces problèmes structurels appellent alors des réponses de même nature.

     La dose accumulée de méfiance qui s’est installée au cours des décennies 80-90, face aux désillusions et à l’impuissance du politique, ne peut être annulée d’un coup. L’activité du parti devra faire une place essentielle, dans les années qui viennent, à la mise en œuvre d’une véritable stratégie de reconquête des milieux populaires, impliquant une présence et des formes d’action militante renouvelées.

      Nous devrons également retisser des liens avec ce qu’il est convenu d’appeler le " mouvement social ". En s’appuyant notamment sur nos municipalités ; il nous faudra surmonter, quand ils peuvent l’être, les réflexes qui se sont parfois installés, l’opposition stérile entre le " micro " et le " macro ", le " global " et le " local ", et faire en sorte que tous ceux qui luttent à leur échelle pour une réduction des injustices puissent converger dans une perspective commune.

     Au delà du parti lui-même, il nous faut réfléchir à une revitalisation du fonctionnement de notre démocratie. Il ne s’agit pas de promouvoir un auto-dessaisissement supplémentaire de l’Etat au profit de nouvelles autorités indépendantes. Nous devons au contraire défendre la perspective d’un Etat modernisé et efficace assurant l’intégralité de ses missions essentielles. Mais il s’agit par exemple de mieux organiser l’intervention et l’implication réelle des partenaires sociaux dans le processus d’élaboration des réformes.

    Il s’agit par exemple aussi de favoriser une extension de la démocratie directe. Au delà d’un recours éventuellement accru au référendum, il pourrait être intéressant par exemple de remettre à l’ordre du jour la planification à la française, en la transformant en un vaste rendez-vous citoyen, national et décentralisé, destiné à discuter, à intervalles réguliers, des réformes structurelles à mener dans le pays.

Trente ans après 68, clarifier notre vision des rapports individu et société

    Il nous faut aussi clarifier aujourd’hui notre vision idéologique des rapports entre individu et société.

    Le combat pour l’émancipation individuelle par rapport aux règles, normes et carcans extérieurs imposés par la société fait naturellement partie de notre héritage intellectuel et historique. Nous nous inscrivons, de ce point de vue, dans la filiation des Lumières, et plus récemment dans celle du mouvement de mai 68 qui a ébranlé l’ordre moral traditionnel et porté l’aspiration à plus de liberté personnelle dans le domaine des mœurs et des modes de vie.

    Cette sensibilité conserve sa part de pertinence. Dans les domaines où sa restriction n’est pas justifiée par le bien commun, le combat pour la liberté demeure le nôtre. Répondant de ce point de vue aux aspirations des couches moyennes urbaines qui se reconnaissent en nous, nous devons envisager de porter l’aspiration au libre choix individuel, et l’égalité des droits qu’il suppose, sur d’autres terrains, touchant par exemple aux mode vie individuels ou au temps de travail. Nous devons, dans le même ordre d’idée, nous garder de l’excès de zèle qui consisterait, pour courir après la droite, à devenir les farouches gardiens d’un nouvel ordre moral.

    En même temps, il n’est pas illégitime de réfléchir, avec le recul, aux effets ambivalents produits par le processus de libéralisation " sociétale " initié par 68. Qu’il s’agisse de la sécurité des personnes, de l’éducation des enfants, de la transmission de valeurs, du civisme, les évolutions récentes de la société nous montrent aussi les limites flagrantes de l’irresponsabilité individuelle, de l’affaiblissement de l’autorité, et nous rappellent que, dans ces domaines aussi, la liberté des uns n’est pas forcément la liberté des autres.

    Nous devons mesurer, de la même manière, les effets profonds induits par la culture individualiste sur les représentations sociales. La très forte valorisation, par la publicité, les médias, les institutions, de l’autonomie individuelle, l’invitation systématique faite à chacun de se construire une personnalité singulière, d’être " l’entrepreneur de sa propre vie ", entretiennent un désir artificiel de distinction qui sape en profondeur les consciences et les solidarité de classe. Au delà de la reconnaissance, nécessaire, d’une réelle individualisation des situations, il n’est pas sûr que la gauche ait grand intérêt politiquement à épouser et à exacerber cette représentation de la société comme " société des individus ".

    Nous ne pouvons plus ignorer non plus que ce discours est générateur d’illusions et de souffrances pour les " perdants de la modernité " qui n’ont précisément pas la possibilité de " choisir leur vie ". Il est dangereux de donner une liberté formelle sans donner les moyens, à travers une véritable politique d’égalité des chances, d’une liberté réelle. On le voit dans le cas de l’Ecole où la " massification " des années 80-90 n’a pas coïncidé avec une démocratisation sociale de la réussite.

    Sur l’ensemble de ces questions mettant en jeu la production de normes et la vision que nous proposons de la société, nous devons donc définir une nouvelle approche philosophique et politique. La cohérence idéologique simpliste des années 60, consistant à être " naturellement " anti-libéral en économie et " naturellement " libertaire sur les questions de société, ne peut plus suffire. Nous devrons, dans les années qui viennent, inventer un " individualisme solidaire ", redéfinir une synthèse entre droits et devoirs, libertés et règles, discours sur l’individu et discours sur la société.

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IV/ Regénérer le Parti socialiste

 
Le lancement d’un nouveau cycle idéologique supposera, on l’a dit, de réunir un certain nombre de conditions politiques, intellectuelles, psychologiques favorables, témoignant d’un changement d’état d’esprit de notre parti. Mais les blocages, les facteurs – la nostalgie encore vivace de la rupture, la force d’inertie des réflexes idéologiques, le poids excessif des experts, …- qui ont retardé jusqu’ici notre rénovation doctrinale renvoient aussi, en profondeur, à la composition sociologique et au mode de fonctionnement de notre parti.

Nous assistons, de ce point de vue aussi, à la fin du cycle d’Epinay. L’un des grands succès du Parti socialiste fut de provoquer, à l’époque, un réel renouvellement des forces militantes et de ses cadres. En passant de 70.000 adhérents en 1971 à 200.000 à l’orée des années 80, le parti ne se transforma certes pas en parti de masses mais il connut néanmoins une dynamique militante qui nous permit de partir à la conquête des villes et des circonscriptions, des départements et des régions. L’afflux de ces nouvelles forces favorisa la poursuite du renouvellement des cadres, le développement de nouvelles fédérations, la conquête de nouveaux bastions. Sans améliorer l’ancrage ouvrier de notre parti, il contribua en tout cas à un certain renouvellement sociologique, avec l’arrivée de nouvelles couches salariées, et à un rajeunissement important par rapport à la vieille SFIO.

Plus de trente années plus tard, notre parti est progressivement redevenu ce qu’était la SFIO : un parti d’élus disposant de points d’appuis importants dans de nombreuses villes mais ayant bien du mal à renouveler ses militants, ses cadres. La génération de militants et d’élus née avec les succès municipaux de 1977 n’a pas été remplacée et a connu parfois en 2001 la défaite face à des candidats de droite assez jeunes ayant pour eux, essentiellement, d’incarner le changement. Les constats régulièrement établis par le Cevipof sont particulièrement cruels : nous sommes un parti vieillissant, comportant très peu d’adhérents de moins de quarante ans. Nous sommes un parti peu féminisé, en dépit de nos efforts pour promouvoir la parité, peu représentatif également de la diversité des origines qui façonne la société française d’aujourd’hui. Nous sommes un parti à la base socio-professionnelle étroite, accusant une sur-représentation du " salariat protégé " et des hauts niveaux de qualification.

Ces phénomènes contribuent à expliquer notre difficulté à entreprendre notre actualisation idéologique et à ressentir les mutations de notre société. Le manque d’empressement à redéfinir une utopie réformiste, le pragmatisme désabusé ou sans vision avec lequel nous envisageons trop souvent notre action, sont d’abord la réaction normale de militants et de responsables qui ont vécu de près ou de loin les espoirs des années 70 et les désillusions des années 80-90 ou qui se sont formés dans l’expérience même du pouvoir. De façon tout à fait naturelle, le vieillissement d’une formation politique diminue par ailleurs son désir de rénovation doctrinale. Même s’il est fragilisé par les leçons de l’expérience, l’acquis idéologique du passé, forgé parfois dans les combats de jeunesse, bénéficie d’un attachement affectif qui n’incite pas toujours aux remises en question nécessaires.

De la même manière, notre étroitesse sociologique, quand elle ne nous enferme pas dans des réflexes corporatistes nous éloignant de l’intérêt général, ne favorise pas notre capacité à comprendre les nouvelles réalités économiques, les transformations qui affectent par exemple le secteur privé, les aspirations qui en découlent.

Le thème du renouvellement générationnel et sociologique n’est pas et ne doit donc pas être un gadget de Congrès. Il ne se limite pas à la revendication, par ailleurs légitime, d’un meilleur équilibre des générations, des sexes, des origines personnelles et professionnelles, dans l’accès aux responsabilité. Il est plus largement lié à l’exigence d’une rénovation doctrinale. Regénération idéologique et humaine sont, de ce point de vue, des impératifs convergents.

Le traumatisme du 21 avril, la présence au second tour de l’élection présidentielle de Jean Marie LE PEN, ont récemment provoqué, certes, un flux non négligeable de nouveaux adhérents, et contribué à amorcer ce nécessaire renouvellement. Ce flux représente une véritable bouffée d’air car, on compte, parmi ces adhérents nouveaux plus de jeunes, de femmes, plus de salariés du privé, ou de personnes appartenant aux catégories sociales ayant délaissé le PS (les employés notamment).

Mais il serait cependant bien imprudent de croire que l’objectif est ainsi atteint. Le passé l’a montré à plus d’une occasion : l’adhésion est un geste fort, mais elle n’implique pas mécaniquement un engagement militant durable. Si 75 % des membres du Parti d’aujourd’hui ne l’étaient pas 1981, c’est plus en raison d’un turnover rapide que d’un véritable renouvellement. Son mode de fonctionnement actuel ne fait pas en effet de notre parti une formation politique très attractive, offrant des réelles motivations de militer sur la durée à ceux et celles qui la rejoignent. Trop souvent considérés comme de simples renforts pour le collage, pour la distribution, pour les présences militantes, les nouveaux adhérents se lassent souvent assez vite de leur manque d’influence sur l’élaboration des orientations du parti. Il ressentent, comme tous les autres, le caractère trop souvent formel de notre démocratie interne et les écueils d’un parti structuré autour de ses élus, reproduisant en son sein les hiérarchies institutionnelles et les phénomènes de notabilisation. Ils ressentent le manque de débat idéologique et la disparition du parti comme " intellectuel collectif ".

Pour mener à bien la régénération idéologique et humaine du parti, nous devons alors nous fixer l’objectif de conserver l’atout que représente les adhésions récentes et devenir, à moyen terme, un parti d’adhérents, beaucoup plus représentatif de la diversité sociale et générationnelle de la société française. La tâche n’est pas simple. Nous sommes confrontés, notamment dans la jeunesse, à un phénomène général de dépolitisation lié à l’individualisme et au matérialisme qui caractérisent les sociétés développées, à l’évolution des formes de la conflictualité sociale, à toute une série de facteurs qui entraînent la fin des modes traditionnels - milieu, éducation, luttes professionnelles…- d’acquisition de l’identité politique. Mais nous sommes dans l’opposition pour au moins quatre ans et nous avons le recul nécessaire pour engager les réformes organisationnelles nécessaires à la réalisation de cet objectif.

     Nous devons en premier lieu bien sûr, et à l’image de ce qu’il faut faire dans le pays, revitaliser notre démocratie interne, en mettant en place des procédures – référendum interne, compte rendus obligatoires de mandats,…- qui permettront, au delà des rendez-vous habituels des Congrès, d’accroître le contrôle et la participation de l’ensemble du parti.

     Nous devons redevenir un véritable intellectuel collectif. L’idéologie n’est pas une niche ou une spécialisation à l’intérieur du parti. Nous devons au contraire concevoir le parti comme un lieu où se pense et se crée une dynamique collective, un espace intellectuel et physique où sont rassemblées les conditions de la prise de parole et de la participation citoyennes. Pour sortir de l’emprise excessive de la culture technocratique, il est important en particulier que les consultations internes, que les nouvelles modalités d’association des militants ne soient pas limitées d’emblée à des questions thématiques mais portent aussi sur les orientations fondamentales.

     Cette ambition doit être pensée en liaison avec notre politique de formation. La proportion que représentent les nouveaux adhérents rend ce rappel important. Au-delà de l’émotion suscitée par les résultats du 21 avril, l’agitation des grands principes, le réflexe anti fasciste, il est nécessaire d’offrir à tous ceux qui pourraient rejoindre le PS les moyens de participer réellement au débat idéologique. Et cette nécessité est d’autant plus forte dans la perspective d’un réel élargissement sociologique de notre base.

     Il est important aussi, de ce point de vue, que le parti puisse se ressourcer intellectuellement en se nourrissant des apports extérieurs. Au lieu d’organiser des colloques de prestige, structurés autour de l’intervention des ténors du parti, nous devons réfléchir à la manière de reconquérir une génération d’intellectuels, d’artistes, d’entrepreneurs, de chercheurs proches du parti, capables de nous apporter un éclairage informé sur les évolutions du monde de la société française mais aussi de contribuer à notre influence idéologique dans la société française. Nous devons créer une sorte " d’université permanente " qui permette, non d’institutionnaliser un compagnonnage intellectuel, mais de créer un lieu ouvert d’échanges, de confrontation ; de fabrication de la pensée, où puissent être pris des risques et explorées de nouvelles voies.

     Au delà de cette transformation en intellectuel collectif, nous devons plus largement essayer d’offrir une gamme renouvelée et diversifiée de fonctions à ceux qui voudraient ou pourraient nous rejoindre. Entre " l’embrigadement " idéologique d’hier – c’est ainsi qu’est largement perçue la relation traditionnelle à la structure partisane - et " le shopping politique " d’aujourd’hui, -observable dans les nouveaux comportements politiques-, nous devons rechercher une nouvelle équation, en proposant à nos adhérents potentiels un cadre souple et ouvert de réflexion et d’action, une relation renouvelée, satisfaisant à la fois un besoin d’appartenance donc d’identification et un besoin d’autonomie, propice à l’investissement et à l’initiative.

     Une dimension " de service " peut, à cet égard, être développée dans l’activité du parti. Répondant au besoin stratégique de reconquérir les classes populaires, de "retravailler la société ", celle-ci peut aussi fournir un terrain d’action à de nouveaux adhérents désireux de s’investir mais réservés quant aux formes de la militance classique proposées à " la base " (diffusion de tracts, réunions publiques) et souhaitant agir de façon concrète. Autour de ce pôle peuvent être pensés alors les liens nouveaux à tisser avec le monde associatif en aménageant nos statuts pour permettre l'adhésion directe des associations.

     Nous devons, enfin, engager une politique résolue de partage réel des responsabilités internes et électives. Notre parti ne peut espérer conquérir et conserver de nouveaux militants s’il n’évolue pas drastiquement sur cette question, s’il ne produit pas, en la matière, un effort comparable à celui qu'il a engagé avec l'instauration de la parité. Nous devons sortir du règne des notables, de la culture du cumul, refuser en matière politique ce que nous refusons en matière économique c’est-à-dire la capitalisation systématique des ressources sur un nombre restreint de personnes.

     Il faut cesser de surestimer volontairement, pour justifier le conservatisme, l’argument des positions ou des notoriétés acquises, cesser aussi d’agiter le préalable du statut de l’élu pour différer sans cesse l’adoption d’orientations volontaristes dans ce domaine. Nous devons nous fixer un cap, le seul qui soit cohérent avec la volonté de construire un parti d’adhérent, celui du mandat unique et limité dans le temps, et engager à partir de cette perspective la discussion dans le parti sur les rythmes, les étapes et les aménagements.



 
Collectif RéGénération :
Laurent BAUMEL membre suppléant du Conseil national, secrétaire régional Champagne-Ardenne ;
Laurent BOUVET ancien rédacteur en chef de la Revue Socialiste, Paris 5e
Vincent FELTESSE membre suppléant du Conseil national, maire de Blanquefort (33)
Cécile BEAUJOUAN rédactrice en chef de la Revue Socialiste
Emeric BREHIER Seine-et-Marne
Joël CARRERAS membre suppléant du Conseil national, secrétaire fédéral, 31
Damien CESSELIN conseiller municipal de Cabourg, délégué fédéral, 14
Lisa FRATACCI Paris 5e
Xavier GARCIA conseiller municipal de Cantaron, 06
Jean-Henri GONTARDVaucluse
Frédéric HERVO secrétaire fédéral, 28
Rodolphe KAUFMANN 06
Philippe LASNIER Paris 3e
Romaric LAZERGES 34
Denis MAILLARD Paris 18e
Sandrine MARTIN conseillère municipale de Poitiers, 86
Gilles MOEC adjoint au maire de Fontenay-sous-Bois, 94
Marc PETRY secrétaire fédéral, 08
Olivia POLSKY Paris 14e
Marie-Nadine PRAGER Paris 15e
Jérôme TOURNADRE Paris 4e
Patrick VOLPIHAC 33
Raphaëlle YON-ARAUD Paris 9e
Yvan ZERBINI délégué fédéral, 92

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