Le socialisme du XXIème siècle : | |
![]() juillet 2005 |
Les congrès sont toujours des moments importants dans la vie des socialistes. Mais le congrès du Mans, le 18 novembre prochain, s’annonce comme un rendez-vous crucial pour notre
avenir collectif. Avec le 29 mai 2005, un nouveau coup de tonnerre a éclaté sur la France et l’Europe. Nous devons en tirer les leçons. Nous n’avions pas pu le faire pleinement à Dijon, au lendemain du 21 avril 2002 : la priorité, après le choc, était au rassemblement. C’était légitime. A la veille de 2007, l’unité des socialistes reste toujours indispensable. Mais elle ne peut se faire, cette fois, au détriment de la clarté et des idées. Car le message des Français, en ces deux occasions, est limpide : « Vous ne répondez pas à nos problèmes. Nous nous enfonçons dans la crise et vous êtes incapables de nous en sortir ». Le congrès doit donc être un congrès de projet : trouver les clés pour sortir de la crise, tracer un chemin pour la France et l’Europe de demain. Il y a là urgence et nécessité. Urgence car 2007 approche à grands pas et peu a été fait ou dit à ce stade. Nous n’avons que trop perdu de temps. Nécessité électorale parce que le retour du balancier vers la gauche en 2007 ne sera pas automatique. Les Français rejettent certes la droite au pouvoir mais il nous reste à incarner une alternative. Nous devons redonner l’espoir qu’une autre politique est possible. Ce sera d’autant plus nécessaire que l’alternative pourrait s’incarner au sein même de la droite, avec un candidat doté d’un programme libéral-sécuritaire cohérent. Nécessité politique parce que notre but ne saurait être seulement de reconquérir le pouvoir, mais aussi d’y réussir. Nous voulons être utiles aux Français. Nous voulons changer la vie - en mieux. Pourtant, nous le sentons tous, la maturation de notre projet socialiste est difficile. C’est que nos débats se heurtent à une double impasse. Il y a d’un côté les illusions de la protestation. Nous voulons tous trouver des solutions radicales aux problèmes des Français. Répondre pleinement aux angoisses des classes populaires. Renverser ce monde injuste. Réunir toute la gauche dans ce combat. Mais aujourd’hui, cette radicalité se limite à une dénonciation sans solution. Elle se dissout dans la protestation. C’est une voie illusoire. La protestation empêche d’agir sur le réel : face à la virulence de la dénonciation, les propositions ne sont jamais assez radicales, jamais « assez à gauche ». Elle débouche sur le mensonge « molletiste », avec un grand écart entre le discours contestataire dans l’opposition et la pratique gestionnaire une fois au gouvernement. Si nous la choisissions, nous serions vite confrontés aux illusions que nous aurions semées et notre échec au pouvoir serait garanti. Plus fondamentalement encore, la défiance démocratique actuelle, aggravée par dix ans de chiraquisme, invite à en finir résolument avec toutes les formes de désinvolture électoraliste. C’est aussi une voie incertaine. Incertaine sociologiquement : il n’y a pas deux France, une « France d’en bas » qui protesterait contre la « France d’en haut ». Il y a une France fragmentée, diverse, multiple, une France qui souffre et qui attend un discours positif de cohésion sociale. Incertaine politiquement, aussi. Le vote protestataire est certes pour l’essentiel le vote des couches populaires. Mais il mêle notamment électeurs de gauche et électeurs d’extrême droite. Sera-t-il séduit par les accents protestataires - a fortiori artificiels - qui émaneraient d’un candidat socialiste ? Nous ne le pensons pas : les couches populaires manifestent leur indignation mais elles attendent de nous des solutions et une vision. Nous avons vu l’ensemble de ces mécanismes à l’oeuvre lors de la campagne référendaire. Il faut respecter le résultat des urnes. Il faut aussi dépasser le clivage entre le « oui » et le « non ». Mais nous ne pouvons que regretter que le désir de protester contre l’Europe telle qu’elle se construit - trop libérale, trop technocratique, trop rapidement élargie - l’ait emporté sur la volonté de progresser avec un texte qui constituait pourtant le meilleur compromis jamais arraché par la social-démocratie face à la droite européenne. Protestation illusoire : le « non » l’a emporté et il n’y a pas de plan B, pas de renégociation. Nous revenons à une situation moins favorable. Nous n’avons pas servi les intérêts objectifs de notre électorat. Protestation inefficace : le « non » est un acte de refus, il n’est pas fédérateur autour d’un projet, il n’a pas créé d’alternative. Mais il y a de l’autre côté l’impuissance du réformisme « vide ». Le réformisme sans contenu est aussi une impasse. Il se désagrège dans le pragmatisme gestionnaire, le discours technocratique, le désert intellectuel. Il se corrompt dans le social-libéralisme, l’accompagnement compassionnel du néolibéralisme. Il retarde, sans l’empêcher, la dégradation de notre modèle de société au profit du modèle néo-libéral. Il n’offre aucune espérance et alimente, comme dans un jeu de miroir, l’attractivité du discours protestataire. Nous devons sortir de ce tête à tête mortel entre des révolutionnaires sans révolution et des réformistes sans réformes ! Si nous nous heurtons à ces impasses, si nous peinons à définir notre projet, c’est qu’il s’inscrit dans une matrice idéologique épuisée. Une matrice qui ne correspond plus aux défis du monde contemporain - ceux de la mondialisation et des mutations du capitalisme, du chômage de masse, de la fragmentation sociale, du vieillissement démographique, des nouvelles menaces écologiques, des désordres stratégiques de l’après-11 septembre... Tel est l’enjeu du congrès du Mans : rénover la matrice idéologique du socialisme. Refonder notre identité. Répondre à cette question fondamentale : qu’est-ce qu’être socialiste au XXIème siècle ? Telle est la tâche qui nous attend si nous voulons de nouveau être capables de sortir le pays de la crise, si nous voulons être utiles aux Français. Il nous faut réinventer le socialisme. Nous proposons une nouvelle identité socialiste : le « réformisme radical ». Réformisme, parce que nous acceptons les contraintes du réel, la politique des petits pas : tout progrès, même modeste, même frustrant, est bon à prendre. Radical, car nous voulons mobiliser les énergies pour « changer la vie ». Nous voulons signifier le retour du volontarisme politique. Le socialisme ne saurait être une subordination de la justice sociale au marché, c’est une confrontation. Cette confrontation est toujours possible aujourd’hui, nous ne sommes pas condamnés à l’impuissance. Nous proposons un nouveau projet socialiste : le socialisme de l’émancipation. Nous vivons la fin du cycle idéologique de l’après-guerre. Notre logiciel y est fondé sur la logique de la réparation : nous laissons le capitalisme produire la richesse, et nous corrigeons les inégalités qu’il produit à travers la redistribution de l’Etat-providence. Cette logique exclusive ne fonctionne plus. Les inégalités prolifèrent à nouveau, de nouveaux dégâts - écologiques, stratégiques - sont générés par la mondialisation, il est de plus en plus difficile de les corriger a posteriori. L’Etat-providence est débordé. La réparation doit rester au coeur de notre action : ce n’est pas au moment où le capitalisme renforce ses effets pervers qu’il faut baisser la garde. L’effort redistributif de l’Etat-providence doit être accru. Mais il faut ajouter un deuxième étage à la fusée : la prévention. Le socialisme ne doit plus seulement corriger a posteriori les désordres de l’activité humaine, il doit empêcher leur apparition. Pour cela, il doit les attaquer à la racine. Au sein du système productif : en cela il renoue avec le « socialisme de la production » du XIXème siècle, celui des luttes sociales dans l’entreprise. Mais aussi en amont du système productif, au sein de la société, pour éradiquer les inégalités de départ qui surdéterminent les destins individuels. Selon que l’on naît à Neuilly, Montreuil ou Vaux-en-Velin, les jeux sont faits d’avance, les destins scellés. Pour casser cette fatalité, le socialisme doit changer de paradigme. Il doit passer de l’égalité formelle à l’égalité réelle des chances : « donner plus à ceux qui ont moins », concentrer les moyens publics sur ceux qui en ont le plus besoin. C’est le socialisme de l’émancipation : il vise à redonner à chacun la maîtrise de son destin. Nous proposons un nouveau levier d’action : l’Europe, notre bras armé dans la mondialisation. Notre horizon de socialistes, c’est désormais le monde : les enjeux sont planétaires. Pour pouvoir les réguler, nous devons construire un outil à leur mesure : l’Europe politique. Cette redéfinition de l’identité socialiste est notre enjeu collectif dans le congrès du Mans. Par ce texte de contribution, nous n’avons pas d’autre ambition que de répondre à l’appel du premier secrétaire pour un congrès de projet. Nous nous situons pleinement dans le cadre du rassemblement qui s’organise autour de lui. Un grand nombre d’entre nous appartiennent à la génération qui a grandi avec la gauche au pouvoir et la mondialisation. Nous n’avons pas eu le temps de partager les illusions du communisme et de la Révolution. Nous avons aussi constaté que le réformisme « vide » était une impasse, qu’il engendrait la désillusion. Aujourd’hui, nous estimons que l’invention de ce réformisme assumé, actualisé et radical, dont le mouvement socialiste et la gauche toute entière ont besoin, est aussi notre affaire. Nous proposons une reformulation idéologique, autour du socialisme de l’émancipation. Nous en donnons quelques illustrations programmatiques, pour montrer sa capacité réformatrice. Nous pensons qu’un renouvellement des pratiques politiques - dans le parti comme dans la République - est nécessaire. L’unité et le rassemblement des socialistes autour d’une ligne politique claire devront se faire le moment venu, au stade des motions et de la synthèse. Mais, en amont, la phase des contributions doit permettre un débat vivant et ouvert à tous les apports. Nous voulons juste proposer le nôtre. |
I - L’ENJEU DU CONGRÈS : | |
1) Le socialisme impuissant face au malaise françaisLe 21 avril et le 29 mai révèlent une crise démocratique profonde« Insurrection électorale » : au-delà de la question européenne, le vote du 29 mai est, après le 21 avril, une nouvelle manifestation de la crise démocratique que traverse la France. Cette crise a différentes expressions. L’alternance systématique, tout d’abord. « Sortez les sortants » est devenu un mot d’ordre. Depuis 1981, le balancier électoral est systématique. Les gouvernements en place sont toujours battus. La protestation, ensuite. Elle s’exprime dans les urnes avec la montée des suffrages qui se portent sur les partis extrémistes et, corrélativement, le rétrécissement de la base électorale des partis de gouvernement. Le 21 avril, seuls 52 % des Français ont voté pour un parti de gouvernement. Le 29 mai, ce chiffre se dégrade encore : 45 % ont suivi les partis de gouvernement, qui défendaient le « oui ». C’est la « démocratie du refus ». L’abstention, enfin. Les citoyens sont de plus en plus nombreux à ne pas voter. Ils s’abstiennent. Pire encore, ils ne sont plus inscrits sur les listes électorales. Ce n’est pas par légèreté, parce que les enjeux auraient disparu. Au contraire, c’est un choix stratégique. Il marque une défiance : les représentés ne votent plus pour leurs représentants parce qu’ils ne leur font plus confiance. Certains politiques voudraient, comme en Suisse, instaurer le vote obligatoire. Ce serait effacer le symptôme, pas le mal. Alternance systématique, protestation, abstention stratégique : notre démocratie représentative se porte mal. Les Français rejettent toute la représentation politique, et plus généralement les élites. La crise démocratique a pour origine principale l'impuissance politiqueLe malaise de notre démocratie a des origines multiples. La crise de la responsabilité. Les Français ont le sentiment de l’impunité des élites. Cette irresponsabilité est devenue institutionnelle au niveau de la Présidence de la République. Irresponsabilité politique : le Président n’a pas de comptes à rendre, il utilise son Premier ministre comme fusible. Et irresponsabilité pénale : le Président ne peut pas être poursuivi pendant l’exercice de son mandat. La crise de la représentation. Une partie de l’électorat - la plus fragile, la moins intégrée - ne se sent pas représentée. C’est le cas des Français issus de l’immigration, des minorités visibles, des jeunes générations, des femmes... C’est aussi le cas des citoyens les plus défavorisés, ceux qui vivent dans des banlieues dégradées, qui connaissent la pauvreté ou l’exclusion. Ces citoyens se sentent exclus du jeu démocratique. C’est pourquoi ils votent de moins en moins. C’est une démocratie censitaire qui se met lentement et subrepticement en place. Avec le plus terrible des cens - un cens volontaire. La crise de la légitimité. Une autre partie de l’électorat - la plus intégrée, la plus éduquée - ne se satisfait plus du fonctionnement démocratique actuel. Elle le trouve trop frustre. Le vote est un renoncement à l’exercice de la souveraineté politique, déléguée à son élu pendant toute la durée du mandat, le plus souvent sur une base programmatique vague. Les citoyens souhaitent désormais l’exercer. Ils veulent participer à l’élaboration des politiques publiques. Ils veulent aussi décider directement : « on ne nous a pas consultés », est une critique devenue classique à l’encontre des politiques. C’est une remise en cause profonde de la démocratie traditionnelle : la légitimité de la représentation s’estompe. Mais la crise de la démocratie est avant tout une crise d’efficacité. La politique semble impuissante. Elle ne parvient pas à résoudre les problèmes des Français. Elle échoue à sortir la France du malaise économique et social qui la gangrène depuis plus de trente ans. La croissance est en panne. Le chômage de masse a gagné la société. Les inégalités, stables depuis les années 1960, repartent à la hausse. C’est le modèle de société français lui-même qui est atteint dans son coeur. Ce modèle est fait d’un équilibre particulier entre liberté et cohésion sociale, entre croissance et redistribution, entre marché et Etat-providence. Ce modèle, miné par le chômage et le creusement des inégalités, est aujourd’hui en danger. Les plus pauvres sont relégués dans les cités ghettos. Les classes populaires, rongées par la précarité, décrochent. La République se déchire. La France n’arrive plus à « faire société ». Pour expliquer cette impuissance, les citoyens ont le sentiment que les politiques ont perdu le pouvoir : il est ailleurs, désormais - à Bruxelles, Washington, dans les entreprises multinationales… Et que, même s’ils l’avaient encore, ils ne sauraient comment l’utiliser : plus aucun parti n’a les clés de l’avenir. Les politiques n’ont plus de solutions à proposer. Il n’y a plus de vision, de projet pour la France et l’Europe de demain. Cette impuissance politique est aussi celle du socialismeL’échec de la droite est aujourd’hui absolu. Mais reconnaissons-le avec lucidité : le message des Français - « vous ne répondez pas à nos problèmes » - s’adresse également au parti socialiste. D’abord, parce que nous avons gouverné la France
quinze ans sur les vingt-quatre dernières années. Certes, le gouvernement de Lionel Jospin fut remarquable : meilleure croissance européenne, deux millions d’emplois créés, chômage en baisse de 30 %, importantes réformes sociales et sociétales... Mais globalement, sur la longue période, la gauche au pouvoir n’a pas su résoudre la crise. Cette crise signe donc, pour une part, l’échec des socialistes. Elle interroge aussi profondément le socialisme. Le programme de justice sociale est, depuis deux siècles, porté par la gauche. Il est le fondement premier de notre identité socialiste. Le développement d’une société inégalitaire est incompatible avec nos valeurs. Notre impuissance remet en cause le sens de notre action. 2) Les trois crises du socialismeLa crise du projet socialiste : notre matrice idéologique « historique », fondée sur la réparation, n'est pas adaptée aux défis du monde contemporainNous vivons la fin d’un cycle. À notre sens, il ne s’agit pas seulement du cycle stratégique d’Epinay. Il s’agit plus fondamentalement encore de la fin du cycle
idéologique du socialisme d’après-guerre. Ce socialisme, né avec le Front populaire puis la Résistance, a soutenu puis porté l’Etat-providence, ce vaste compromis entre économie de marché et justice sociale. Il a introduit « le doute marxiste au sein du système capitaliste », selon la formule de Jürgen Habermas. Il a comme matrice la réparation : il s’agit de corriger les inégalités engendrées par le capitalisme. Il repose sur l’Etat : c’est l’Etat qui met en oeuvre la correction des inégalités de marché, à travers les prélèvements fiscaux, la protection sociale et les services publics. Le socialisme de la réparation fut au coeur du succès du modèle français et européen lors des Trente Glorieuses. L’Etat-providence a permis la mise en place d’un cercle vertueux entre production et redistribution. L’économie de marché produit la richesse. Celle-ci est redistribuée afin d’assurer la cohésion sociale et de limiter les inégalités. Cette redistribution accroît la consommation des classes moyennes et populaires, source de croissance et de davantage de richesse. Ce modèle socialiste de la réparation est en crise. Il ne parvient plus à répondre aux défis du monde contemporain. La mondialisation et les mutations du capitalismeLe capitalisme a subi, depuis une vingtaine d’années, des mutations profondes. L’économiste Daniel Cohen parle de « nouvelle révolution capitaliste ». Or ce
nouveau capitalisme place l’Etat-providence sous des contraintes croisées. D’un côté, ce nouveau capitalisme secrète de nouvelles inégalités, beaucoup plus importantes que le capitalisme classique : ![]() Le capitalisme industriel est devenu financier. Sa logique est celle du rendement sur les marchés financiers, et non plus de la croissance sur le marché des biens. Nous assistons à la revanche de l’actionnaire : le partage de la valeur ajoutée se déforme en faveur du capital, au détriment du travail. ![]() Le capitalisme fordiste était fondé sur le modèle de la grande entreprise industrielle et les rapports de classe. La classe ouvrière avait pu y négocier un statut du salariat, formidable facteur de sécurité et d’égalité : les conditions salariales sont fixées de manière objective (grille de salaire par poste, promotion à l’ancienneté) ; le modèle de carrière est celui de la carrière à vie dans la même entreprise. Le fordisme a été ébranlé par le déclin du modèle d’organisation de la grande entreprise industrielle. L’économie moderne est fondée sur la différenciation des tâches, la flexibilité, la relation directe avec le client. Résultat : il n’y a plus de collectif, de solidarité de classe face au patronat, de communauté d’intérêts de la classe ouvrière, mais au contraire une concurrence individuelle. Le statut du salariat s’effrite (avec la prolifération des CDD, du temps partiel, de l’intérim et des contrats précaires), laissant place à une « re-marchandisation » du travail. Les salariés sont plus jugés au mérite. Mécaniquement, les écarts salariaux individuels s’accroissent. On assiste au développement du « modèle biographique », selon l’expression du sociologue Ulrich Beck. ![]() La mondialisation élargit l’éventail des salaires. Elle pèse sur les revenus et les emplois des salariés peu qualifiés des pays occidentaux, qui sont mis en concurrence avec les bas salaires des pays en développement. Les vagues de délocalisation et la rapide désindustrialisation de l’Europe - au moins dans les industries de main d’oeuvre - en sont le douloureux témoignage. A l’inverse, la mondialisation valorise cette nouvelle classe de cadres internationaux, dont la fonction est justement d’organiser le nomadisme de l’entreprise : ils en sont rétribués par une « actionnarisation » progressive - primes, stock-options, « bonus packages »... La mondialisation fait également diverger les trajectoires professionnelles. Avec la
mondialisation, le capital est devenu plus mobile, plus rapide. Dès lors, les
carrières à vie se raréfient. Les salariés sont amenés à changer plusieurs fois
d’entreprises et de métiers : les ruptures professionnelles vont se multiplier. Pour la
fraction la plus intégrée des cadres et des ingénieurs, ces ruptures sont l’occasion
de sauts qualitatifs dans leur carrière : c’est en changeant d’entreprise qu’ils
accèdent à de nouvelles responsabilités, renégocient leurs salaires, obtiennent des
formations qualifiantes. A l’inverse, pour les salariés peu ou pas qualifiés, la
progression de carrière était assurée au sein de l’entreprise : c’est dans leur
pratique professionnelle qu’ils pouvaient démontrer leur savoir-faire, leurs talents.
Pour eux, l’ancienneté dans l’entreprise est un facteur déterminant. Les ruptures de
carrière brisent ce modèle de promotion. Le savoir-faire démontré dans l’entreprise
n’est pas valorisable à l’extérieur : il faut y refaire ses preuves, repartir de zéro. Le
tissu social créé dans l’entreprise - avec le rapport de force collectif, le soutien
syndical - est perdu : le salarié se retrouve seul pour chercher un nouvel emploi.
Dès lors, ces ruptures provoquent la stagnation professionnelle, ou pire le chômage
de longue durée et la déqualification. Elles sont au coeur d’une nouvelle insécurité
économique, si profondément ressentie par nos concitoyens. De l’autre côté, le nouveau capitalisme rend plus difficile la correction des inégalités. En effet, avec la mondialisation, la valeur ajoutée est susceptible de s’évader hors du territoire national et d’échapper ainsi à la redistribution de l’Etat-providence. Croissance et redistribution s’auto-alimentaient pendant les Trente Glorieuses. On les présente désormais comme incompatibles. Les investissements dépendent de la compétitivité des entreprises et de l’attractivité du territoire. Or les prélèvements fiscaux et sociaux les handicapent : pour retrouver la croissance, on nous dit qu’il faudrait sacrifier l’Etat providence. Le vieillissement démographiqueLe vieillissement démographique est très marqué, en France comme en Europe : il est le fait d’un double mouvement d’allongement de l’espérance de vie et de baisse du
taux de fécondité. La jeune génération (0-24 ans) représentait 31 % de la population
française en 1995 : elle n’en formera plus que 27 % en 2015. Le nombre de retraités
explose. Il y avait un retraité pour quatre actifs en 1960. Ce ratio monte à un retraité
pour trois actifs en 2000. Il se dégrade dans des proportions exceptionnelles dans les
décennies à venir, avec un retraité pour deux actifs en 2020 et un ratio de un pour un
en 2050. Quant au quatrième âge (80 ans et plus), il passera de 4 % de la population en
1995 à 9 % en 2015. Le vieillissement fait subir à l’Etat-providence une contrainte croisée. D’un côté, les recettes baissent puisqu’on compte moins d’actifs, et donc de cotisants. De l’autre, les dépenses augmentent puisqu’il y a plus de retraités et que croît le montant des dépenses de santé liées à l’âge. La grande dépendance, notamment, sera soumise à de fortes tensions : la dignité des personnes qui perdent leur autonomie est un objectif prioritaire pour les socialistes, mais il sera difficile à tenir avec l’explosion des coûts. La fragmentation sociale et l'explosion des inégalitésLa société française de l’après-guerre était caractérisée par la cohésion sociale. Les inégalités étaient pour l’essentiel socio-professionnelles et divisaient deux France : le
capital face au travail, les classes supérieures « dominantes » et les classes populaires
« dominées ». Grâce à l’Etat-providence, elles étaient sous contrôle : le rapport des
10% les plus modestes face aux 10 % les plus aisés était passé d’un rapport de 1 à 20
en 1900 à un rapport de 1 à 8, stable depuis les années 1960.
Cette lecture des deux France est celle de la France d’hier. Elle est aujourd’hui
dépassée. La société française contemporaine se fragmente. La cohésion sociale se
fissure, avec la montée d’un phénomène inégalitaire puissant et multiforme : ![]() L’Etat-providence est débordé par les mutations du capitalisme : il n’arrive plus à contenir les inégalités financières. Mais au-delà des revenus, les inégalités socio-professionnelles se déploient de manière multiforme : les fragmentations se multiplient - entre les « exclus » et les « inclus », les chômeurs et ceux qui ont un emploi, les salariés et les non-salariés, les salariés précaires (CDD, temps partiel...) et les contrats à durée indéterminée, les salariés du privé et les salariés à statut… Le monde du travail est en miettes. Le modèle de l’Etat-providence est peu adapté pour corriger ces inégalités : il les laisse se développer en se contentant d’en corriger les conséquences financières après coup ; il ne cherche pas à les corriger là où elles se créent, au sein du système productif. ![]() La société française exprime une demande nouvelle de promotion individuelle : les Français veulent maîtriser leur destin. Cela s’explique d’abord par une évolution des valeurs collectives : montée de l’individualisme, aspiration au mérite, besoin accru d’accomplissement personnel. Cela s’explique ensuite par l’évolution du capitalisme « post-fordiste ». Aujourd’hui, avec l’affaiblissement des statuts collectifs, chacun tend à jouer sa carte personnelle : chaque salarié devient responsable de son parcours professionnel, de sa réussite ou de son échec. Cela s’explique enfin par la démocratisation scolaire. Et elle est très récente : en dix ans, de 1987 à 1997, l’âge médian de la fin des études est passé de 19 à 22 ans ; le taux de bacheliers a plus que doublé, de 30 à 63 %. Le sociologue Eric Maurin l’a montré : cette volonté de promotion individuelle fait l’objet d’une terrible déception. L’ascenseur social est bloqué. Les inégalités de destin n’ont jamais été aussi fortes en France. Inégalités inter-générationnelles : la probabilité qu’un enfant d’ouvrier devienne cadre est à son plus bas historique, comme en témoigne symboliquement la chute de la part de fils d’ouvriers et d’employés dans les étudiants des grandes écoles. Inégalités intra-générationnelles : la mobilité sociale est plus faible qu’autrefois - ainsi, en 1960, un ouvrier pouvait espérer rattraper le salaire moyen d’un cadre en 30 ans alors qu’il voit aujourd’hui son horizon dépasser 150 ans... Comment expliquer cette immobilité sociale, alors que les mentalités collectives privilégient désormais la réussite individuelle, que les travailleurs ont été « mis en mouvement » avec le déclin des barrières de classes, et que l’école est ouverte à tous ? C’est que les inégalités de départ sont maximales en France. Réussir son destin est désormais ouvert à tous en théorie. Mais pour accomplir effectivement son destin, ou celui de ses enfants, il faut un capital global de départ - humain, social, culturel, économique. Or ce capital de départ est réparti de manière extraordinairement inégalitaire. Disons-le tout net : le modèle socialiste de la réparation est mal équipé pour casser ces inégalités de départ. Il ne répond pas à ces citoyens qui disent : « Ne vous intéressez pas seulement à notre filet de sécurité en cas d’échec, donnez-nous aussi les moyens de réussir. ». Le socialisme ne peut plus se désintéresser de ces moyens : il ne doit plus seulement corriger les inégalités d’arrivée, produites par le marché ; il doit également offrir une réelle égalité des chances au départ. ![]() Les inégalités se sont multipliées et complexifiées. Mais la principale grille de lecture de cette société éclatée passe par la concentration territoriale des inégalités. Le sociologue Jacques Donzelot l’a théorisée à travers l’idée d’une division tripartite du territoire. Il y a d’un côté les familles aisées qui veulent vivre entre elles. Elles font « sécession » du reste de la société et habitent dans les centres « gentrifiés » des grandes villes, qui concentrent tous les avantages - réseau social, qualité de l’environnement urbain, sécurité, proximité des services publics (notamment culturels). Il y a à l’autre bout de l’échelle les « exclus », relégués dans les territoires ruraux désertifiés et dans les cités, qui concentrent à l’inverse toutes les difficultés - chômage, pauvreté, échec scolaire, concentration des primo-arrivants, absence d’équipements, délabrement de l’habitat, insécurité. Entre les deux, dans l’espace péri-urbain (la « banlieue »), il y a les classes populaires : elles rêvent de pouvoir aller vivre avec la population aisée mais elles en sont exclues, notamment du fait du prix de l’immobilier ; et elles ont peur d’être rattrapées par les plus pauvres, d’ici et surtout d’ailleurs, qu’elles perçoivent comme une menace pour leur sécurité et pour la qualité de la scolarisation de leurs enfants. Prisonnières dans cet entre-deux, en situation instable et craignant en permanence la relégation, elles se sentent oubliées des pouvoirs publics. Territoires des « nantis », territoires des « oubliés », territoires des « exclus » : la géographie est devenue cloisonnée, et la promotion sociale impossible. La menace écologiqueL’environnement se dégrade à grande vitesse. La dégradation est quantitative : les
écosystèmes sont progressivement détruits sous l’effet de l’intervention humaine. Les
attaques sont multiples : réduction des terres arables par la progression de
l’urbanisation et du réseau routier ; extinction des nappes phréatiques par irrigations
non maîtrisées ; déforestation par octroi de zones de coupes trop importantes ;
destruction des ressources halieutiques par une pêche trop intensive... La dégradation est aussi qualitative : la biosphère se dérègle. Sa composition est altérée sous l’effet de l’accumulation de certains métaux, gaz et composés, importés du sous-sol ou produits par l’activité industrielle. Cette altération provoque des déséquilibres écologiques. C’est tout particulièrement le cas avec des substances rares : parce que leur concentration s’accroît, en proportion, beaucoup plus vite, des fuites mêmes mineures dans la nature peuvent provoquer une forte éco-toxicité. La destruction de la couche d’ozone par les CFC (chloro-fluoro-carbones) ou la stérilité des otaries et des phoques liée aux PCB (biphényles polychlorés) illustrent ce phénomène. Mais c’est aussi le cas avec des substances abondantes, lorsque les volumes accumulés sont importants. Les exemples sont nombreux : empoisonnement des reins au cadmium, mort biologique des lacs par les phosphates, destruction des forêts par les pluies acides. Le cas le plus marquant est le dioxyde de carbone. Son accumulation dans la biosphère est massive du fait de l’extraction intensive de combustibles fossiles du sous-sol. Elle est telle que, malgré la présence généralisée de CO2 dans la nature, elle déclenche le réchauffement climatique de la planète. Il faut le reconnaître : face à ces enjeux écologiques, la prise de conscience des socialistes français est tardive. Et elle s’est faite, là encore, dans le cadre du modèle de la réparation. Nos politiques environnementales sont ainsi pour l’essentiel curatives : on laisse l’activité humaine générer des dégâts écologiques et on tente de les réparer a posteriori. Mais les dégâts écologiques présentent des coûts croissants : il est financièrement de plus en plus difficile d’assumer la remise en état écologique. Surtout, il s’agit là de phénomènes persistants : la remise en l’état est de plus en plus longue. Le risque est alors qu’ils deviennent irréversibles. Les émissions de dioxyde de carbone ont déjà déclenché un réchauffement planétaire : même en cas de réduction drastique des émissions de CO2, le changement climatique sera à l’oeuvre sur le long terme. L’usage des CFC a certes été fortement réduit, mais leur présence dans l’atmosphère ne déclinera que lentement. Il en va de même des déchets nucléaires, qui restent actifs pendant des centaines de milliers d’années. Dégâts croissants, persistance, irréversibilité : ces caractéristiques posent les limites de la logique de réparation en matière environnementale. L'impuissance stratégique dans le monde de l'après-11 septembreAvec la construction européenne, les nations européennes ont entamé une révolution de l’ordre international. Horrifiées par les conséquences de la Machtpolitik qui a débouché sur deux guerres mondiales, convaincues désormais que les seuls rapports de
force créent un monde instable et dangereux, elles se sont détournées de la puissance.
Elles ont appliqué entre elles une approche fondée sur le droit. Les relations y sont
pacifiées et coopératives, la guerre n’est plus une solution, les conflits sont résolus par
la négociation, le compromis et, en cas d’échec, l’arbitrage d’un « tiers de confiance »
(la Commission, la Cour de justice). Les nations européennes sont entrées, au sein de
l’Union européenne, dans un monde « kantien » de « paix perpétuelle ». L’Europe
essaie désormais de défendre ce modèle sur la scène internationale en encourageant le
multilatéralisme, la primauté du droit international, la priorité accordée au règlement
pacifique des différends dans le cadre des Nations-Unies. Cette approche aurait pu s’imposer dans le cadre d’un monde apaisé après la chute du mur de Berlin. Il n’en est rien. Le « renversement du monde » né des attentats du 11 septembre 2001 l’a rendue caduque. Adaptée aux relations intra-européennes, la vision « kantienne » ne le serait pas à l’échelle d’une communauté internationale qui reste à inventer. La persistance de régimes non-démocratiques dans le monde en développement, les violations fondamentales du droit international par les groupes terroristes, la logique de puissance défendue par certains des principaux acteurs de la scène internationale avec plus d’âpreté encore depuis la tragédie du 11 septembre rendent la voix de l’Europe difficilement audible lorsqu’elle s’élève pour défendre un multilatéralisme menacé. L’absence de régulation des relations internationales, combinée à l’approfondissement des inégalités entre le Nord et le Sud, aboutit aux désordres stratégiques actuels. Ces désordres, en particulier la montée du terrorisme islamiste, produisent des dégâts croissants et irréversibles. Au sein de nos sociétés : des vies humaines gâchées, une crispation de nos concitoyens autour de leur identité religieuse, la défiance entre les communautés, une remise en cause de nos valeurs d’ouverture et de tolérance… Et sur la scène internationale, où se met en place la spirale de la violence : la barbarie terroriste engendre les guerres « répressives », qui nourrissent elle-même le terrorisme. Solution désastreuse, le « choc des civilisations » prophétisé par Samuel Huntington est sur le point de se réaliser. Là encore, la logique de la réparation est inefficace : elle n’est pas en mesure de garantir la sécurité internationale. La crise de l'action socialiste : nos leviers institutionnels s'affaiblissentPour transformer la société, pour « changer la vie », il faut des leviers d’action. Le socialisme d’après-guerre s’est appuyé sur l’Etat. L’Etat a été utilisé massivement en France, tant au plan financier (mobilisation budgétaire) qu’au plan normatif (régulation du capitalisme). Ce n’est plus le cas aujourd’hui. D’abord, parce que l’Etat est affaibli. Ses capacités financières atteignent leurs limites. Son monopole dans la réforme de la société a entraîné sa contestation. Ses prérogatives ont été en partie démantelées - vers les collectivités locales, les autorités indépendantes, l’Union européenne. Elles ont aussi été encadrées, à travers la réglementation stricte du droit public : appels d’offre, contrôle préalable systématique... Le levier étatique est par ailleurs devenu moins pertinent. Les grands enjeux - économiques, sociaux, environnementaux - ont changé de dimension et s’inscrivent dans un horizon mondialisé. Face à ces enjeux, la territorialité étatique est moins opérante : quel intérêt, par exemple, de limiter les émissions de gaz à effet de serre en France si le reste de la planète pollue plus ? L’Etat-nation n’a pas la taille critique pour peser sur les affaires du monde. Depuis 1981, le socialisme s’est aussi appuyé sur les collectivités locales. La décentralisation a permis de renforcer ou de créer de nouveaux outils réformistes, pour l’action locale de proximité. Le succès est réel. Les Français en sont satisfaits : l’action municipale, notamment, échappe ainsi à une bonne part de la critique adressée à la démocratie nationale. Mais la multiplication des échelons locaux (communes, intercommunalités, départements, régions, structures de coopération…) a rendu difficilement lisible l’action décentralisée. Surtout, la fragmentation des compétences a entraîné retard, impuissance et dilution de la responsabilité. Ainsi, pour créer une crèche, il faut l’accord de pas moins de cinq administrations différentes - la municipalité qui choisit l’implantation, la caisse d’allocation familiale qui cofinance, le ministère des affaires sociales qui délivre l’agrément, la préfecture de police qui donne les autorisations de sécurité, les pompiers pour les questions d’incendie. Sur une ville comme Paris, il faut désormais plus de cinq ans pour sortir une crèche de terre... La crise de la culture politique socialiste : notre capacité de réflexion s'amenuiseLes partis perdent progressivement leur culture politique. Le parti socialiste n’en est malheureusement pas exempt. C’est un fait : notre parti a de plus en plus de mal à produire des idées. Le travail doctrinal y est, pour rester dans la litote, périphérique. Il
y a quatre raisons principales à cela. La culture technocratique. Elle est l’apanage de tout parti de gouvernement. Elle est indispensable pour gouverner : n’en doutons pas, si nous sommes de meilleurs gestionnaires que la droite, nous le devons d’abord à la qualité de notre culture technocratique. Elle est moins efficace dans l’opposition, lorsqu’il ne s’agit plus de mettre en oeuvre des politiques mais de les inventer. Elle est stérilisante en période de rénovation intellectuelle, comme c’est le cas aujourd’hui, du fait de son incapacité à se mettre à la hauteur des enjeux historiques. La fermeture sociologique. Le milieu politique tourne en circuit fermé. Il n’est plus irrigué par la société civile - ni pas les intellectuels, ni par les syndicats, ni par le monde associatif. Les intellectuels ont déserté la politique. Sans doute ont-ils été en partie chassés par les technocrates. Mais beaucoup l’ont fui volontairement, dans une « trahison des clercs » à l’envers. La réflexion politique française était marquée par le clivage entre marxisme et capitalisme. Pour beaucoup, la chute du Mur a été perçue comme la victoire définitive du camp capitaliste, la fin de l’Histoire politique. Il est urgent que les intellectuels réinvestissement la réflexion politique. Les syndicats se sont éloignés des partis de gauche, au nom de l’indépendance syndicale. Résultat : un déficit d’expertise sur le monde de l’entreprise et les relations du travail. Les milieux associatifs n’entretiennent pas de rapports structurés avec nous. Cette situation est anormale. Le renouvellement des idées passe aussi par le terrain : il y a des initiatives locales novatrices, il faut être capable d’identifier ces réussites et de susciter leur généralisation. Nous ne sommes pas en mesure aujourd’hui de faire fructifier cette richesse de terrain. La tactique politicienne. Nous sommes un parti de gouvernement, nous avons comme ambition légitime la conquête du pouvoir. Or le phénomène de balancier électoral semble assurer la reconquête « automatique » du pouvoir. Dès lors, certains socialistes ont la tentation de rejeter toute aspérité, toute proposition clivante qui pourrait gêner le retour du balancier. Ceux-là ont moralement tort, car cette tentation est la négation même de la politique : nous ne voulons pas gouverner pour occuper des postes, mais pour être utiles aux Français. Ils ont tort, aussi, politiquement : les Français sont en quête de sens, ils veulent qu’on leur trace un chemin. La tentation démagogique. Surfer sur la vague médiatique, coller aux sondages, flatter les réactions instinctives de l’électorat - telles sont les sirènes cyniques auxquelles certains, pour gagner, pourraient être tentés de céder. La démocratie n’est pas éternelle : gardons-nous à gauche de faire le lit du populisme, comme Nicolas Sarkozy le fait à droite. La revalorisation des idées est un impératif catégorique. Pour les Français, mais aussi pour nous-mêmes. Car, libérée de la fidélité aux idées, notre éthique politique serait rapidement menacée. 3) Refonder l'identité socialisteUn idéal inchangé : une société justeNos objectifs de socialistes n’ont pas changé. Nous voulons une société juste. Cette société juste, elle se trouve, pour nous socialistes, dans la réconciliation entre deux principes que la tradition philosophique a opposés : la liberté (politique mais aussi économique, avec le marché) et la justice sociale (principalement la redistribution des richesses). Face aux libéraux qui défendaient le capitalisme contre la justice sociale, face aux communistes qui prônaient de rompre avec le capitalisme pour une société
totalement égalitaire, le socialisme s’est construit autour d’une synthèse : la plus forte
justice sociale, la plus grande égalité dans le respect du principe de liberté.
Des réponses fausses : le socialisme entre illusion protestataire et impuissance réformistePour atteindre cet objectif de justice sociale, nos débats sur le projet se heurtent
aujourd’hui à la double impasse de la radicalité protestataire et du réformisme vide.
Ces deux impasses se nourrissent mutuellement de manière stérile. Les insuffisances
de notre action gouvernementale entraînent, une fois de retour dans l’opposition, des
poussées radicales : « si nous avons perdu, c’est que nous n’avons pas été assez à
gauche ». Les tenants de la ligne réformiste doivent dès lors livrer bataille pour empêcher une dérive protestataire du parti. Nous rejouons en permanence ce clivage entre radicalité et réformisme. Il n’a pas changé depuis le débat de principe entre Jules Guesde et Jean Jaurès sur l’introduction du salaire minimum : Jaurès l’approuve car c’est une réforme qui améliore le sort des travailleurs ; Guesde le rejette car cette amélioration éloigne la perspective de la révolution, et donc de la société idéale. Cette opposition se fait au détriment d’une réflexion de fond, sereine, profonde et courageuse sur le projet. La refondation : vers le socialisme moderne, troisième étape du socialisme françaisCe double écueil de notre réflexion politique s’explique simplement : notre matrice
idéologique est épuisée. Il nous faut inventer une nouvelle étape de notre pensée
politique. Car le socialisme n’est pas figé. Il s’est métamorphosé au gré des mutations
du capitalisme et de la nécessité d’inventer sans cesse des instruments pour lutter
contre les inégalités nouvelles que ces mutations produisaient – pour combattre,
comme le disait Jaurès dans L’Armée nouvelle, « la fougue révolutionnaire du profit,
sa mobilité ardente et brutale ». La première vague du socialisme a traversé tout le XIXème siècle. Dans les années 1830, le socialisme politique est né d’une révolte contre les conditions de vie misérables imposées par le capitalisme industriel. Il s’est structuré dans les années 1880-1890, sous l’influence du marxisme. Les revendications se sont concentrées au sein de l’entreprise, autour du droit du travail, d’un statut du salariat. C’est le temps des conflits sociaux les plus violents. Ce « socialisme de la production » a inventé le syndicalisme. La seconde vague du socialisme s’est formée au tournant des années 1930 et de la seconde guerre mondiale. Elle repose sur un sentiment fort : le statut professionnel est insuffisant à protéger les citoyens, car il laisse démunis les chômeurs, les malades, les personnes âgées. L’absence de toute protection sociale en dehors du salariat crée une insécurité extrême du travailleur, dont la survie économique dépend exclusivement de la conservation de son contrat de travail. Elle met en danger la société en période de crise économique, susceptible de jeter des millions de citoyens dans la misère. C’est pourquoi la génération du Front populaire, puis celle issue de la Résistance, n’eurent de cesse de relever le défi de l’extension de la protection sociale à l’ensemble de la population. C’est le « socialisme de la réparation », qui repose sur l’Etat-providence. Il nous faut désormais penser une troisième étape du socialisme, adaptée au monde contemporain, à ce nouveau capitalisme mondialisé. Il nous faut également de nouvelles pratiques pour le porter. |
II - LE SOCIALISME AU XXIème SIÉCLE : | ||||||||||||
1) Les valeurs : le réformisme radicalUn réformisme assumé : « changer la vie »Dans l’opposition qui traverse le parti entre réformistes et protestataires, nous nous situons, sans ambiguïté, dans le camp réformiste. Nous voulons « changer la vie », agir sur le réel. Nous pensons qu’améliorer concrètement la vie des Français est notre mission. Notre priorité c’est proposer, et non protester. Pour pouvoir « changer la vie », nous acceptons le pragmatisme, les contraintes du réel, le compromis. Nous considérons que tout ce qui améliore, même modestement, le sort des Français, surtout des plus défavorisés, doit être mis en oeuvre. Nous considérons que c’est conforter notre idéal que de progresser pas à pas sur le chemin qui y mène. Nous estimons à l’inverse que la logique du « tout ou rien » est contraire à notre cause, puisqu’elle se traduit systématiquement par le « rien ». Nous avons une conception de la démocratie. Pour nous, la démocratie consiste à guider le peuple par la conviction, pas à le suivre par la démagogie. Nous avons une conception de la politique. Pour nous, faire de la politique c’est dire ce que l’on va faire et faire ce que l’on a dit. Nous refusons d’abandonner une fois au gouvernement ce que l’on a promis dans l’opposition. Certains nous opposent que ce clivage est artificiel : « Vous exagérez, vous caricaturez ! Tous les socialistes sont réformistes : nous voulons tous transformer la société de manière démocratique ; plus aucun d’entre nous ne prône le grand soir ». Certes ! Mais il y a bien une différence dans le rapport au réel, dans la capacité à accepter le compromis. Les réformistes acceptent le compromis s’il est progressiste : tout petit pas est bon à prendre s’il va dans le sens de nos objectifs de socialistes. Les tenants de la ligne protestataire refusent le compromis s’il s’éloigne trop de nos objectifs. Cette logique est à l’oeuvre en permanence, elle réapparaît sur tous les débats. Elle s’est à nouveau manifestée dans notre débat sur la Constitution européenne. Un réformisme rénové : réparation et préventionL’essentiel de notre logiciel socialiste repose jusqu’ici sur la réparation. Celle-ci doit rester au coeur de notre action. Ce n’est pas au moment où le capitalisme produit plus
de dégâts, plus d’inégalités, que nous devons baisser la garde ! Au contraire, nous
devons renforcer les mécanismes correctifs. Mais la réparation ne suffit plus. L’intensité des corrections à mettre en oeuvre pour réparer les dégâts du marché croît de façon exponentielle. Leurs coûts deviennent difficilement supportables. Les situations dans lesquelles l’irréversibilité des dommages exclut leur correction a posteriori se multiplient. Par ailleurs, le modèle de la réparation ne permet pas de faire droit aux aspirations nouvelles des citoyens. Ceux-ci réclament dorénavant la mise en oeuvre de politiques préventives. C’est ainsi qu’ils n’acceptent plus de subir passivement les catastrophes naturelles : la demande de maîtrise de l’environnement humain et de son contrôle a priori augmente. De même en matière sociale : ils ne se contentent plus des filets de sécurité ; ils veulent que leur soient donnés les moyens de réussir. C’est pourquoi le socialisme moderne doit changer de paradigme. Il ne doit plus seulement corriger a posteriori les effets pervers de l’activité humaine. Il doit empêcher leur apparition. Pour cela, il doit attaquer les désordres à la racine. Prévenir avant de guérir. S’intéresser aux opportunités autant qu’aux protections. Un réformisme radical : l'intensité volontaristeSi la radicalité est une illusion, il faut aussi dénoncer les dangers du réformisme « vide ». Un réformisme gestionnaire, sans contenu, est une doctrine impuissante. Nous rejetons le social-libéralisme. Nous sommes conscients que notre action gouvernementale court toujours le risque de tomber dans ce piège. Pour retrouver des marges de manoeuvre, il nous faut penser un réformisme « plein », un réformisme radical. Il s’agit moins de pousser le curseur du projet politique « plus à gauche » que de pousser le curseur de la volonté politique « plus intense ». On peut défendre une même réforme avec plus ou moins d’ardeur. Nous voulons marquer le retour du volontarisme politique. Car la politique n’est pas impuissante. Nous pouvons toujours agir sur le réel. La mondialisation ne marque pas la fin de notre action politique. Elle marque au contraire une nouvelle étape du socialisme. Il faut pour penser le socialisme moderne, penser notre projet pour la France et l’Europe de demain. 2) Le projet : le socialisme de l'émancipationLe réformisme radical doit s’incarner dans un nouveau projet socialiste. Ce nouveau projet conserve la logique de réparation de l’Etat-providence : la redistribution fiscale est
plus que jamais au coeur de l’action socialiste. Il ajoute un second étage à la fusée
socialiste : la prévention. En cela, il renoue avec la logique de régulation interne du
capitalisme, propre au socialisme de la production du XIXème siècle : l’intervention
volontariste au sein du marché est nécessaire pour prévenir l’atonie de la croissance, limiter le développement des inégalités, protéger l’environnement. Au-delà, il va combattre les inégalités à la racine, ces inégalités de départ dans la société qui
surdéterminent les destins individuels. Ce nouveau projet, nous l’appelons « socialisme de
l’émancipation ». Il a pour ambition le développement humain. Il repose sur trois piliers : la prospérité, l’égalité réelle, le développement durable.
Renouer avec la croissanceUne société juste, c’est une société qui assure la prospérité collective. Seule une société prospère permet l’épanouissement de ses membres. Renouer avec une
croissance forte est vital pour le modèle de société français, qui a besoin de financer
ses politiques sociale et environnementale. Or contrairement à la droite, nous
considérons que la croissance n’est pas une donnée exogène, imposée ou permise par
la conjoncture internationale. C’est une donnée que nous maîtrisons à travers les
politiques économiques, structurelles et conjoncturelles.
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Vers l’économie de la connaissance
Trois séries de réformes sont nécessaires : ![]() Dans une économie reposant sur l’innovation, le principal facteur clé de succès est la recherche-développement. Or la part de la richesse nationale consacrée à la R&D est très inférieure en France (2 % du PIB) à ce qu’elle est aux Etats-Unis (2.7 %) ou au Japon (3 %). Notre objectif est simple : investir au moins 3 % du PIB dans la R&D. ![]() Sur le plan éducatif, l’économie de la connaissance a besoin de diplômés universitaires - chercheurs, ingénieurs, cadres. Or le système éducatif français ne répond pas à ses besoins en éducation supérieure. 25 % de la population active a achevé un cursus d’études supérieures, contre 40 % aux Etats-Unis. Les Etats-Unis investissent 3 % de leur richesse nationale dans leurs universités, contre 1.4 % en France. Même le financement public est supérieur aux Etats-Unis : 1.4 % contre 1.1 %. La généralisation massive et rapide de l’enseignement supérieur est notre défi majeur. Avec un objectif : 50 % de la population diplômée de l’enseignement supérieur. Et des réformes : généralisation du baccalauréat, investissement budgétaire massif dans les universités, réforme des cursus (moins de diplômés en sociologie, plus d’ingénieurs), massification des promotions dans les grandes écoles. ![]() Les « start-ups » ne se développent pas suffisamment en France et en Europe. Un chiffre éloquent : 12 % des plus grandes entreprises américaines ont été fondées il y a moins de vingt ans, contre 4 % en Europe. Les pistes sont connues : une politique de la concurrence favorisant les nouveaux entrants, des marchés publics favorisant les PMI innovantes, un soutien public au capital-développement. L’Europe a un rôle majeur à jouer dans ces politiques. De nombreuses pistes peuvent être évoquées : faire de la recherche la priorité budgétaire de l’Union ; créer une agence européenne pour la science et la recherche ; constituer un réseau de centres universitaires européens d’excellence ; développer une politique industrielle européenne tournée vers l’innovation - dont les projets Galileo et Iter sont les premiers jalons… |
Une mesure phare : L’idée est d’accroître significativement le revenu minimum du salarié. Ce dernier
pourrait toucher, outre son salaire (SMIC à 1.250 euros), une prime de 250 euros
versée par l’Etat. Cette prime serait une reformulation de la prime pour l’emploi : elle serait versée tous les mois, intégrée à la feuille de paie et garantirait un revenu
minimum de 1.500 euros aux salariés. Elle serait dégressive pour éviter les « trappes
à revenus ». Elle ne pèserait pas sur le coût du travail de l’entreprise. |
Remettre à plat la fiscalité Contrairement à ce qui est souvent dit, nous avons des marges de manoeuvre pour renforcer le caractère redistributif du système fiscal. Notre fiscalité n’est redistributive qu’en apparence : le niveau de prélèvements est en réalité le même pour
tous, entre 50 et 60 % du revenu. C’est pourquoi nous proposons de réfléchir à une vaste remise à plat de notre fiscalité, un plan global de mandature englobant tous les instruments et permettant de retrouver une cohérence d’ensemble. Les grandes lignes de la réforme pourraient être : ![]() ![]() ![]() |
Réformer la sécurité sociale La réforme de l’Etat-providence est nécessaire, notamment à cause des évolutions
démographiques. Les réformes qui sont mises en oeuvre, un peu partout en Europe, et
en particulier en France, par les gouvernements de droite sont choquantes : elles
remettent en cause sans contrepartie des droits acquis ; elles constituent une rupture
dans le contrat implicite qui lie l’Etat aux citoyens. Quand une réforme est nécessaire, il peut être légitime, au nom de l’intérêt général, de remettre en cause des situations individuelles, mais il est impératif, au nom du contrat social, d’indemniser ceux dont on change la situation personnelle. C’est le cas en entreprise : lorsqu’elle une entreprise est en difficulté, elle peut baisser les primes, voire les salaires ; mais elle les baisse pour l’avenir, pas rétroactivement ! C’est à cette condition que les réformes respecteront l’objectif de justice sociale. Ce que nous proposons est une indemnisation pour modification des droits acquis. Elle ne concernerait pas les nouveaux entrants : dans le cas des fonctionnaires, chacun décidera s’il veut entrer dans la fonction publique dans le cadre des nouvelles conditions définies par la réforme et la négociation collective. Elle supposerait, pour les fonctionnaires en activité, l’ouverture d’une grande négociation qui reconnaisse les droits acquis dans le passé, soit en les maintenant, soit en les indemnisant, et qui intègre les questions qui n’avaient pas jusque-là été prises en compte, celles relatives notamment aux conditions de travail ou à la pénibilité. |
Un plan de lutte contre les licenciements économiques Les licenciements économiques ne sont pas une fatalité. Il revient à la puissance
publique d’accompagner le départ d’une entreprise en assurant la reconversion de
l’activité, du territoire ou des hommes. 1er cas de figure : maintenir l’activité sur le site malgré le départ de l’entreprise Les licenciements peuvent être évités si le redéploiement de l’activité est possible. Deux dispositifs peuvent être envisagés. 1. L’Etat aide l’entreprise qui se retire à trouver un repreneur L’idée est de mettre en place un dispositif d’aide anti-licenciement avec deux volets principaux pour réussir la reconversion des sites touchés par les délocalisations. Premier volet : aider, en amont, l’entreprise qui se retire à trouver un repreneur. L’Etat doit jouer un rôle de facilitateur dans cette recherche souvent difficile pour le vendeur qui parvient mal à identifier les secteurs économiques dans lesquels pourrait se redéployer son site. Un soutien public d’accompagnement doit être mis en place. Deuxième volet : faciliter, en aval, la reprise. Une prime de redéploiement pourrait être versée au vendeur à la conclusion de l’opération. Le montant de cette prime pourrait notamment varier en fonction du nombre d’emplois sauvegardés sur le site. 2. L’Etat assure directement le portage de l’activité lorsque l’entreprise se retire (« nationalisations temporaires ») Il est de situations où aucun repreneur ne peut être trouvé au moment du retrait de l’entreprise, alors même que l’activité est solvable sur le long terme. Si la situation le justifie - secteur innovant, région industrielle de monoactivité - il est légitime que la puissance publique assure le relais dans l’attente d’un repreneur, comme ce fut le cas
avec l’entreprise Turbomeca. L’idée est de créer une entreprise publique de capital-investissement
en soutien du seul capital-investissement privé souvent peu présent sur
ces marchés. L’Etat pourrait ainsi assurer le portage des sites, les redéployer, puis les
restituer au secteur privé. Ces « nationalisations temporaires » seraient définies au
cas par cas de manière pragmatique.
2ème cas de figure : assurer la reconversion du site en cas de disparition de l’activité Il y a des cas où l’activité non rentable ne peut être sauvée. Les licenciements sont inévitables mais il faut les accompagner. 1. Reconvertir les territoires Nos territoires sont souvent spécialisés et structurés autour d’un secteur industriel. La disparition de certaines activités est synonyme de désertification industrielle pour ces
régions. Il faut que l’Etat investisse dans les territoires touchés par ce phénomène afin d’assurer leur reconversion. Une proposition : maintenir, pour une durée de trois ans, la taxe professionnelle liée à une activité qui ferme ou se délocalise.
2. Reconvertir les hommes Empêcher la disparition de certaines activités économiques est impossible. Le plus grand défi à relever devient alors la reconversion des hommes. L’État doit prendre en
charge la rupture professionnelle, il doit garantir la transition de l’emploi perdu vers l’emploi nouveau et assurer la continuité et la progression de la trajectoire professionnelle. C’est tout l’enjeu de la réflexion sur la « sécurisation des parcours professionnels ». Il y a trois axes : ![]() La logique ne doit plus être l’indemnisation passive mais le reclassement actif : bilan de compétences, soutien psychologique et soutien matériel pérenne jusqu’à l’accès à un nouvel emploi. ![]() Elle doit systématiquement aboutir à un diplôme reconnu sur le marché du travail. Dans le cas d’ouvriers spécialisés, une formation appropriée et efficace doit permettre à chacun de redéployer sa qualification dans un domaine connexe, sur une machine nécessitant un savoir-faire voisin. ![]() Chaque citoyen a droit à un capital formation de durée égale. Ceux qui n’en ont pas bénéficié au moment de la formation initiale, parce qu’ils ont quitté tôt l’école, ont un « droit de tirage ultérieur ». Ils doivent pouvoir bénéficier d’une formation professionnelle gratuite, avec maintien de leur salaire et de leurs droits à pension pendant la durée de la formation. |
L'éducation, clé de voûte du socialisme de l'émancipation L’éducation est au coeur de ce combat pour l’égalité des chances, au coeur de l’espoir d’émancipation des familles modestes Il y a trois axes de réforme :
![]() Le sociologue danois Gosta Esping Andersen l’a montré : la capacité à apprendre nécessite un « capital cognitif » qui s’acquiert principalement dans la petite enfance. Or les inégalités sont massives à cet âge, entre les enfants sollicités activement par leurs parents au plan intellectuel et ceux laissés à l’abandon devant la télévision. C’est pourquoi il faut « investir dans les bébés », à travers la généralisation des crèches et des services publics de la petite enfance. Un tel modèle a été mis en place avec succès au Danemark et en Suède. C’est loin d’être le cas aujourd’hui en France, tant dans les grandes villes que dans les campagnes. ![]() Le collège unique repose sur une logique d’égalité formelle : le même cursus, les mêmes matières, le même nombre d’heures de cours pour tous. L’égalité réelle appelle à une concentration des moyens scolaires sur les élèves en difficulté. Si un enfant a besoin de 30 heures pour assimiler son cours de mathématiques, au lieu des 20 théoriquement prévues au programme, l’école doit être capable de les lui fournir - quelles que soient ses origines ethniques, religieuses ou géographiques. Nous proposons ainsi de créer des postes de « professeurs des écoles volants », non affectés, et chargés de donner du temps pédagogique supplémentaire pour permettre le rattrapage des enfants en difficulté d’apprentissage. ![]() Le ciblage territorial est une bonne approche pour concentrer les moyens sur ceux qui en ont besoin. Les ZEP sont donc un bon instrument. Leur succès mitigé est dû à la faiblesse de leurs moyens et à leur trop grand saupoudrage : les ressources consacrées à un élève de ZEP sont seulement de 7 % supérieures à un élève hors ZEP - contre 100 %, par exemple, aux Pays-Bas. Cela milite non pas pour l’abandon mais au contraire pour un renforcement massif des moyens dédiés à des ZEP recentrées sur les quartiers les plus difficiles. La taille des classes en est le meilleur exemple. Ainsi, la diminution de la taille des classes de ZEP de 22, comme c’est le cas actuellement, à 18 réduirait de 40 % l’écart de performances au CE1 entre élèves de ZEP et hors ZEP. Cette diminution de taille pourrait d’ailleurs se faire à budget constant, par redéploiement des enseignants, avec un impact faible sur les effectifs hors ZEP (qui passeraient de 23 à 24 en moyenne). |
Le logement, laboratoire du réformisme radical Les inégalités se concentrent de manière territoriale. Pour les combattre, la priorité est de casser la ségrégation urbaine. Elle repose sur une barrière invisible : le prix de
l’immobilier. Le réformisme radical doit mettre fin à la « fracture immobilière ». Trois
pistes : 1. Le droit au logement pour tous. 2 millions de nos concitoyens n’arrivent pas à se loger ou se logent mal. Le droit au logement est un droit formel. Il doit devenir un droit réel, opposable à la puissance publique, dans le cadre d’un « service public du logement » à créer. Pour y arriver, nous proposons une politique volontariste multiforme reposant, à l’instar de la santé, sur trois secteurs. ![]() ![]() ![]() 2. Une politique radicale de mixité sociale. La mixité sociale, c’est d’abord une politique globale en faveur des quartiers défavorisés. L’objectif est double : éviter que ceux qui réussissent ne fuient la cité ; et y attirer les classes moyennes. Les moyens : investir massivement dans les cités (détruire les barres HLM dégradées, investir dans la voirie, les transports publics, les services publics de proximité) ; créer des zones pavillonnaires ou de logements sociaux de qualité (sur le modèle de l’expérience que mène Gérard Collomb à Lyon sur le quartier La Duchère). La mixité sociale, c’est aussi introduire la diversité dans les quartiers favorisés. La loi SRU a montré la voie. Nous proposons de la renforcer sur trois points. 1) Faire passer le quota de 20 % à 25 % de logements sociaux et augmenter les amendes en cas de non-respect. 2) Etendre les quotas de logements sociaux à la promotion immobilière privée. Créer dans le plan local d’urbanisme une obligation pour les promoteurs privés d’intégrer 25 % de logements sociaux dans leurs promotions neuves ou leurs rénovations. C’est ce que fait déjà Bertrand Delanoë sur Paris, il faut le généraliser. 3) Etendre les quotas de logements sociaux aux copropriétés existantes. L’action sur les flux (promotions) est insuffisante. Une action sur les stocks (copropriétés existantes) est nécessaire. Un dispositif novateur : créer un statut légal de copropriété (possibilité d’emprunter, de recevoir des aides publiques, d’encaisser des loyers) ; lui imposer un quota de 25 % de logements sociaux ; lui octroyer le droit de préempter les appartements de la copropriété pour atteindre ce quota ; si la co-propriété n’a pas pu ou pas voulu remplir ce quota, lui imposer une taxe de mixité sociale. 3. Interdire les ventes à la découpe. Nous proposons d’importer dans le droit français les solutions retenues dans les pays où ces opérations spéculatives sont impossibles, notamment aux Etats-Unis : accord préalable de la majorité des locataires ; autorisation de la municipalité (« permis de diviser ») qui peut être refusée pour motif d’intérêt général ; protection des locataires qui ne peuvent pas acheter par renouvellement automatique du bail et extension de sa durée en fonction de la durée de présence dans l’immeuble (durée indéfinie pour les personnes fragiles, notamment les personnes âgées). |
Un exemple de santé publique : Le droit des femmes à disposer de leur corps a connu des avancées juridiques
remarquables. Avec l’IVG bien sûr, même s’il s’agit d’un droit difficile à mettre en oeuvre
pour des raisons tant psychologiques (cas de conscience de l’avortement) que pratiques
(accès à un médecin). Et droit à la contraception. Mais l’accès réel à la contraception est
limité par deux facteurs. Le coût économique, d’abord : il est modique mais peut constituer un obstacle pour les adolescents les plus fragiles - vivant dans une famille très pauvre ou en rupture avec leurs parents. Nous proposons la gratuité de la contraception (au moins pour les pilules de la 1ère génération). La connaissance pratique, surtout. Les grossesses subies sont avant tout le fait d’adolescentes égarées. Nous proposons : une politique éducative à l’école sur la sexualité et les moyens de contraception ; une consultation gratuite du gynécologue à 17 ans. |
Propositions pour une politique européenne de l'environnement ![]() Il s’agirait d’un programme d’action européen, qui mettrait en oeuvre les principes décrits ci-dessus. ![]() ![]() Une partie significative des prescriptions du programme de convergence écologique consistera à réformer les politiques régionales et locales pour les rendre compatibles avec un modèle de développement durable. Pour encourager ces réformes, un fonds co-financerait les investissements nécessaires. ![]() Une loi-cadre pourrait arrêter une réglementation en ce sens pour l’Union et des Etats membres. Les marchés publics constituent en effet un vecteur potentiel remarquable de diffusion des standards environnementaux. |
Trois volontés pour l'Europe politique
1. Créer des institutions démocratiques Tel était l’objet principal du traité constitutionnel, première étape vers la démocratie européenne. Notre objectif reste inchangé : combler le « déficit démocratique ». A cet égard, nous défendons la création d’un véritable régime parlementaire, avec un gouvernement responsable devant les citoyens européens. La clé de la réforme institutionnelle, c’est la Commission. Les citoyens n’ont pas tort lorsqu’ils stigmatisent les « technocrates de Bruxelles » : la Commission est l’exécutif de l’Europe, mais c’est un exécutif non démocratique. Elle doit le devenir. Le Président de la Commission doit se muer en Premier ministre de l’Europe, élu par le Parlement et issu de la majorité politique sortie des urnes. 2. Développer la citoyenneté européenne Telle est sans doute la principale leçon du « non » au traité constitutionnel : il est difficile de faire l’Europe sans faire des Européens. Or les citoyens de l’Union sont trop souvent des Européens qui s’ignorent. L’Europe politique passe par la création du sentiment d’appartenance européen. A quoi servent des institutions européennes, fussent-elles démocratiques, si les Européens ne se sentent pas membres d’une même communauté de valeurs ? De nombreuses pistes peuvent être explorées pour développer cette citoyenneté européenne : la mobilité, à travers par exemple la généralisation du programme Erasmus ; l’éducation, avec l’intégration dans l’éducation civique d’une sensibilisation à l’histoire et aux institutions européennes ; la culture, en augmentant fortement le budget européen consacré à la politique culturelle (à peine 0.1% aujourd’hui) ; l’information, avec la création d’un grand média pan-européen sur le modèle d’Arte ; le débat public, en pérennisant le bouillonnement que l’on a connu pendant la campagne référendaire à travers un « Forum permanent de débat sur l’Europe » ; la communication publique, en mettant en avant les réalisations concrètes de l’Europe (comme les grands panneaux que l’on trouve en Irlande « cette route a été construite par l’Europe »). 3. Doter l’Europe de compétences politiques et sociales L’Europe politique passe enfin par des compétences élargies. Aujourd’hui, cantonnée à l’économie, l’Europe n’est pas capable d’incarner son modèle. C’est pourquoi il faut remettre à plat les politiques existantes, y compris l’agriculture, et doter l’Europe des compétences nécessaires à l’incarnation de son modèle : compétences sociales, environnementales, culturelles, diplomatiques, de défense. L’Europe sociale est naturellement, pour les socialistes, le principal vecteur pour ces mesures symboliques. On peut faire de nombreuses propositions : un revenu minimum européen, un fonds européen de soutien aux salariés victimes des délocalisations, la sécurité sociale professionnelle comme premier droit social européen… Une autre clé sera l’accroissement massif du budget européen, dont l’insignifiance empêche toute action financière sérieuse. La politique de Jacques Chirac visant à limiter le budget européen à 1 % du PIB est le plus sur garant d’une Europe impuissante. Nous nous fixons comme objectif de moyen terme de doubler le budget européen, à 2 % du PIB. |
La réforme de la gouvernance mondiale
Les grands axes sont connus : ![]() C’est le cas à l’OMC : le GATT, le GATS sont des accords qui ont une force juridique contraignante, dont la violation est sanctionnée par le juge de l’OMC (l’Organe de règlement des différends). Ce n’est pas le cas avec l’OIT : les conventions qui y sont signées n’ont pas de force juridique contraignante. ![]() Aujourd’hui, seule le juge interne de l’OMC assure cette fonction juridictionnelle. Mais il n’est pas sain que le juge commercial tranche des différends entre le commerce et d’autres normes, notamment sociales et environnementales. Il faut confier ce rôle d’arbitrage juridictionnel à un juge indépendant : la Cour de justice de La Haye par exemple. ![]() Ce conseil de sécurité aurait vocation à remplacer le G8 pour donner les grandes impulsions politiques. Il serait composé sur une base représentative, par exemple selon le format des circonscriptions régionales en usage au FMI. Cela permettrait une représentation de tous les pays à travers la nomination de représentants régionaux. |
III - LES SOCIALISTES AU XXIème SIÉCLE : | |
Nous l’avons vu, la crise de la démocratie est d’abord une crise de la pensée politique. Notre enjeu, c’est de refonder le socialisme. Pour réussir cette refondation interne, il faut de nouvelles pratiques militantes, renouveler le parti socialiste. Pour la mettre en oeuvre, il
faut de nouvelles pratiques démocratiques, renouveler la République : si on ne fait plus
confiance aux élus, pourquoi ferait-on confiance à leurs idées ?
1) Pour une nouvelle RépubliqueRépondre à la crise de la responsabilité : les réformes institutionnellesLe réformisme a besoin de leviers d’action. La question des institutions politiques, de leur capacité à traduire les aspirations du plus grand nombre et à permettre l’expression d’une volonté de changement est donc toujours une question majeure
pour les socialistes. Elle l’est tout particulièrement pour les socialistes français, tant il
est vrai que notre tradition, marquée par la filiation républicaine, accorde un certain
primat au politique et à l’Etat dans le processus de transformation sociale et nous
éloigne sur ce point du modèle social-démocrate européen davantage fondé sur la
négociation collective et la liaison entre syndicats et partis « ouvriers ». De ce point de vue, la situation actuelle de la démocratie française invite à une réflexion urgente. Contrairement à ce que l’on entend parfois ici ou là, la question institutionnelle n’est certes pas devenue la seule question importante ou la question déterminante « en dernière instance » pour la gauche française. Il nous est arrivé de gouverner et réformer la société française depuis 1981 dans le cadre des institutions actuelles, et il faut se garder de faire du marxisme à l’envers en subordonnant désormais toute possibilité de transformation sociale dans ce pays à une « rupture préalable avec la Vème République » ! La crise actuelle de la démocratie française, on l’a dit, reste largement une « crise de l’offre », qui renvoie à l’inefficacité et au manque d’ambition des politiques proposées aux Français, à la difficulté des partis à fournir les réponses et les perspectives qu’ils attendent. Mais la crise actuelle de la démocratie reflète incontestablement les limites de la Vème République. Au coeur de cette crise institutionnelle, il y a la Présidence de la République, qui cumule hyper-concentration des pouvoirs et irresponsabilité politique. L’élection du Président au suffrage universel, le droit de celui-ci de nommer le Premier Ministre et de dissoudre l’Assemblée, ont dans les faits conduit à une concentration du pouvoir politique réel dans les mains d’un seul homme et à une polarisation excessive de la vie politique française autour de cette seule élection. Problématique mais encore tolérable sous De Gaulle ou Mitterrand, cette dérive monarchique est devenue proprement pathétique avec un Jacques Chirac dépourvu de vision et incapable de donner le moindre sens à ses deux mandats, sinon celui de se maintenir au pouvoir. L’inversion du calendrier électoral en 2002, si elle peut contribuer à atténuer le risque des cohabitations, a encore exacerbé le travers présidentialiste du régime. La volonté légitime de préserver, comme dans la plupart des démocraties modernes, un exécutif en capacité d’agir ne peut plus justifier aujourd’hui la relégation permanente du Parlement en chambre d’enregistrement. Le parti socialiste doit désormais proposer des orientations fortes pour briser cette logique : ![]() ![]() ![]() Répondre à la crise la représentation : la réforme des modalités de désignation des représentantsIl y a une double réforme de la représentation à mettre en oeuvre.
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