L’Europe est notre avenir

Pervenche Bérès
Pervenche
Bérès

 Contribution thématique au congrès national de Dijon du Parti socialiste présentée par Pervenche Bérès, Pascal Lamy, Pierre Moscovici, Henri Nallet et Michel Rocard.
18 janvier 2003

 
L'Europe a produit des réalisations exceptionnelles. La paix entre ses membres, après des conflits sanglants. La prospérité partagée, avec le marché unique et l'euro. La réunification du continent, grâce à la fin du « rideau de fer » de la guerre froide. Dès lors, une question, légitime, est aujourd'hui posée : faut-il aller plus loin dans l'intégration ?

Le monde a changé. La chute du mur de Berlin a « dégelé » le jeu géostratégique. Aujourd’hui, les Etats-Unis déploient seuls leur puissance unilatérale, renforcés par le sentiment d’urgence né du 11 septembre. Demain, des blocs régionaux se feront concurrence sur la scène internationale. L’Europe doit-elle en devenir un acteur ? La mondialisation, que la droite a mise au service de son projet, a fait émerger de nouvelles forces économiques, capables de contrer la volonté des Etats. Les Européens doivent-ils se doter des moyens de les réguler ? De nouveaux enjeux - démocratiques, écologiques, sociaux - ont pris une dimension internationale. Devons-nous participer à leur maîtrise ?

Notre réponse est claire. Oui, l’Europe doit devenir une puissance et peser sur les affaires du monde. Pour cela, l’Europe doit changer de dimension et devenir une véritable Europe politique. Or c’est maintenant que se dessinent les contours de l’Europe de demain, avec trois échéances fondamentales : la Convention européenne, qui bâtit les institutions de l’Europe élargie et redéfinit ses objectifs ; l’élargissement à l’Est, qui doit permettre de penser les frontières de l’Europe ; la négociation du budget de l’Union pour 2007-2013, qui conduira à remettre à plat le projet européen. Le Congrès de Dijon se tient dans ce contexte historique. C’est pourquoi l’Europe doit être au cœur de nos débats. Tel est l’objet de cette contribution.

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I/ Europe : le moment de vérité

 

Le projet européen fait face à des choix décisifs

    Près de cinquante ans après sa naissance, en 1957, l’Union se pose enfin explicitement la question de son ambition politique. Cette question a été jusqu’ici volontairement éludée. Après la deuxième guerre mondiale, face aux cendres encore chaudes des nationalismes, il était impossible de faire aboutir un projet politique européen. L’échec de la Communauté européenne de défense (CED) l’atteste. Le génie des « pères fondateurs » - Jean Monnet en tête - fut de se rabattre sur une construction économique : elle contenait des sujets vitaux pour l’avenir (le charbon et l’acier, le commerce extérieur, l’agriculture) mais elle pouvait être présentée comme technique et menée, sans les peuples, au niveau diplomatique.

    Mais, avec l’accumulation des compétences transférées et leur importance politique croissante, la « méthode Monnet » a atteint ses limites.
    L’Europe est aujourd’hui en crise. Ses institutions fonctionnent mal, elles manquent de légitimité politique et démocratique. Son projet est déséquilibré vers l’économie, menacé de dérive libérale. L’élargissement à l’Est présente le risque de renforcer cette dérive et de diluer l’Union dans une vaste zone de libre-échange. Ses frontières sont en question : avec la demande d’adhésion turque, l’Europe doit penser son territoire. Nous nous trouvons aujourd’hui au moment critique du choix entre construction technique et union politique. Dès lors, la question identitaire ne peut plus être repoussée plus avant : quelle Europe voulons-nous ?

Nous, socialistes, avons un rôle historique à tenir

    Face à ces choix fondamentaux, beaucoup prônent le recul, le démantèlement. Les partis d’extrême droite, qui refusent l’étranger. Les souverainistes, qui voient dans l’Europe la fin de la nation. Les libéraux, qui veulent limiter la construction européenne à une zone de libre-échange. Les démagogues, qui chevauchent les peurs de l’opinion publique. Les membres de la gauche radicale, qui rejettent l’Europe telle qu’elle est parce qu’elle ne correspond pas à l’Europe telle qu’ils la veulent. Il y a là une conjonction qui met l’Europe en danger.

    C’est pourquoi l’Europe a besoin des socialistes. Sans nous, elle ne réussira pas sa mutation historique, son changement de dimension de l’Europe technique à l’Europe politique, sa « révolution » vers l’Europe fédérale. Mais les socialistes ont aussi besoin de l’Europe. L’Europe est notre nouvelle frontière, l’horizon de notre internationalisme, le seul levier capable aujourd’hui de réguler les grands enjeux contemporains. L’Europe est notre outil pour agir sur le réel, maîtriser l’avenir, « changer la vie ». C’est pour nous le moyen de redonner toute sa place à l’action politique et, par là, de lutter contre le sentiment d’impuissance qui favorise l’abstention et le vote extrême. Mais l’Europe est un combat : il nous revient de la construire à l’image de notre idéal - nous en aurons les moyens si nous en avons l’ambition.

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II/ Nos propositions
pour l’Europe de demain

 

Pour un projet européen global : l'Europe puissance, porteuse du modèle de société européen

    Les États européens - continentaux tout au moins - possèdent un modèle de société spécifique, différent notamment de celui des Etats-Unis. Avec ses valeurs propres : l’humanisme, les droits fondamentaux, la culture. Avec une organisation socio-économique originale, l’État-providence, marquée par un équilibre entre liberté et justice sociale, entre marché et intervention publique. Avec une vision novatrice de l’ordre international, fondée sur la paix, le multilatéralisme, le règlement pacifique des différends.
    Il est paradoxal de constater que la construction communautaire tend aujourd’hui à s’éloigner du modèle de ses Etats membres. L’enjeu, c’est de faire du développement et du rayonnement de ce modèle le cœur du projet politique de l’Europe. Cela passe par quatre actions :

       L’inscription dans les traités des valeurs du modèle de société européen.
      Aujourd’hui, dans les traités, les valeurs de l’Union renvoient d’abord à l’économie. Il faut changer cela à l’occasion de la Convention et aboutir à une véritable Constitution européenne. A cet égard, l’intégration de la Charte des droits fondamentaux dans le traité, avec pleine valeur juridique, est un enjeu central de la Convention : la Charte couvre en effet les droits politiques, économiques et sociaux du citoyen.

       Le développement d’un traité social européen.
      Il s’agit de relayer les valeurs de l’Union par des politiques communes concrètes. Plusieurs exigences - propres au modèle européen - doivent être mises en avant : le principe d’un salaire minimum et de standards sociaux minimaux, la lutte contre l’exclusion, une sécurité sociale professionnelle européenne, la formation tout au long de la vie, le dialogue social et la reconnaissance du rôle des partenaires sociaux, le développement durable…

       La reconnaissance des services publics.
      Ils sont au cœur du modèle de société européen. Certes, les moyens de sa mise en oeuvre varient : secteur public, entreprises privées, partenariat public/privé… Mais les missions de service public sont bien un point fort européen : tous les Etats européens considèrent que certains secteurs économiques nécessitent une régulation spécifique parce qu’ils sont porteurs de besoins stratégiques pour les citoyens. Des obligations y sont imposées aux opérateurs par la puissance publique : présence sur tout le territoire, péréquation financière, accès universel à des services minimaux… Ce sont ces missions de service public qu’il faut désormais porter au coeur de la construction européenne et inscrire avec force dans le traité constitutionnel, de telle sorte qu’elles ne soient pas remises en cause par les règles de la concurrence, qui interdisent les aides d’État.

       L’émergence d’une gouvernance économique européenne.
      L’Europe a subi, ces vingt dernières années, l’influence de la vague idéologique libérale qui s’est abattue sur les pays occidentaux. Beaucoup de ses politiques récentes en portent la marque : déréglementation des marchés au nom de l’achèvement du marché intérieur, application orthodoxe du droit de la concurrence, concurrence fiscale - parfois même déloyale. La création de l’euro est une exception notable, mais la zone euro n’a pas été dotée des instruments d’une politique économique volontariste. La zone est en « pilotage automatique » : il y a des règles - le pacte de stabilité, les statuts de la Banque centrale européenne - mais pas d’instance politique de décision. Pourtant, l’Europe économique s’est construite pour l’essentiel sur des politiques communes volontaristes : politique régionale, politique agricole commune, grandes infrastructures de transport (Eurostar, Thalys…), politique de la recherche (Airbus, Aérospatiale), politique commerciale commune.

    L’Europe doit renouer avec cet interventionnisme. Cela passe par la création d’un pilote économique : l’Eurogroupe, aujourd’hui embryonnaire, doit être institutionnalisé et doté d’un pouvoir de décision. L’Eurogroupe aura en charge trois objectifs. Un objectif d’efficacité : il pourra mener une politique keynésienne à l’échelle de l’Europe, orientée vers le plein emploi et le soutien aux investissements. Un objectif d’équité : il devra parvenir à une harmonisation fiscale et sociale, seule à même d’éviter les risques de dumping au sein de la zone. Un objectif de solidarité : il devra être doté des instruments financiers - impôt européen, capacité d’emprunt - capables de garantir les transferts nécessaires pour aider les Etats membres victimes de chocs économiques spécifiques.

Pour des institutions rénovées : l'Europe fédérale

    Il faut dire les choses clairement : oui, nous sommes pour une véritable fédération européenne. Pour la première fois depuis cinquante ans, le projet fédéral peut dire son nom.
    Pour cela, nous voulons politiser les institutions. Le problème politique de l’Europe, c’est l’absence de véritable gouvernement. La Commission détient pour l’essentiel le pouvoir exécutif européen. Elle a des attributs politiques : les Commissaires sont le plus souvent des hommes et des femmes politiques et anciens ministres de leur pays, le Président de la Commission est régulièrement une personnalité de premier plan (Romano Prodi est ancien Président du Conseil italien), la Commission est responsable devant le Parlement européen. Mais elle demeure de nature hybride : les Commissaires sont nommés et non élus, ils sont inamovibles pendant leur mandat, ils ne sont pas responsables individuellement.
    La Commission doit devenir le véritable gouvernement de l’Europe. Pour cela, nous proposons que le Président de la Commission soit élu par le Parlement européen, au sein de la majorité politique issue des élections. Nous proposons qu’il devienne le « Premier Ministre de l’Europe », à la tête d’un gouvernement européen. Ce gouvernement aurait une double légitimité : il serait responsable devant les peuples (Parlement européen) et les Etats (Conseil européen). Nous proposons également la création d’un secrétaire de l’Union aux relations extérieures, vice-président de la Commission, qui présiderait le Conseil des relations extérieures.

    Dans ce schéma, le Conseil, qui a aujourd’hui une fonction mixte législative (à travers les réunions du Conseil des ministres) et exécutive (par la participation des experts nationaux au travail d’élaboration de la Commission) basculerait clairement du côté législatif. Un Conseil législatif général pourrait ainsi être crée. Il serait composé de ministres des affaires européennes, qui auraient rang de « vice-Premier ministre » afin d’être habilités à engager leur gouvernement. Il déciderait à la majorité (simple ou qualifiée), afin d’éviter au maximum les impasses décisionnelles dans une Europe à 25.

    Quant au Conseil européen, qui réunit les chefs d’Etat et de gouvernement, son rôle serait celui d’un chef d’Etat collectif d’un régime parlementaire. Il serait doté d’un président, qui organiserait les pouvoirs entre le gouvernement constitué par la Commission élue et le Conseil législatif. Mais il n’interviendrait pas dans la gestion quotidienne, relevant du pouvoir exécutif détenu par le Président de la Commission. Ainsi, il n’installerait pas une cohabitation contre-productive au niveau européen.

    Ces sujets sont fondamentaux. Ils sont traités dans le cadre de la Convention européenne. C’est là que se décidera l’avenir de l’Europe élargie. C’est là que se joue notre destin commun pour les cinquante prochaines années. Les socialistes français et la gauche européenne y sont représentés. Nous devons y peser de tout notre poids. Nous devrons également demander un referendum pour entériner la Constitution européenne qui en résultera : les « constituantes » se concluent par le vote du peuple souverain..

Pour des frontières dynamiques : la « grande Europe » du projet européen

    La question des frontières ne s’était pas posée jusqu’ici : l’élargissement n’avait concerné que des pays du coeur de l’Europe. Avec la Turquie, l’Union aborde pour la première fois un pays ne relevant pas du coeur de l’Europe mais de sa périphérie. Faut-il l’intégrer, à terme, dans notre sphère d’influence ? Faut-il la traduire par une adhésion ? Le débat est encore ouvert puisque les négociations ne sont pas commencées. Notre Europe est dynamique, tournée vers l’avenir : l’Union doit associer tous les pays de sa périphérie qui ont la volonté de partager les valeurs de l’Europe, son modèle de société, son projet. C’est l’intérêt économique de ces pays, afin de bénéficier de notre prospérité partagée. C’est notre intérêt politique : dans un monde multipolaire où les blocs régionaux se feront concurrence, il faut constituer un bloc euro-méditerranéen capable de peser dans les affaires du monde. C’est l’intérêt stratégique de la communauté internationale, afin de consolider des démocraties naissantes et de stabiliser des zones fragiles. Quelle sera dès lors l’organisation de cette « grande Europe » ? Il faut laisser la possibilité à une avant-garde de réunir le coeur européen au sein d’une union politique très intégrée. Les autres pays pourraient ensuite rejoindre les politiques initiées par cette avant-garde.

Pour un espace démocratique européen

    Le schéma fédéral suppose la capacité à créer un véritable espace public européen, d’où sortirait une majorité politique pour gouverner. Cela passe par la création d’un référendum européen, qui matérialiserait cet espace public. Cela passe également par une réforme du mode de scrutin pour les élections européennes.

    Nous proposons la constitution de listes transnationales, sur la base de grands partis pan-européens. Ainsi, les candidats socialistes français se présenteraient sur les listes du PSE, sur une base programmatique arrêtée au sein du PSE. Un changement profond de nos pratiques serait nécessaire. Nous proposons à cet égard : la transformation du PSE en un véritable parti, avec un débat militant, des congrès, une base programmatique, le soutien d’un candidat à la présidence de la Commission ; l’introduction de la double appartenance automatique PS/PSE ; la participation systématique de camarades européen dans nos congrès nationaux. Transformons enfin le PSE en un vrai parti socialiste européen !

L’Europe est notre avenir. Nous ne pourrons pas être socialistes sans être européens, l’Europe ne prendra pas toute sa dimension si les valeurs du socialisme ne l’imprègnent pas.

Plus que jamais, l’internationalisme est à l’ordre du jour. Et il a un beau nom : Europe.

Contribution présentée par :

Pervenche Bérès présidente de la délégation socialiste française au Parlement européen  Pascal Lamy commissaire européen  Pierre Moscovici secrétaire national chargé des questions européennes  Henri Nallet vice-président du Parti socialiste européen  Michel Rocard ancien Premier ministre, député européen

et signée par :

Alain Barrau Didier Boulaud  Pierre Brana  Maurice Braud  Marie-Arlette Carlotti  Danièle Darras  Michel Delebarre  Yves Dauge  Geneviève Dourthe  Olivier Ferrand  Gilles Finchelstein  Jacques Floch  Jean-Claude Fruteau  Gérard Fuchs  Georges Garot  Marie-Hélène Gillig  Catherine Guy-Quint  Jean-Paul Huchon  Pierre Larrouturou  Patrick Lefas  Louis Le Pensec

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