Quand les critiques
lassent la critique…



 Tribune d'Alain Bergounioux, secrétaire national à la Communication, publiée le 15 décembre 2003


 
Laurent Mauduit, directeur-adjoint de la rédaction du Monde, a signé récemment un curieux article à la une de ce journal. Prétendument consacré à « La gauche en mal d’idées et de projet », il est de fait tout du long un réquisitoire contre le seul Parti socialiste ou presque. La détestation en politique est certes tout à fait licite. Mais, quand elle se présente sous le vocable d’« analyse », il y a là comme une limite qui a été franchie.

Dans le pot-pourri de critiques dressées par Laurent Mauduit pour démontrer que les socialistes « ne disent et ne font rien », tout mériterait d’être repris. Faute de pouvoir argumenter sur tout ce qui n’est d’ailleurs qu’affirmations sans guère de démonstrations ou phrases isolées de leur contexte lorsqu’il s’en prend aux personnes, je ne reprendrai que quelques points du dossier à charge.

Sur les questions internationales d’abord.
Dire que sur l’Irak le Parti socialiste n’a fait que souscrire à la position du Président de la République ne serait pas répréhensible - car, en matière de conflit international, c’est l’intérêt du pays qui prime. Mais c’est tout simplement faux. Les socialistes s’étaient prononcés, dès l’automne 2002, contre le principe d’une intervention en Irak, soit quatre mois avant la prise de position tranchée de Jacques Chirac sur cette question.

« Silence radio » sur la mondialisation ? L’exemple pris par Laurent Mauduit est tendancieux, les socialistes n’ont pas plus condamnés l’OPA d’Alcan sur Pechiney qu’ils ne l’avaient fait pour l’OPA de Renault sur Nissan ! Ou, alors, c’est le principe de l’économie de marché qu’il faut rejeter. Laurent Mauduit peut le faire (cela serait d’ailleurs plus clair de le dire…), mais ce n’est pas la position du Parti socialiste qui veut palier les insuffisances du marché notamment en tenant à l’écart de sa logique les biens publics. Il est peu compréhensible, par ailleurs, que Laurent Mauduit passe sous silence les positions socialistes sur la mondialisation définies depuis 1996, réaffirmées par Lionel Jospin et résumées dans un texte adopté à la veille du Forum social européen en novembre dernier : renforcement des instances internationales de régulation et d’arbitrage sous l’égide de l’ONU, abolition de la dette des pays pauvres, etc.

Il serait également honnête de rappeler que les socialistes, ont préconisé, bien avant que notre pays ne pulvérise la barre des 3 % de déficit au regard du PIB, une renégociation à froid du pacte de stabilité avec nos partenaires européens. Les socialistes sont divisés sur l’Europe ? Ils ne le sont pas sur la finalité, tous veulent plus d’Europe. Ils ont actuellement un débat sur la nature du traité de portée constitutionnelle qui sortira de la Conférence Intergouvernementale. Est-ce anormal ? L’important sera la conclusion de ce débat dans un parti qui débat et tranche ensuite. Il est amusant de voir notre procureur vanter la discipline qui régnait avec François Mitterrand, alors que ce fut sur la question européenne qu’il mit sa démission dans la balance pour convaincre son parti et que Jean-Pierre Chevènement a quitté en 1993 le Parti socialiste sur cette question.

Sur le terrain intérieur ensuite.
Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre… Dès l’été 2002, les socialistes ont annoncé que la politique économique mise en œuvre par le gouvernement, fondée presque exclusivement sur l’offre, serait inefficace économique et injuste socialement. Ils ont dénoncé la réduction exclusive de l’IRPP et de l’ISF. Il est, sur ce point, peu honnête de mettre en signe égal entre la politique actuelle et les baisses de la fiscalité pratiquées avant 2002 qui ont pour l’essentiel bénéficié aux bas et moyens revenus dans un contexte de finances publiques très différent de celui d’aujourd’hui.

La réponse des socialistes sur la mise en cause des 35 heures a été vigoureuse - et le gouvernement a d’ailleurs rapidement reculé. Toute action politique doit être évaluée. C’est le contraire qui est condamnable. Les socialistes ont depuis 1990 revendiqué la nécessité de mener une réforme des régimes de retraites. Le gouvernement de Lionel Jospin en avait posé les bases et c’était un engagement de la campagne présidentielle pour la prochaine législature. On peut discuter les propositions socialistes, mais on ne peut pas passer sous silence qu’ils demandaient (et demandent, car le problème n’est pas réglé) une réforme qui passe une négociation plus large avec les partenaires sociaux, l’introduction de critères de pénibilité et l’instauration de financements plus solidaires. Enfin, lorsqu’on prétend faire une « analyse », comment passer sous silence aujourd’hui les propositions socialistes concrètes sur la décentralisation qui contredisent la politique du gouvernement conduisant à plus d’inégalités territoriales et sociales, celles qui concernent la démocratie sociale qui s’opposent à un projet présenté par le ministre du Travail faisant courir le risque d’une atomisation du droit du travail, celles qui dessinent une politique fiscale alternative, etc.

Pour le moins, le procès dressé relève de l’approximation et, parfois, du préjugé. Il reste cependant une crise politique : elle n’a pas disparu depuis le 21 avril 2002. Les mutations de tous ordres que nous connaissons donnent le sentiment que la politique n’a plus une maîtrise suffisante pour éviter que se dégradent les positions du plus grand nombre. Les inégalités paraissent alors d’autant plus insupportables. Le Parti socialiste et la gauche de gouvernement ont en quelque sorte paré au plus pressé et au plus urgent en 1997 en privilégiant la politique de l’emploi pour redonner confiance à la société dans son ensemble. Le choix était (et demeure) juste. Mais il fallait prendre en compte tout le bloc de précarité, vécue ou redoutée, qui a délité « la société salariale ». Cette action a été entamée, mais elle n’a pas eu l’ampleur suffisante pour redéfinir un projet politique en phase réelle avec la société en matière de travail, d’éducation, de protection sociale, d’aide aux individus.

Il s’agit donc de mener maintenant à bien une refonte de notre projet autour de quelques questions clefs : comment mener à bien une égalité continue des chances par l’éducation et la formation ? Comment mieux promouvoir la justice sociale dans une économie ouverte (et qui le demeurera) ? Comment assumer la solidarité dans une société vieillissante et dans un monde du travail fragmenté ? Comment faire vivre la citoyenneté dans une société diverse culturellement et façonnée par l’individualisme ? Nous avons une claire conscience des efforts qui sont à mener pour réaliser la « grande adaptation » de nos pensées et de nos pratiques. A qui sait prêter l’oreille les réponses commencent à être formulées et, notamment, par celles et ceux que la paresse intellectuelle pense stigmatiser par l’épithète de « social-libéralisme ». Cela doit être pris en considération et mérite mieux que des critiques marquées par l’esprit de système.

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