Contribution au manifeste social-démocrate


signée par Alain Bergounioux, secrétaire national à la Communication et Laurent Baumel, responsable national aux études (février 2007)



Alain
Bergounioux



Laurent
Baumel




Le présent texte n'engage que ses auteurs et constitue une première contribution à la rédaction du manifeste social-démocrate souhaitée par Dominique Strauss-Kahn. Nous ne prétendons pas fournir ici une rédaction définitive mais proposer simplement un cadre pour la réflexion collective, en partant d'un certain nombre d'analyses et en identifiant les grandes questions auxquelles devra répondre ce manifeste.

I - Quelles réponses social-démocrates
à la crise du modèle français ?

Toute réflexion politique part aujourd'hui inévitablement d'un double constat : confronté aux conséquences de la mondialisation, du chômage de masse, du vieillissement démographique, de la fragmentation sociale, mais aussi bien sûr aux évolutions majeures de l'individualisme contemporain et à la nécessaire révolution écologique, le modèle social hérité des trente glorieuses est en crise; confronté à ces mêmes défis, la social-démocratie est à la recherche de réponses nouvelles et redéfinit ses moyens d'action.

Cette crise, en effet, n'est pas spécifiquement française : partout en Europe, l'Etat Providence, ce vaste compromis pratique entre loi du marché, propriété privée des moyens de production d'une part, intervention politique, droits sociaux et redistribution d'autre part, peine désormais à remplir ses fonctions et doit subir des ajustements pour intégrer les nouveaux défis.

Mais cette crise d'efficacité prend depuis plusieurs décennies une résonance particulière dans notre pays. La mondialisation, l'impuissance apparente de la politique, l'émergence de formes de multiculturalisme interrogent notre modèle national, républicain, laïque, étatique et universaliste. La crise de confiance dans les institutions représentatives se nourrit de ces interrogations sur l'identité française. Elle a pris, scrutin après scrutin, des proportions alarmantes.

Tout projet historique, toute identité politique se présente donc d'abord aujourd'hui comme une réponse à cette question.

Le néo-libéralisme en est une : révision du compromis social à la baisse, remise en cause des protections, " libération " du marché. Nous refusons évidemment de nous laisser imposer idéologiquement cet agenda sur l'air de l'évidence, au nom de " l'adaptation nécessaire " à la mondialisation. Nous récusons l'idée que la droite, à l'image des gouvernements qui se sont succédés en France depuis 2002, mène " les réformes nécessaires " lorsqu'elle démantèle la sécurité sociale et le droit du travail.

Mais une des caractéristiques évidentes de notre courant de pensée est de combattre également la crispation néo-gauchiste lorsqu'elle se traduit par la cécité et le refus de toute évolution des instruments au nom d'une défense illusoire des acquis sociaux. Nous récusons le piège qui consisterait, pour le socialisme français, à se laisser enfermer, par manque de courage politique, dans l'immobilisme face à un néo-libéralisme qui serait le mouvement.

Notre projet historique doit donc être, en premier lieu, de proposer une évolution du modèle français qui assume clairement l'ajustement nécessaire de l'Etat social à la nouvelle donne. Un ajustement qui ne soit pas une simple adaptation technique, dépourvue de vision, mais qui redonne à notre système social son efficacité perdue pour lui permettre de remplir ses finalités essentielles : intégration, protection, redistribution, égalité,…

Ce projet de modernisation, il faut évidemment en préciser les axes principaux, en répondant aux grandes questions économiques, sociales, sociétales, écologiques d'aujourd'hui.

Quelles sont, d'abord, nos réponses structurelles aux mutations de l'économie  et en particulier aux défis posés par le nouveau capitalisme financier qui utilise la mondialisation pour déplacer les termes du compromis capital / travail établi dans le cadre national ?

Notre sensibilité a défendu, plus que toute autre dans les dernières années, le projet européen comme une riposte stratégique à ce défi. Quelle orientation voulons nous désormais défendre dans l'Europe de l'après 29 mai 2005 ?

Quels nouveaux instruments voulons nous inventer pour faire de la " société du travail " une priorité effective ? Au-delà de ce que le projet des socialistes a esquissé, quelle signification et quelles traductions réelles voulons nous donner par exemple à l'idée de " sécurité sociale professionnelle " ? Quelle vision de l'évolution de l'économie française, de sa structure productive, des liens entre l'éducation et l'économie, voulons nous promouvoir ?

Quelle approche de fond proposons nous également face aux multiples défis que le vieillissement de la population fait peser sur nos systèmes de protection sociale, qu'il s'agisse des retraites ou du financement collectif de la santé ? Quel espoir et perspective offrons-nous aux jeunes générations qui ont du mal à s'insérer dans une vie professionnelle et familiale ?

Quelles sont, plus globalement, nos réponses à la nouvelle question sociale ?

Tout en reconnaissant la persistance des inégalités traditionnelles de revenu et de patrimoine et des mécanismes de la " reproduction sociale ", c'est à dire des éléments qui dessinent une " société de classes ", notre sensibilité a contribué à faire partager au parti le diagnostic d'une société profondément fragmentée. Contre la thèse trop simplificatrice des " deux France ", nous avons notamment mis l'accent sur l'importance des inégalités entre salariés, liées à l'éclatement des situations professionnelles, des discriminations sexuelles et raciales, et des nouvelles inégalités générationnelles et territoriales qui structurent la réalité sociale française.

Face à ce nouveau paysage des inégalités, quel " nouveau compromis social " proposons nous alors ? Quelles sont les catégories sociales dont nous voulons défendre les intérêts et satisfaire les besoins ? Comment intégrons nous et concevons nous la lutte contre les discriminations dans cette stratégie globale ? Quels sont, dans notre vision à moyen terme, les grands enjeux redistributifs de la période et les priorités réelles d'une politique sociale et fiscale ?

A l'évidence enfin, nous ne pouvons plus penser ces questions à la fois nouvelles et traditionnelles indépendamment du défi écologique. Nous ne pouvons plus ignorer les conséquences dramatiques sur notre santé et notre cadre de vie des atteintes à l'environnement. Nous devons affronter le problème central de l'épuisement des ressources et de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures. Nous devons, en somme, élargir l'horizon de l'Etat providence et de la sociale-démocratie en visant ce que Jürgen Habermas a appelé " la domestication sociale et écologique du capitalisme ".

Cette dernière suppose de définir les nouveaux objectifs et les nouveaux moyens d'agir : quel choix énergétique sommes nous prêt alors à porter pour demain ? Quelle vision du progrès et de sa maîtrise collective défendons nous ? Comment concilions nous le principe légitime de précaution, le refus du productivisme et des expérimentations douteuses avec le nécessaire développement scientifique et industriel de nos sociétés ? Quelle approche des " risques " et de la protection préconisons nous ?

II - Les valeurs fondatrices
de la politique sociale démocrate

Nous voulons moderniser le modèle social français en maintenant ses finalités essentielles car celles-ci sont une traduction pratique de nos valeurs fondamentales. Mais notre projet ne se réduit pas, loin s'en faut, à une adaptation des instruments. La clarification idéologique suppose aussi aujourd'hui de revenir, en amont, sur les valeurs mêmes qui nous animent. La crise de l'Etat Providence s'est en effet doublée, pour la gauche contemporaine, de l'effondrement du marxisme comme cadre doctrinal dominant. Partout, la cohérence anti-capitaliste (en économie) libertaire (sur les questions de société) héritée des décennies soixante-soixante dix a été discutée. Partout, la gauche européenne a été confrontée à la nécessité de redéfinir les principes fondamentaux qui la guident: quelle place pour la liberté ? Quelle articulation entre l'individu et la société, la liberté et l'égalité, la liberté et la responsabilité ? Quel type d'égalité ?...

En France, malgré les évolutions majeures de la pratique survenues après 81, cette nécessaire redéfinition a été entravée par des réflexes idéologiques et notamment par le poids d'un "surmoi marxiste -révolutionnaire  " et par un rapport embarrassé au pouvoir qui ont longtemps empêché le parti socialiste d'afficher clairement, en préalable, son identité " réformiste ". La période ouverte par le traumatisme du 21 avril 2002 a illustré cette prédilection pour la rhétorique protestataire, même si les résultats des différentes consultations internes ont permis d'avancer dans la voie d'un réformisme assumé.

Appuyé sur une tradition politique ayant placé l'exigence de vérité au cœur de son discours, héritier d'une tentative de synthèse politique entre la pratique jospinienne et le courant rocardien des années 90, notre sensibilité a été en pointe du combat des dernières années pour rendre le " réformisme assumé " majoritaire dans le parti socialiste. Tirant les leçons du XXème siècle et de l'échec patent du " socialisme réel ", nous assumons sans détour la nécessité d'un compromis avec l'économie de marché capitaliste. Nous assumons notre attention aux conditions de la création de richesses et la part de " réalisme économique " qui doit nécessairement en découler dans notre action politique. Nous militons aussi pour un rapport décomplexé à l'exercice du pouvoir. La gauche n'a pas à craindre d'agir, à travers des réformes concrètes et opératoires, sur le capitalisme puisqu'elle n'a précisément pas d'autre but que de le transformer. Cette double volonté - transformer le capitalisme sans l'abolir et exercer des responsabilités politico-institutionnelles pour mettre en œuvre cette transformation - définit l'espace idéologique du réformisme dans lequel nous pensons que la gauche contemporaine doit désormais se mouvoir.

Mais nous devons affirmer également que cette acceptation du compromis n'implique aucun renoncement à penser les contradictions entre les exigences économiques et sociales, entre l'efficacité et la justice, entre les intérêts du capital et ceux du travail. Le souci de réalisme économique qui accompagne l'acceptation du compromis n'implique pas pour autant à nos yeux de subordonner la possibilité des réformes sociales à leur acceptation préalable par " les marchés ". C'est ce qui pourrait distinguer sans doute la sociale démocratie dont nous réclamons d'autres variantes de la gauche européenne que l'on qualifie de "  sociale libérale ". Dans la logique sociale-démocrate qui nous inspire, le compromis demeure le résultat d'un rapport de force grâce auquel l'Etat et les acteurs sociaux, appuyées sur une légitimité démocratique, imposent au capitalisme les concessions et les restrictions qu'ils jugent nécessaire au nom de l'intérêt général et des valeurs sociales.

Aux antipodes de toutes les formes de libéralisme économique, nous croyons donc toujours que la politique doit imposer les régulations et les restrictions nécessaires au marché. Au nom de la dignité humaine, nous continuons par exemple de refuser la réduction du travail humain à une marchandise. Nous refusons les nouvelles formes d'exploitation qui se développent à travers l'intensification des rythmes et la dégradation des statuts. Nous refusons, comme nous l'avons fait en combattant avec tous les socialistes le CPE, une vision unilatérale du partage des " risques " transférant l'insécurité économique sur les seuls salariés.

Cette orientation illustre sans doute plus que toute autre la " résistance " sociale-démocrate au néo-libéralisme ambiant. Dans le cadre de la nécessaire réactualisation des valeurs, elle mérite toutefois à l'évidence aujourd'hui d'être précisée : quelle vision exacte avons-nous en effet du rôle du travail dans la vie humaine  et la construction personnelle des individus ? Au nom de quels besoins essentiels défendons nous les statuts contre le " travail à tout prix " ? Jusqu'où allons-nous en somme dans l'arbitrage éventuel entre emploi et garanties ? Comment comptons-nous aussi "  remettre les mains dans la machine capitaliste ", en pesant sur l'organisation même du travail ?

De façon plus générale, il nous faut définir la vision du développement humain qui guide désormais notre volonté d'intervention politique sur l'économie et la société.

Quelle place faisons-nous, en premier lieu, à la croissance économique ? Ayant reconnu le rôle irremplaçable des entrepreneurs, quel rôle exact accordons-nous à la puissance publique, à " l'Etat stratège " dans le pilotage de l'économie ?

Nous avons rappelé ici l'enjeu écologique. Celui-ci interroge le type de croissance dont nous voulons. Quelle vision avons nous des besoins humains, quelle définition donnons nous de la qualité de vie ?

A l'évidence en effet, notre vision des besoins humains est plus large que le seul développement matériel: la santé, la sécurité, la qualité de vie, l'éducation, la culture, la reconnaissance et l'intégration sociale constituent aussi, à nos yeux, des droits fondamentaux.

Comment entendons-nous garantir dès lors l'accès de tous aux biens et ressources qui permettent de satisfaire ces besoins ? Quelle place faisons-nous à l'économie sociale et solidaire ? à la préservation d'une sphère non marchande dans notre société ? Quelle est la place des services publics dans notre modèle de civilisation ? Comment concilions-nous cette vision avec l'exigence (Cf. supra) de modernisation et de rationalisation imposée par les chocs démographiques et financiers ? Quelle place accordons nous aux politiques de prévention et d'investissement social à long terme ?

Etre social-démocrate, ensuite, signifie continuer d'accorder une importance majeure à la redistribution des richesses. Le modèle de développement que nous opposons au libéralisme est un développement solidaire. Mais là encore, la signification de l'égalité que nous visons et de la solidarité que nous mettons en œuvre doit être précisée :

Comment envisageons-nous tout d'abord la question des inégalités à l'échelle mondiale ? Quelle doctrine avons-nous, après les déceptions du tiers mondisme, des rapports Nord Sud ? Quelle vision avons-nous du commerce international, du fonctionnement et du rôle des institutions internationales ? Quelle vision géostratégique, quel " ordre international " défendons nous ? Quel rapport, dans ce cadre, aux Etats-Unis, au terrorisme ? Quel rapport à nos anciennes " colonies " ? Quelle vision des flux migratoires ?

Comment envisageons-nous ensuite le combat pour la réduction des inégalités de revenu et de niveau de vie dans notre société ? A l'image des principes de justice énoncés par un auteur comme John Rawls, quelle est la vision à long terme de l'égalité, des différences acceptables et inacceptables dans une société, qui structure les réformes et les compromis sociaux successifs que nous proposons ? Vers quel système fiscal et social idéal voudrions nous aller pour traduire cette vision de la justice ?

Enfin, cette vision du développement solidaire est sans doute inséparable de notre volonté de recréer et de revaloriser le lien social. Héritiers des combats historiques de la gauche pour la libéralisation des mœurs et la " démocratisation de la vie personnelle ", nous combattons les régressions réactionnaires ou toutes les formes de retour de " l'ordre moral ". Mais nous n'échappons pas à la nécessaire réflexion politique sur le nouvel âge de l'individualisme. Nous devons identifier et prendre appui sur les dimensions positives de ce dernier, sur l'aspiration à l'autonomie, et voire comment ces mutations contemporaines élargissent par exemple les possibilités d'émancipation, d'épanouissement, de participation à la vie sociale offertes à chaque individu. Mais nous devons aussi proposer les réponses de la sociale -  démocratie, qui ne sont pas celles du conservatisme moral et autoritaire, au débat, désormais posé au sein de la gauche française et européenne, sur l'articulation de la liberté et de la responsabilité, des droits et des devoirs, de l'autonomie individuelle et de l'appartenance sociale.

Quelle vision idéologique peut inspirer aujourd'hui notre approche des questions de société : droit de la famille, sécurité,… ? Quel bilan tirons nous de l'évolution de la société depuis plusieurs décennies ? Comment situons nous notre courant de pensée dans le débat actuel sur les conséquences positives et négatives de l'individualisme contemporain ? Comment entendons nous concilier la reconnaissance des aspirations individuelles légitimes avec le refus d'une société du chacun pour soi, privée de repères collectifs ? Quelle est notre réponse à la tentation communautariste ? Notre attachement au modèle laïque et républicain français ?

III - La perspective à long terme
de la sociale-démocratie

Le réformisme social-démocrate que nous voulons promouvoir ne peut se résumer à résister au libéralisme, à adapter les instruments d'action de l'Etat Providence ou à les déployer dans la compétition économique mondiale ou face à la montée de la précarité et des inégalités.

L'acceptation du réformisme, le renoncement à la révolution socialiste, ne peut se faire uniquement sur le mode d'une rationalisation froide. Nous avons besoin de répondre au besoin de sens, d'espoir, de passion qui continue à nourrir en France le rapport à la politique. C'est pourquoi, tout en combattant les chimères néo-gauchisantes, notre réformisme social démocrate doit assumer sa part d'utopie. Il doit être " radical " au bon sens du terme. Loin de réduire la politique à un pragmatisme gestionnaire éclairé par des valeurs, il doit poser la perspective, à l'horizon d'une ou deux décennies, de nouveaux progrès sociaux et de nouvelles conquêtes majeures.

Le chantier majeur semble être celui de l'égalité réelle des chances. Comme l'a écrit Dominique Strauss Kahn bien avant 2002, notre modèle français est davantage orienté vers la correction a posteriori des inégalités que vers leur prévention a priori et la massification de l'enseignement secondaire n'a guère modifié le poids colossal des inégalités de naissance dans les parcours scolaires. Plus rien ne justifie aujourd'hui que nous fermions les yeux sur cette injustice majeure. Avec l'acceptation de l'économie de marché, c'est à dire d'un système où les inégalités sont inévitables et renaissent en permanence, nous devons impérativement faire de la lutte contre la reproduction sociale une priorité absolue.

Mais là aussi, si l'égalité réelle doit devenir notre fil conducteur, encore faut-il en préciser les contours :

Quelles conséquences sommes nous prêts à en tirer sur l'évolution du système d'enseignement dans son ensemble ? Quelle est l'ampleur des transformations à opérer sur la question du logement ? Jusqu'où pouvons nous aller dans ce domaine ? Quelle peut être l'adhésion de la société à cette perspective ?

IV - Les acteurs
de la politique sociale démocrate

La social démocratie historique a été une culture politique mais aussi une structure d'organisation. Et les deux éléments sont aussi importants l'un que l'autre. Ils se conditionnent d'ailleurs étroitement. Cette situation est résumée souvent simplement par la coopération entre les partis et les syndicats. C'est évidemment le plus important, mais cela dépasse ce fait. La politique du compromis, en effet, suppose de prendre en compte (et de favoriser) les intérêts organisés qui structurent la société  -ce qui a permis un temps sinon de résoudre du moins d'atténuer les tensions entre les individus et les institutions. Le " régime " social-démocrate n'a pas été ainsi et n'est pas qu'un régime représentatif, car les intérêts sociaux s'expriment directement dans la sphère politique. Évidemment, tout cela n'a pas eu la même consistance selon les pays, leurs histoires nationales et la composition des forces politiques et sociales.

Il a été souvent souligné à juste titre que la France a été un des pays d'Europe où la social-démocratie en tant que telle a été la moins présente, même s'il a connu (et connaît) formes d'organisation des intérêts plus ou moins puissantes selon les secteurs de la société et s'il a finalement mis en place une sorte de social-démocratie municipale qui a donné un rôle majeur aux élus.

Politiquement, ce fut le Parti Communiste, pendant trois décennies, qui a été le plus proche d'une structure social-démocrate. Mais, il n'en avait pas la culture. Le socialisme français, n'en ayant pas la structure, a nourri une culture réformiste dans ses actes après 1920 (et surtout après 1983), mais, ne l'a jamais assumée réellement, idéologiquement pris dans une gauche française marquée par " l'esprit révolutionnaire ". Cette situation du socialisme explique que l'instrument privilégié de son action politique ait été l'État - même s'il a renforcé dans les périodes où il a exercé le pouvoir, les moyens des syndicats et des associations. Les relations avec les syndicats ont été ainsi toujours heurtées. Cela ne tient évidemment pas à la seule nature du socialisme français ! La division de la gauche - avec un Parti Communiste longtemps dominant- a rejailli sur le syndicalisme qui a connu un véritable processus de fragmentation au fil des décennies. Le patronat quant à lui a le plus souvent joué de cette situation, n'acceptant une négociation régularisée que sous les contrecoups des crises sociales et politiques et la rompant dès que le rapport de forces évolue en sa faveur. L'épisode récent de " la refondation sociale " de la fin des années 1990 a été tout à fait illustratif…

Ceci est notre héritage historique qui continue de peser sur notre situation. Il faut le prendre en compte dans notre réflexion sur une social-démocratie d'aujourd'hui. Mais deux phénomènes relativement récents s'ajoutent à cette réalité pour la rendre plus complexe.Le premier tient aux effets du " capitalisme dissociatif " actuel qui favorise la mobilité du capital et affaiblit le travail. Les compromis nationaux en sont rendus plus difficiles. Et cela ne concerne pas que le syndicalisme français. C'est l'ensemble du syndicalisme européen - même là où il est pleinement représentatif des salariés- qui est bousculé et doit redéfinir son action. Le second phénomène tient à l'évolution même de nos formes de démocratie. La crise de la représentation est devenue un constat banal en France mais là aussi dans la plupart des démocraties. La défiance vis-à-vis de l'action politique est une réalité. Cela ne veut pas dire que la grande majorité des Français ne reconnaissent pas les différences de principe entre la gauche et la droite, mais ils doutent de la pertinence des politiques suivies. Et, pourtant, il y a un désir de politique. Les expressions directes d'une volonté de participation se sont multipliées depuis une vingtaine d'années : les manifestations, l'action de nombreuses associations, une présence accrue sur Internet avec la multiplications des prises de parole individuelles, tout cela marque la présence d'une " contre-démocratie " pour reprendre le titre d'un livre récent de Pierre Rosanvallon, c'est-à-dire de formes de démocratie directe qui instaurent des pratiques de surveillance, d'empêchement, de jugement à côté de la démocratie représentative. L'idée d'une " démocratie participative " est une réponse à cet état de fait. Elle laisse ouverte évidemment nombre de questions sur ce que doit être le processus de décision politique, notamment sur tous les sujets sur lesquels l'accord est difficile et sur ce que doit être la reconfiguration de notre démocratie qui rétablisse la dignité de la politique et les conditions pour des politiques gouvernementales efficaces.

Nous devons donc mener une réflexion de fonds sur nos structures politiques et nos pratiques à la lumière de ces faits, les uns anciens, les autres récents, mais qui posent tous le problème de faire vivre d'une manière renouvelée la logique politique d'une social-démocratie moderne. Comment associer les citoyens à la détermination des enjeux politiques ? Comment dépasser le seul stade de la protestation individuelle pour permettre la délibération collective sans laquelle il n'y a pas de définition possible de l'intérêt général ? Comment dès lors redéfinir le rôle du Parti socialiste et de son organisation ? Comment ne pas le réduire seulement à une instance qui a pour seule mission de sélectionner des candidats aux élections et qui perd ses fonctions programmatiques et idéologiques ? Comment adapter notre militantisme à une autre manière de faire de la politique, en s'investissant de façon ponctuelle, flexible, revendicative ? Le parti socialiste est aujourd'hui dans un " entre-deux ", avec une diversification des types de militantismes, où il ne pourra demeurer. Comment représenter les intérêts économiques et sociaux pour permettre les compromis sociaux ? Autant de questions nécessaires. Le réformisme, en effet, n'est pas seulement une politique publique, il doit forger aussi une identité culturelle et définir des outils pertinents d'action.

Nous ne pouvons pas non plus mener une réflexion seulement sur nous-mêmes. Le Parti socialiste n'a jamais dans notre pays représenté à lui seul la gauche même pas avant 1914….Or, la gauche a beaucoup changé aussi depuis vingt-cinq ans. Et les problèmes qui se posent à ses forces traditionnelles - le Parti Communiste particulièrement- et à ses forces nouvelles- les Verts mais aussi une nouvelle extrême gauche- demandent d'être analysés lucidement. Que veut dire aujourd'hui réaliser l'union de la gauche ? Quelles peuvent être ses formes ? Quel est son périmètre ? Quelle culture commune pouvons-nous proposer ? Autant de questions qui sont aussi les nôtres.

Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]